
Longtemps restée en marge des politiques environnementales, la publicité commerciale se trouve aujourd’hui au cœur des débats sur la transition écologique. Avec un enjeu central : celui d'une meilleure régulation du secteur.
C'était une grande première. En 2022, l'enjeu d'une meilleure régulation de la publicité était abordé pour la première fois dans un rapport du GIEC. De quoi bousculer les décideurs alors que le rôle de la publicité commerciale sur les modèles de consommation est longtemps resté un impensé. « Par le passé, le législateur a su mettre en place des exceptions importantes pour protéger la santé en interdisant la publicité pour la cigarette et en la limitant très fortement pour l'alcool par exemple. Aujourd'hui, l'enjeu c'est d'agir beaucoup plus vite et fort pour l'environnement » résume Mathilde Dupré. Économiste et co-directrice de l'Institut Veblen, un think tank spécialisé dans les enjeux de transition écologique, elle a travaillé, en partenariat avec l'association Communication & Démocratie qui milite pour une refonte du secteur de la communication, à l'édition d'un rapport dédié aux impacts de la publicité commerciale.
La pub comme booster de la consommation
Adossé aux travaux de recherche de deux universitaires, Francesco Turino et Samuel Delpeuch, celui-ci met en lumière le fait qu'en France, les plus de 30 milliards d'euros de dépenses annuelles moyennes en communication commerciale par les entreprises ont conduit à une augmentation cumulée de 5,3 % de la consommation. « Pendant longtemps, la science économique a soutenu que la publicité était seulement un élément d'information du consommateur sans effet sur la demande. Or, on constate que la publicité fait bien augmenter la consommation, soit parce que la taille du marché augmente, soit parce qu'on a des rythmes de renouvellement accéléré pour tous les biens d'équipement » détaille Mathilde Dupré. « Quand un smartphone est renouvelé au bout de 18 mois alors que le précédent fonctionne parfaitement, c'est bien une obsolescence marketing. Recevoir autant de stimulis publicitaires pousse à consommer davantage ».
La contre-attaque des représentants du secteur
Une vision contestée par les représentants d'intérêts du secteur. « Assimiler la pub à la 'surconsommation' revient à ne pas faire confiance au consommateur, à le prendre pour un idiot. Les gens savent parfaitement dire quand ils ne veulent pas d'un produit ou d'une marque » avait balayé en 2021 Mercedes Erra, présidente-fondatrice de l'agence BETC et vice-présidente de la filière Communication. Directeur général de l'Autorité professionnelle de régulation de la publicité (ARPP), un organisme mis en place par les professionnels du secteur pour s'auto-réguler, Stéphane Martin rejette également le terme de surconsommation. « Nous sommes plutôt en déconsommation. Nous consommons le même nombre de produits qu'en 2014 et depuis le Covid, nous en consommons moins », explique-t-il. D'autant que, selon lui, les annonceurs privilégient avant tout dans leur communication « les produits qui sont déjà dans la transition ». « L'exemple de l'automobile est flagrant. Les ventes de véhicules électriques et hybrides rechargeables sont minoritaires, pourtant, la publicité est quasiment exclusivement focalisée dessus » poursuit-il.
Le cas emblématique des SUV
« Les constructeurs automobiles sont en tête des premiers annonceurs en France et les publicités concernent rarement une petite voiture électrique compacte. L'essentiel des budgets se concentre sur des pubs pour des SUV avec une personne seule au volant. Et c'est précisément à grand renfort de publicité qu'on a généralisé l'utilisation des SUV » objecte Mathilde Dupré. En 2021, un rapport du WWF avait effectivement relevé une omniprésence des SUV dans la publicité, de l'ordre de 18 pages quotidienne dans la presse et de 3h50 de publicité chaque jour à la télévision. Le WWF estimait ainsi que la filière automobile avait investi 1,8 milliard d'euros dans les campagnes pubs pour les SUV en 2019 soit plus de 2 300 euros de dépense publicitaire pour chaque SUV vendu en France. Entre 2008 et 2023, la part des SUV a littéralement explosé dans le pays, passant de 5 à 49 % des ventes de voitures neuves.
Pour une publicité plus sélective et responsable
« Avec la "SUVisation" des véhicules, on a massifié un besoin de niche pour le rendre mainstream » déplore Renaud Fossard, délégué général de l'association Communication & Démocratie qui plaide pour des interdictions sectorielles appliquées à la publicité de certains produits - dont les SUV. « Ça ne signifie pas que le budget actuel de la publicité pour les SUV disparaîtrait mais qu'il serait réorienté vers des véhicules moins lourds et moins polluants », assure-t-il. « On ne peut pas continuer avec le niveau de pression publicitaire actuel. En termes de dépense, ça représente 35 milliards. De notre point de vue, il n'est pas souhaitable que les entreprises dépensent autant pour influencer les comportements des consommateurs » poursuit Renaud Fossard. En réponse, le rapport sur lequel il a travaillé préconise de taxer les dépenses publicitaires des grandes entreprises à hauteur de 8 %. « Cela conduirait à réduire l'ensemble des dépenses publicitaires d'environ 15 % et la vitesse d'augmentation de la consommation. En même temps, ça permet de produire des recettes. Or on en a besoin car il y a un éléphant dans la pièce lorsqu'on veut mettre en place une régulation ambitieuse de la publicité, c'est l'impact sur l'économie des médias » relève M. Fossard.
