Parce qu'il manquait des femmes sur son site, Ashley Madison a crée des Fembots pour dialoguer avec ces messieurs. Un subterfuge donnant lieu à une exposition à Paris.
Juillet 2015, un groupe d’activistes nommé « Impact Team » somme Ashley Madison de fermer son site de rencontres extra-conjugales sous peine de divulguer une grande quantité de données utilisateurs qu’il avait réussi à pirater. Ashley Madison ne prend pas au sérieux la menace.
Août 2015, Impact Team rend publiques les données de plus de 33 millions d’utilisateurs, y compris des détails personnels et les courriels du directeur général. Une catastrophe pour la marque qui, en plus de s’être fait hacker, révèle ses faiblesses : en analysant ces données, on comprend qu’Ashley Madison n’arrivait pas à attirer suffisamment de femmes mariées. Donc, pour compenser ce manque d’utilisatrices, 75 000 fembots (contraction de female et de bots) avaient été créées pour inciter les utilisateurs à se lancer dans des chats payants. Une pratique douteuse qu’Ashley Madison justifie dans les conditions générales d’utilisation en faisant valoir que le site n’a pour objectif que la distraction de ses clients.
Une information qui a attisé la curiosité de !Mediengruppe Bitnik, un duo composé de Carmen Weisskopf et Domagoj Smoljo (nés en 1976 et 1979, basés à Zurich et Berlin), qui utilise Internet comme matériau de son travail artistique.
« On s’est demandé : quelle est la nature de la relation homme – bot mise en place par Ashley Madison ? Comment la communication est-elle établie entre les hommes et les bots, et à quel niveau ? Ces bots sont-ils si bons qu’ils ont pu tromper 30 millions d’utilisateurs et leur faire payer beaucoup d’argent pour chatter avec eux sans qu’ils réalisent qu’ils conversaient avec des bots ? », raconte le duo. « On s’est vite rendu compte que cette plate-forme d’échanges donnait lieu à très peu de communication. Les utilisateurs sont pris dans les filets d’un dialogue en boucle. Et lorsqu’ils réalisent qu’ils parlent avec des bots, ils ne sont peut-être pas en mesure de faire part de leur expérience. Ils sont peut être gênés d’être sur le site Ashley Madison et d’avoir été escroqués. On aboutit à une sorte d’omerta où la nature de la situation crée un isolement. »
En examinant les documents piratés et notamment les codes informatiques, ! Mediengruppe Bitnik s’aperçoit que les bots n’étaient pas du tout intelligents : ils ne sont que des scripts sommaires, leur seul atout étant de pouvoir lancer à un utilisateur une phrase séductrice en vingt-cinq langues différentes. Malgré tout, le système régissant les bots est astucieux : chaque fois qu’un utilisateur s’inscrit sur Ashley Madison, un script baptisé mother donne naissance à des bots nommés angels, lesquels ont un nom d’utilisateur et une adresse inventée de manière à interagir avec le nouvel utilisateur. Chaque bot a un nom, un âge, une photo et une adresse – juste ce qu’il faut pour inciter l’utilisateur à répondre à ses avances. De nombreux utilisateurs doivent réaliser après un certain temps qu’ils communiquent avec des bots.
« Pour certains, on imagine que ce n’est pas grave, le frisson que leur donne un chat sexuel leur suffit. D’autres se désintéressent du site, d’autres encore ont essayé de poursuivre le site en justice. Mais tant que de nouveaux utilisateurs s’inscrivent, le modèle économique fonctionne. », ! Mediengruppe Bitnik.
Ashley Madison a répandu une myriade de fembots dans le monde entier : 61 fembots ont d’ailleurs été créés pour les 44 306 membres parisiens d’Ashley Madison. Statistiquement, cela fait 726 utilisateurs par fembot. ! Mediengruppe Bitnik a décidé de lever le voile sur fembots et de les faire exister dans l’exposition "Jusqu’ici tout va bien" qui aura lieu jusqu’au 4 décembre 2016 au Centre culturel suisse (CCS), situé au cœur du Marais. L’exposition sera développée dans une autre configuration à swissnex San Francisco en 2017.
Pourquoi avoir choisi d’intituler cette exposition Jusqu’ici tout va bien ? "Ce titre est emprunté à une plaisanterie d’Hubert, l’un des protagonistes du film de Mathieu Kassovitz, La Haine. C’est l’histoire d’un homme qui tombe d’un immeuble de cinquante étages. Au fur et à mesure de sa chute, pour se rassurer, il se répète sans cesse : Jusqu’ici tout va bien. Jusqu’ici tout va bien. Jusqu’ici tout va bien. Mais l’important, c’est pas la chute. C’est l’atterrissage... Dans notre relation avec les systèmes autonomes automatisés comme les bots et les algorithmes, on est arrivés à un point où l’on voit les premières conséquences de bots dirigés contre les humains. […] Cela devient de plus en plus évident : les algorithmes ne sont pas des anges. […] Notre sentiment est que nous nous aventurons en territoire inconnu en nous répétant : jusqu’ici tout va bien", conclut le duo artistique.
!Mediengruppe Bitnik s’est notamment fait connaître en 2013 par le projet Delivery for Mr. Assange. Conscient que l’homme est confiné dans l’espace réduit de l’ambassade d’Equateur à Londres et se trouve depuis quatre ans au centre d’une crise diplomatique aiguë, le duo s’est demandé comment il pouvait s’impliquer en tant qu’artistes. Il a alors fabriqué un paquet avec un trou et y a mis, à l’intérieur, un appareil : ce dernier prend une photo à travers le trou toutes les quinze secondes et la télécharge sur un site Internet en temps réel. "On a envoyé le paquet à Julian Assange aux bons soins de l’ambassade d’Équateur. On voulait voir où le paquet allait atterrir, s’il allait atteindre sa destination, et quel trajet il allait prendre. Allait-il être mis de côté par la poste ? ". Ainsi, tandis que le paquet suivait lentement son cours vers l’ambassade d’Équateur, n’importe qui pouvait le suivre en temps réel, soit en direct sur note site, soit en lisant nos mises à jour sur Twitter.
Participer à la conversation