A l'heure où les agences prônent l'audace à tout va, Sébastien Brocandel, directeur général en charge de la création chez Pschhh, pose les bonnes questions.
Sommées de se réinventer en permanence pour surprendre, les marques n'en savent plus toujours qui elles sont. Au rythme des modes, elles revendiquent leur capacité à se transformer, à devenir toujours un peu "plus" que ce qu'elles étaient la veille.
Le maître mot, audace ! La marque doit être audacieuse tout en restant elle-même, la campagne publicitaire doit transgresser sans choquer, le produit doit surprendre et plaire à tous. Autant de paradoxes que les agences doivent réconcilier.
Que sous-tend cette audace forcée et l'injonction de se renouveler sans cesse par l'inattendu ? Comment rester soi-même quand il faut forcément surprendre et séduire ?
Savoir évoluer
Tout d'abord, les campagnes publicitaires ne sont pas seulement le reflet du renouveau de produits ou services à commercialiser. La succession des campagnes de communication s'explique également en cela qu'elle accompagne la valse des directeurs de communication et du marketing dans les entreprises. L'un imprime sa marque à son arrivée avant de passer le relai à un autre qui devra surprendre à son tour. Chacun, en étant préoccupé de sa progression de carrière, aura tendance à fonctionner par itérations plutôt qu'en déployant une vision à long terme qui pourrait bénéficier à un collègue concurrent. La prime à l'audace devant s'accommoder du moindre risque bien souvent.
À cette dynamique court-termiste induite par les politiques RH des entreprises, s'ajoute l'écueil pour les marques de la tentation de plaire tantôt au plus grand nombre tantôt à la cible du moment.
Le phénomène "millennials" en est l'exemple actuel : combien de marques et par extension d'agences de communication réfléchissent actuellement à tordre les "brand book" et post-rationnaliser les valeurs de marques pour mieux les faire adhérer à celles de la génération millennial, nouvel eldorado du commerce ?
La faute à personne mais à un système qui veut s'adapter en permanence pour mieux avancer. Avancer pour plus de profit, cela s'entend, mais avancer d'où vers où ?
Ajustement après ajustement, l'identité et le discours de nombreuses marques se perdent en opportunismes successifs. Les repositionnements stratégiques s'enchaînent à la convenance des dirigeants (qu'il ne faut pas ralentir dans leur progression) et des évolutions de marchés. Bien vaillant le planneur stratégique qui s'aventurera à prôner l'immobilisme voire le retour en arrière. Et s'il y avait plus d'audace à ne pas changer qu'à changer par principe ? Et si le comble de l'audace était de ne pas en avoir ?
La question est cruciale pour une love brand qui risque le fiasco en déstabilisant ses consommateurs. Gap, Tropicana et d’autres ont vite fait machine arrière après des tentatives de rajeunissement qui n’étaient pas en phase avec les attentes du marché.
Tandis que d’autres ne prétendent être ni plus jeune ou plus audacieux aujourd’hui qu’hier parce qu’ils restent fidèles à des valeurs stables. Décathlon l’illustre parfaitement en innovant sans perdre son identité ni dérouter les consommateurs par ses campagnes.
Savoir se retrouver
Il arrive parfois, comme en amour après quelques expériences hasardeuses, que le temps soit venu d'une introspection plus profonde que les précédentes.
Planneurs stratégiques, sémiologues et équipes creatives entrent alors en scène et ouvrent les placards des marques : qui sont-elles, d'où viennent-elles, à qui parlent-elles ?
J'ai tendance à considérer une marque comme un individu. N'est-il pas perturbant voire exaspérant d'être confronté à une personne qui prétend être ce qu'elle n'est pas, par souci de plaire ?
Au contraire, on apprécie celui ou celle qui se présente sans artifices ou du moins sans se dissimuler.
De plus, une marque comme un individu dans un groupe social entretient des relations par cercles concentriques : il y a le cercle proche celui des intimes, puis les amis, les connaissances, les amis d'amis... Comment être à la fois la même et différente en s'ajustant à chaque interlocuteur ?
En se réappropriant ce qui fait qu'une marque est ce qu'elle est profondément, en cultivant ses aspérités plutôt qu'en lissant ses atours, elle garantit sa valeur intrinsèque et sa présence à l'esprit.
Bon nombre de marques de Champagne par exemple sont tiraillées entre leur héritage statutaire et leur vocation à s'adapter aux nouveaux comportements. Pommery crée Pop en format mini à boire à la paille, Moët&Chandon crée sa version blanche pour bord de piscine ou de yacht, DomPérignon devient phosphorescent à la lumière des boîtes de nuits... Autant de tentatives de séduction qui font penser à certaines femmes que l'excès de fard ou de botox tente de rajeunir un corps qui ne l'est plus. Le champagne aujourd'hui c'est un peu Nicole Kidman, en allant trop loin pour rajeunir, elle plaît toujours mais on ne la reconnaît plus tout fait.
Comment s'aimer et se faire aimer sans se travestir ou s'oublier ?
L'audace parfois consiste, sans surenchère ni transgression, à s'affirmer telle qu'on est.
Qu'on soit millennial ou pas, il est une audace dont on ne se lassera jamais : l'authenticité.
Charge aux agences d'en retrouver l'essence.
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