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Prospective créative : touché par le futur, futur à toucher

Avec AXA
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Et si le futur se touchait avant de se penser ? Face à l'incertitude grandissante, la prospective se réinvente : plus créative, immersive et artistique. Du design-fiction aux ateliers participatifs, elle devient une expérience sensorielle pour "décoloniser l'avenir".

« L’esprit est comme un parachute. Il ne fonctionne que lorsqu'il est ouvert ». Ce bon mot, attribué au physicien britannique James Dewar, décrit précisément les ambitions d’une branche émergente de la prospective, plus créative et expérientielle. Indissociable d’une pratique plus analytique, elle vise moins à réduire l’incertitude qu’à « décoloniser l’avenir » en évitant de se laisser formater par le présent, pour reprendre les termes de Riel Miller, célèbre prospectiviste longtemps passé par l’UNESCO. Le rapport, Et si... nous expérimentions le futur ? , publié par AXA en 2025, s’inscrit précisément dans ce mouvement. Par sa liberté de ton et de forme, par son recours aux imaginaires et à une diversité de profils, il incarne une prospective plus immersive et radicale, propre à nourrir notre capacité d’adaptation.

Sérieux imaginaires

Par définition, cette « libération » de la prospective ne s’encombre pas de règles strictes. Elle obéit néanmoins à un certain nombre de principes, à commencer par une prise en compte plus systématique des imaginaires. En France, le Réseau Université de la Pluralité se fixe ainsi pour objectif « d’explorer et d’ouvrir la possibilité de futurs alternatifs, en mobilisant les ressources de l’imagination (art, fiction, spéculation…) ». L’invitation de plus en plus régulière des imaginaires de SF dans les travaux de prospective semble confirmer la tendance. De la mobilisation d’auteurs de science-fiction par l’armée française, à la création de X, The Moonshot Factory (une entreprise issue de Google dont l’ambition est de donner vie à des idées de SF), en passant par le programme NIAC de la NASA, la science-fiction est devenue une matière première incontournable pour les prospectivistes.

Formes immersives

L'ouverture aux imaginaires s'accompagne naturellement d’une évolution formelle et méthodologique. Artistes, designers, mais également militants ou habitants sont invités à participer dans une logique plus participative, qui fait dire au prospectiviste Daniel Kaplan que « tous les types et les niveaux d’expertise se valent ». Pour accueillir ces nouveaux acteurs, les formes classiques de la discipline (signaux faibles, tendances, scénarios, etc.) s’hybrident à de nouvelles pratiques. Plus sensibles, conversationnelles ou immersives, elles dessinent une prospective à vivre et à toucher, moins cérébrale. Le design-fiction est sans doute la discipline la plus emblématique de cette transformation. Formulé pour la première fois par Bruce Sterling en 2005, le terme décrit une manière d’explorer le futur grâce à la médiation de prototypes, de situations ou d’environnements fictifs. Il s’incarne dans les travaux de studios comme Superflux, Near Future Laboratory ou Design Friction, et donne lieu à l’édition d’objets et de fictions marquantes. De la visionnaire chaise de Faraday, créée en 1995 par le duo de designers Dunne & Raby, aux derniers épisodes de Black Mirror, il suscite la réflexion et la conversation à travers une incarnation tangible de futurs possibles.

Parmi les pratiques du Design Fiction, l’utilisation de la question « Et si… ? » est une des plus courantes. Elle est au cœur du rapport, Et si… nous expérimentions le futur ? d’Axa, qui s’organise autour de 10 grandes questions spéculatives pour interroger des sujets aussi variés que le futur des déchets spatiaux, la sécurité d’accès à l’eau ou la prise en charge des maladies mentales… Le traitement de ces questions, sous la forme d’objets du quotidien (journal imprimé, format épistolaire, roman-photo, etc.) s’inscrit également dans une forme de design-fiction.

Un art de la prospective ?

Le foisonnement créatif de la prospective réactualise une question posée dès 2002 par la revue Futuribles : doit-on parler d’art ou de discipline ? L’interrogation est d’autant plus légitime que les prospectivistes sont de plus en plus enclins à emprunter aux artistes leurs modes de restitution. L’exposition Action Speaks, développée en 2024 par Superflux pour aborder les enjeux climatiques, joue ainsi des codes de la muséographie. Les chercheurs finlandais Kai Lehikoinen and Satu Tuittila, de l’Université des arts d'Helsinki, proposent quant à eux d’évaluer l'efficacité des approches basées sur l’art dans les ateliers de prospective. À l’ESCP, le programme Improbable World : An Art Thinking Experience, mené par Sylvain Bureau, développe toute une théorie à la croisée de l’art et de l’entrepreneuriat. Autour de 6 pratiques structurantes (donner, détourner, détruire, dériver, dialoguer et disposer), les participants sont ainsi invités à créer des œuvres propres à questionner leurs certitudes…

Alors que l’incertitude est en train de s’imposer comme un trait majeur du monde contemporain, l’émergence d’une prospective créative - voire artistique - peut sembler naturelle. Elle prolonge en effet la figure de l’artiste, présentée par le sociologue Pierre-Michel Menger dans Être artiste, œuvrer dans l’incertitude, comme capable de réconcilier l’imprévisible et l’inévitable. « La facture de l’œuvre est imprévisible – l’originalité est la signature de la surprise, c’est une valeur cardinale, considérablement estimée par notre culture – et pourtant, telle qu’elle se présente, l’œuvre réussie impose un caractère d’inévitabilité – au sens où elle ne peut être autrement ».

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