L'épineuse question du financement des médias
Le modèle économique de la plupart des médias repose en effet en grande partie sur les revenus générés par la publicité. En 2024, les recettes publicitaires nettes de l'ensemble des médias ont atteint 18,9 milliards d'euros. Cette dépendance explique la réticence du législateur à opter pour de nouvelles interdictions, par crainte de fragiliser un secteur qui a déjà vu une partie de ses revenus publicitaires se faire siphonner par les géants du Web, à commencer par Google, Meta (Facebook, Instagram, etc.) et Amazon. Mathilde Dupré estime qu'une taxe sur les dépenses de communication commerciale représente précisément un « levier de réponse ». « Une partie des revenus de cette taxe pourrait être fléchée vers des campagnes des pouvoirs publics visant à promouvoir des comportements d'achat plus responsables. Cela ferait du travail pour les agences en remplacement des campagnes pour des produits néfastes et de l'achat d'espace pour les placer » complète l'économiste.
Comment la Convention citoyenne pour le climat a été précurseure
Les mesures sur lesquels ont planché l'institut Veblen et l'association Communication & Démocratie s'inscrivent dans la continuité de celles proposées par la Convention citoyenne pour le climat. En 2020, celle-ci recommandait notamment d'interdire « de manière efficace et opérante la publicité pour les produits les plus émetteurs de gaz à effet de serre ». En Europe, des municipalités se sont emparées de l'enjeu. En janvier dernier, La Haye est devenue la première ville à interdire la publicité pour les produits et services liés aux énergies fossiles. En France, la loi Climat et résilience a acté en 2021, dans une rare concession faite aux propositions de la Convention citoyenne pour le climat, l'interdiction de « la publicité relative à la commercialisation ou faisant la promotion des énergies fossiles ». En revanche, la demande de la Convention de « réguler la publicité pour limiter fortement les incitations quotidiennes et non-choisies à la consommation » était restée lettre morte.
L’autorégulation du secteur remise en cause
En France, l'ARPP est au cœur du système d'auto-régulation du secteur de la publicité. Créée et animée par ces derniers, l'ARPP définit un socle de règles déontologiques de droit souple, dites « recommandations », qui s'applique à ses adhérents. Depuis quelques années, le torchon brûle entre l'instance et les associations environnementales. En 2020, l'association France Nature Environnement (FNE) avait claqué la porte du Conseil paritaire de la publicité, une instance de l'ARPP, évoquant un organisme qui « n'en finit pas de défendre contre vents et marées les intérêts des annonceurs et des agences en dépit de l'urgence climatique » et appelant à « la création d'une instance de régulation paritaire, indépendante des professionnels ».
Pour mieux réguler, l'appel aux pouvoirs publics
« Les règles de l'ARPP contiennent des éléments intéressants mais ça reste très insuffisant. On est dans un dispositif qui n'a aucune chance de permettre à un communicant de dire à son annonceur : "si je fais ce que vous me demandez, ça ne passera jamais" » explique Renaud Fossard. Sur demande du secrétariat général à la planification écologique (SGPE), instance rattachée à Matignon, un rapport a été réalisé par les inspections des finances, de la culture et du développement durable. Non-endossé par le gouvernement, ce rapport a été rendu public par le média L'Informé. Ce document de 500 pages considère qu' « en leur état actuel, ni la réglementation, ni l’autorégulation par les professionnels ne permettent d’assurer que les communications commerciales contribuent à une consommation plus durable ». En conséquence, les hauts fonctionnaires préconisent de placer l'ARPP sous la tutelle de l'Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), le gendarme des médias. Le rapport recommande également de taxer les grands annonceurs ainsi que le chiffre d'affaires issu des publicités diffusées sur le numérique et les réseaux sociaux, d'interdire la publicité pour les produits les plus polluants, dont les vols courts en avion ou encore de plafonner les dépenses publicitaires pour les SUV.
Vers une mutation culturelle profonde du secteur ?
« Les inspecteurs estiment qu'il y a toujours des marges de progrès et c'est précisément ce que l'on fait depuis neuf décennies » réagit Stéphane Martin, le directeur général de l'ARPP. « Nous allons renforcer notre recommandation développement durable, qui sera révisée après l'été. D'ores et déjà, nous avons augmenté le nombre de messages que nous contrôlons. L'année dernière, grâce à des outils d'intelligence artificielle, nous avons regardé plus de 420 000 messages publicitaires, y compris des nouvelles formes de communication comme les influenceurs » poursuit-il. Concernant les critiques des associations environnementales, Stéphane Martin rappelle la position ferme de l'instance : « préserver le respect que l'on doit au citoyen consommateur mais aussi préserver une capacité pour les entreprises de pouvoir communiquer. C'est d'autant plus important à un moment où monte l'éco-silence de beaucoup d'entreprises qui ne veulent plus s'exprimer sur ces sujets » ajoute-t-il.
Du côté de la société civile, l'heure est à l'optimisme. « Il y a une maturation du débat depuis le Grenelle de l'Environnement. Le rapport SGPE constitue clairement un point de bascule. On a aujourd'hui une proposition de loi déposée par le groupe Horizon pour interdire la publicité pour le secteur de la fast fashion. C'est un signe que les interdictions sectorielles peuvent être transpartisanes sur l'échiquier politique et on s'en félicite » commente Renaud Fossard. « Le fait que le GIEC ait parlé de la régulation de la publicité montre que le sujet est central. En parallèle, il y a de plus en plus de campagnes citoyennes dans de nombreux pays Nous sommes certainement au tout début d'une nouvelle ère de la régulation de la publicité » se réjouit Mathilde Dupré. Renaud Fossard, lui, se montre confiant dans la capacité du secteur à se transformer grâce notamment à une « base de milliers de communicants » qui, loin d'être sourde à ces enjeux, ambitionne sincèrement de « repenser sa façon de travailler sur la production des messages publicitaires ».
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