Depuis les premiers pas des Internets rapides et du regretté Tom de MySpace, on prédit avec régularité la chute imminente de l'industrie musicale. Mais une douzaine d'années après le lancement officiel de la crise, force est de constater sa subsistance. Par Mathieu Aribart et Jérémy Mahieu de Brass Agence
« Le piratage va tuer la musique ! », « les majors vont mourir et tant mieux ! », « C'est la fin du star-system ! », etc. Que n'a-t-on entendu comme prophéties bullshit... De part et d'autres.
Depuis 2003 et le grand plongeon des ventes du Disque, il est toutefois raisonnable d'avancer que son industrie a pris du plomb dans l'aile. Gardienne du temple sûre de sa force, contournée par la démocratisation numérique des moyens de production et de distribution, son pré-carré s'est réduit avec son chiffre d'affaire.
Dans ses marges nouvelles, territoires non-monétisés faits de blogs spécialisés, next-next-big things et free-downloads, la Musique elle-même se porte bien. Merci pour elle. Jamais autant n'en fut produite, ni sortie. Les niches s'y expriment à loisir, les découvertes s'y forment sans formatage et les sensations du bout du monde sont aussi accessibles que vos héros locaux.
Cette démocratisation a toutefois mis entre toutes les mains les mêmes outils. Ce faisant, elle créa un bruit qui rendit l'industrie paradoxalement indispensable. Si s'y faire entendre seul se fait, les moyens et savoir-faire des maisons de disques restent irremplaçables pour s'en extraire durablement.
La preuve : malgré la grande utopie DIY fantas-née du net social, rares sont les artistes à refuser un deal avec un label quand il vient à eux. Qui sont ces maisons ? La plupart du temps, des émanations du Big 3 de ces majors, encore récemment un Big 4. Représentant les trois quarts du marché à eux seuls, ces mastodontes redressent la tête.
Profitant de l'effet de volume de leurs indispensables catalogues, les majors mirent suffisamment de coups de pression à ses acteurs pour que le streaming commence à devenir intéressant pour elles -si ce n'est pour leurs artistes. Elles ont diversifié leurs revenus. Ré-exploré leurs back-catalogues. Allégé leurs équipes. Repris du poil de la bête.
Les clés sous la porte sont à chercher chez les indés, qui ne jouissent pas de la même force de frappe. A travers eux, c'est toute une "classe moyenne" d'artisans de la musique qui peine. Car n'en déplaise aux tenants d'un Web égalitariste, le Top 40 n'a jamais autant obsédé, monopolisé l'attention du grand public. En témoignent Kanye West ou Taylor Swift, à la starification démultipliée par la lentille grossissante du Net et ses sites à buzz.
Les raisons se trouvent peut-être dans la mécanique de cette presse en ligne et son pay-per-click. Ce qui clique à 15h cliquera à 18h. Mais elle s'explique aussi dans un réflexe humain, que Proust explorait déjà au début du siècle dernier : penser que le bonheur se trouve dans ces sphères sociales plus « élevées », fréquentées de gens extraordinaires parce que connus, riches et beaux.
Tout ce qui concoure à créer l'illusion de cette société idéale (Instagram, c'est de toi qu'on parle) alimente en grand ce phénomène. Cette fascination. Le star-system se réinvente en ligne, plus fort, plus magnétique que jamais. Et tant que cette Machine à rêve fonctionnera à plein régime, l'industrie musicale saura se réinventer. Suivre. S'adapter. Monétiser.
Et non, Internet n'aura pas sa peau.
Mathieu Aribart et Jérémy Mahieu de Brass Agence
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