« Orateur populaire qui sait défendre une idée avec éloquence » : la définition du tribun inclut cette double compétence de l’argumentation et de sa déclamation. Nos hommes politiques doivent se former à cet art subtil qui assurera à leurs discours une audience. Le web vient changer sensiblement la donne et ceci à plusieurs niveaux.
Citoyen centric ! Une nouvelle forme de communication du pouvoir
Il n’est pas toujours aisé pour la classe politique d’admettre « que l’adhésion à une idée relève autant de sa présentation que de son énoncé » *1. C’est ce que rappelle Denis Pingaud dans son ouvrage L’homme sans com’. Il ajoute :
L’animal politique élevé au biberon de la démocratie d’opinion n’ignore pas les ressorts sensibles de la conviction mais la communication ne saurait se substituer à la politique.
Pourtant le monde de l’information a changé « la voie royale n’est plus l’intermédiation des traditionnels relais d’opinion » * mais plutôt un mode d’adressage direct au citoyen. En 2012, l’équipe de campagne de Barack Obama avait compris que la marque personnelle du président transcendait sa fonction de chef d’Etat. Il ne s’agissait pas d’un récit narcissique mais bien l’histoire d’une relation entre un homme et son peuple. Les internautes ont été sensibles à cette attention et se sont montrés réceptifs lorsque le président a organisé un chat sur le site de la Maison Blanche. Le web rapproche le politique de ses administrés et l’oblige à intégrer de nouvelles règles. Nous en citerons cinq.
- Parler la même langue que l’auditoire
L’analyse de discours s’est enrichie de nouveaux composants :
- la performance du discours au regard des requêtes effectuées dans les moteurs (Comment s’assurer que les mots employés correspondent aux mots recherchés sur Google)
- l’adéquation du discours aux attentes formulées par la cible (Partager avec le public une même signification des mots).
Dans un article paru à l’automne dernier dans le magazine Décisions Durables*2, nous avions travaillé sur les correspondances entre les paroles d’Emmanuel Macron et les attentes formulées par les Français. Comment s’adresse-t-il à ses concitoyens ? Pour Macron, l’histoire change, la transformation est profonde et bouleverse nos ordres établis.
Le changement touche trois domaines : géopolitique, numérique et écologique. Ces transformations sont partagées par les citoyens mais via des mots évoquant des réalités concrètes souvent liées à leur cadre de vie. C’est ce que nous révèle les données analysées par Citie-Zen, éditeur de MonAvisCitoyen. Là ou Emmanuel Macron parle de « transformation environnementale radicale », les Français évoquent « la qualité de l’air » ou « la pollution ».
- Haranguer sur les places virtuelles
Déporter ses discours sur les lieux où les communautés échangent, confrontent leurs idées, est devenu une nécessité. Les médias propriétaires (site, blog) du politique sont des carrefours de convergence qui abritent l’ensemble de la parole du candidat. Ce dernier doit veiller à orchestrer la médiatisation de ses propos sur d’autres plateformes. Ce travail de marketing politique lui permet de garder la main sur la distribution de sa parole et comme nous le verrons, sur sa fréquence. Il choisit les médias, y compris les réseaux sociaux, en fonction de leurs audiences et des thèmes qu’il veut aborder. Le premier à l’avoir compris est Howard Dean*3. En 2004 il a considéré que l’influence n’appartenait plus exclusivement aux « machers », ces personnes qui naviguent grâce à leur pouvoir d’intimidation et à l’argent mais aux « makers », ces faiseurs de l’open source, nouvelle classe d’experts en politique.
- Se singulariser par la tonalité et maîtriser la variété des formats qu’offre la vidéo
L’écriture politique est un acte de création et d’engagement et cela tombe bien car le web est sensible à la richesse du vocabulaire employé ! Définir un point de vue, un champ lexical, une structure argumentative, une narration, un rythme, qui donnent sa force à une parole publique est toujours essentiel. Pierre Bourdieu est allé plus loin en évoquant le rôle du symbolique propre au discours politique. « Ayant ainsi renouvelé la manière de penser le langage, on peut aborder le terrain par excellence du pouvoir symbolique, celui de la politique, lieu de la prévision comme prédiction prétendant à produire sa propre réalisation » *4. Les citoyens sont sensibles aux allégories, métaphores et autres allusions et expressions. Ils réagissent en exprimant leur assentiment ou leur désapprobation. L’opinion mining (ou sentiment analysis) vient aujourd’hui étudier des corpus massifs de réponses ou témoignages d’individus. Cette méthode vient suppléer progressivement aux traditionnels sondages. Les capacités de traitement linguistique facilitent la détection des tonalités. Ces travaux permettront demain, au politique, d’adapter son ton et plus globalement sa dialectique aux inflexions attendues par ses publics.
