À l'heure où l'on évoque sans cesse le mythe de la « singularité » et le remplacement de l’homme par la machine, l’intuition créative reste fondamentale. Une tribune signée Ivan Pierens et Bruno Moreira de l’agence Blake Paris.
En Mars 2017, l’agence McCann Japan réussissait un joli coup de com’ en nommant une intelligence artificielle à des fonctions de direction de la créativité. L’IA, baptisée AI-CD β pour Artificial Intelligence -Creative Director Beta, avait reçu pour tâche de réaliser un spot publicitaire, en concurrence avec le Directeur de la Créativité de chair et d’os. L’expérience « Homme VS. Machine » était elle-même soutenue par une campagne qui faisait la promotion de ce duel inédit.
Créativité : la nouvelle frontière ?
Cette annonce a fait l’effet d’une bombe dans le milieu créatif : nous nous sommes toutes et tous immédiatement demandé : « Ça y est, ils ont osé ? ! ».
En creux, la question posée par cette décision de l’agence interroge un aspect essentiel de nos métiers : peut-on reproduire l’intelligence humaine ? La créativité est-elle automatisable ou procède-t-elle d’un instinct, et de capacités cognitives spécifiquement humaines ?
On le sait, certains techno-prophètes font leur beurre en prédisant le remplacement futur de l’homme par la machine : c’est le cas notamment de
Ray Kurzweil, le théoricien de la singularité. La singularité c’est le
momentum (qu’il situe à plus ou moins 2030 — mais la date fluctue régulièrement) au cours duquel les machines dépasseront l’homme en matière d’intelligence, et seront en mesure de penser et réfléchir de manière autonome.
La campagne réalisée par l'IA de McCann
Repenser le mythe de la singularité
Il faut discerner ce qui relève de l’annonce prophétique de la réalité scientifique. Aujourd’hui, les IA disposent de facultés extraordinaires : leur puissance de calcul est inégalable (elle suit la loi de Moore qui affirme que la puissance des processeurs double tous les deux ans) et les avancées en machine learning et en deep learning rendent ces intelligences artificielles de plus en plus performantes (notamment pour ce qui est de la reconnaissance des visages, des images…). Cependant, si les IA excellent dans la résolution de problèmes simples, elles ne peuvent pas se passer de la supervision humaine pour ce qui relève de la créativité pure. Google Deep Dream peut générer des fresques abstraites à partir de l’analyse des centaines de milliers d’images contenues dans le moteur de recherche, mais la « couche» supplémentaire qui « code » un message sur les images lui fait encore défaut.
L’homme avec la machine
La machine excelle en data mining et en analyse des données, mais elle ne peut penser, concevoir et réaliser une campagne de bout en bout !
Shun Matsuzaka, le planneur de l’agence McCann Tokyo a beau expliquer qu’il souhaite que son robot : « devienne une directeur de la création de renommée internationale », celui-ci n’est qu’un simple exécutant, incapable de penser en dehors du cadre — comme l’exigent les standards de nos métiers. Chez Blake Paris, nous estimons que la coopération avec les intelligences artificielles peut nous permettre d’affiner le ciblage, de mieux traiter les datas, d’avoir une compréhension plus fine de notre audience, mais nous militons pour conserver l’humain au coeur de notre démarche. L’idée doit rester la propriété des créatifs et le robot être au service de l’idée, et non pas à sa place.
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