- Accepter le bruit et intégrer la vitesse du retentissement médiatique
En 1995, dans la revue Le Débat, Jacques Pilhan qui fut le conseiller en communication politique des présidents François Mitterand et Jacques Chirac, rappelait « En tant qu’homme public, si je parle souvent, je me confonds avec le bruit médiatique. La fréquence rapide de mes interventions diminue considérablement l’intensité du désir de m’entendre et l’attention avec laquelle je suis écouté. Si, en revanche, je me tais pendant un moment, le désir de m’entendre, compte tenu du fait que je suis, par exemple, président de la République va s’aiguiser. » *5
Ceci n’est plus tout à fait vrai sur le web. L’algorithme récompense la fréquence du message et son autorité, c’est à dire sa capacité à fédérer de l’engagement. Plus j’émets de signaux de qualité, qui retiennent l’attention des internautes, plus j’ai une chance de remonter dans les moteurs. En parallèle le politique doit être en mesure de commenter, interpréter un événement de façon extrêmement rapide. Il est devenu ce que Nicole Aubert appelle un « individu à flux tendus » *9. La vitesse de propagation d’une nouvelle sur les médias sociaux, avec son cortège de rumeurs et de désinformations, nécessite une réactivité de tous les instants.
- Mémoriser ne rime plus avec répéter
La punition qui consistait à faire des lignes pour se souvenir de la règle, n’est plus d’usage sur le web. Au contraire chaque contenu doit être unique et riche. Les moteurs bannissent ce que l’on appelle le « duplicate content » et chasse les plagieurs. Il devient urgent, pour les candidats, de varier les thèmes et de les approfondir s’ils ne veulent pas finir englouti dans les profondeurs d’internet.
Les risques d’une langue qui s’atrophie et les limites d’un marketing de la demande
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La standardisation lexicale traque l’esprit critique
Mariette Darrigrand aime décrypter ces mots que nous faisons nôtres. Dans les « Mots qui nous gouvernent » *6 elle s’attache à montrer que les évolutions de la langue ne sont jamais anodines et que nous devons résister aux manipulations par le langage. Exercer son esprit critique c’est aussi ce à quoi nous appelle Olivier Besancenot dans son Petit dictionnaire de la fausse monnaie politique *7. Il étudie les glissements sémantiques comme le passage de « licenciement » à « plan de sauvegarde de l’emploi » et s’élève contre les expressions de la pensée dominante. L’apparition spontanée d’un « Je suis Charlie » n’échappe pas à son analyse.
- Mots impérissables et regrets éternels
« Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ». Ce proverbe basé sur une sagesse populaire selon laquelle un entêtement orgueilleux confine à la stupidité n’est pas l’apanage du web. Jamais les discours n’ont été aussi auscultés, vérifiés. Cloué au pilori, le politicien doit justifier de toutes ses contradictions. Internet conserve tout, obligeant les personnalités publiques à vérifier leur « casier numérique » et à travailler leur « personal branding » .
- N’est pas tribun qui veut !
L’école de Palo Alto faisait une distinction intéressante entre le digital (contenu rationnel d’un message) et l’analogique (sensations perçues qui permettent d’interpréter de façon subconsciente le message). « La force qui agit à travers les mots est-elle dans les paroles ou dans les porte-parole? » *4 Cette question de Pierre Bourdieu est toujours d’actualité. Les hommes politiques doivent travailler, nous l’avons vu, le champ du symbolique mais aussi leurs timbres de voix et la musicalité de leurs propos. Jacques Weber le martèle : « La voix est le reflet de la sensibilité humaine… Qu'ils se tournent vers la grâce du chant ! » *8. Dans son discours le 28 août 1963 devant le Lincoln Memorial, Martin Luther King va ponctuer son propos de silences qui donneront à la répétition du « I have a dream » une force particulière.
Laurence Houdeville, Head of Content chez DigitasLBi Paris.
Sources :
1*L’Homme sans com’ / Denis Pingaud Ed. Seuil. Oct. 2013 p.195-196
1* idem p.105
2* Décisions Durables – déc. 2016 – L. Houdeville Performance des discours politiques – Meeting d’Emmanuel Macron au Palais de la musique et des congrès de Strasbourg – 2016 –
3* Discours d’Howard Dean 2004 – Le réenchantement du politique par la consommation. Propriétés communicationnelles et socio-sémiotiques des marques politiques / Nicolas Baygert – Septembre 2014 / UCL Presses universitaires de Louvain.
4* Ce que parler veut dire, Pierre Bourdieu, Fayard, 20 oct 1982
5*Le débat – L'Ecriture médiatique - entretien avec Jacques Pilhan, numéro 87 nov-déc 1995 Ed. Gallimard
6*Ces mots qui nous gouvernent - Mariette Darrigrand - Bayard (2008)
7* Petit dictionnaire de la fausse monnaie politique », Olivier Besancenot Ed. Cherche Midi 28/04/2016
Excellent article!