Comment un sujet d'actualité devient-il un phénomène sur les réseaux sociaux ? Une entreprise peut-elle éviter le bad buzz ? Jérémie Mani, président de Netino, revient sur les sujets les plus commentés par les internautes et sur le futur de la modération.
Quels ont été les sujets d'actualité les plus commentés par les internautes dernièrement ?
Jérémie Mani : Nous sommes en période d’élections départementales, le sujet est donc évoqué à l'échelle locale, mais aussi nationale. Bien entendu, le FN fait partie des débats : a-t-il fait un bon score ? Progresse-t-il ou non ? Cela passionne les internautes et donne des échanges plutôt intéressants. De façon un peu plus légère, on a beaucoup parlé des Enfoirés, notamment sur le clip de Jean-Jacques Goldman, "Toute la vie" et ce, jusqu'à la diffusion de la soirée sur TF1. De nombreux internautes se sont vraiment indignés de ce mauvais procès fait à un de leurs artistes préférés. Au niveau international, les internautes parlent beaucoup de Daesh, des attentats qui ont eu lieu à Tunis ou ailleurs. Tout cela leur fait très peur et ils s’interrogent sur l'avenir de la planète et sur l’imminence d'une troisième guerre mondiale, un peu larvée.
Comment un sujet d'actualité devient-il un phénomène de société auprès des internautes ?
J. M. : C'est un phénomène assez complexe. J'ai l'impression que les rédactions des grands médias sont toujours à l'affût de ce qui est dit sur les réseaux sociaux et du coup, c’est au premier qui fera l'article sur le sujet susceptible d’intéresser les internautes. Mais parfois, ils prennent le risque d'amplifier des choses qui auraient pu demeurer dans le domaine de la simple conversation informelle. Revenons sur l'exemple des Enfoirés. Il y avait eu quelques tweets sur le côté un peu "paternaliste" de la chanson de Goldman, mais sincèrement, avant que les grands médias ne s'en emparent, l’affaire serait restée un simple épiphénomène chez les internautes. Le fait qu'ils en parlent autant a donné à ce sujet une résonance beaucoup plus forte et il est revenu sur les réseaux sociaux, mais de façon plus virulente. La plupart des personnes intervenant sur ce sujet n'étaient pas du tout au courant avant que les médias en fassent leur "une". En bref, un sujet d'actualité qui devient un phénomène de société auprès des internautes démarre sur les réseaux sociaux ; il est amplifié par les grands médias et revient sur les réseaux sociaux, mais de façon plus exacerbée.
Comment les entreprises peuvent-elles lutter contre le "bad buzz" sur les réseaux sociaux ?
J. M. : Toute grande entreprise peut commettre une erreur, avec la communication pour ses produits, et risquer ainsi qu'elle soit commentée sur les réseaux sociaux. Je crois que le "bad buzz" prend généralement quand la compagnie n'est pas organisée. Lorsqu’une erreur est commise, comme un produit défectueux ou une mauvaise communication, le "bad buzz" peut être "tué dans l’œuf" si, par exemple, un "community manager" prend la parole pour s'excuser ou expliquer pourquoi un tel problème a eu lieu et ne cherche pas à le masquer, mais au contraire à faire face avec humilité. Les "bad buzz" qui ont eu lieu sont surtout venus du fait que certaines entreprises ont cherché à cacher le problème sous le tapis ou à supprimer les messages parce qu'il n'y avait pas de réponse adéquate. Cela fait que les gens se lâchent sur les réseaux sociaux. Tenir un discours d'empathie, pour une grande entreprise, peut fortement éviter le risque de "bad buzz" pour avoir à la fin une petite polémique, qui s’éteindra au bout de quelques heures.
Comment, au sein de Netino, traitez-vous les flux de commentaires ?
J. M. : Généralement, on imagine le modérateur n'ayant que deux boutons devant lui : "oui" ou "non". C’est faux. La responsabilité va au-delà. Quand vous avez un message raciste ou agressif sur une page Facebook et qu'on l'enlève sous trente minutes, cela peut paraître un délai relativement court, mais cela reste un laps de temps durant lequel des milliers de gens peuvent voir le message et y répondre, souvent de façon peu courtoise et tout autant virulente. L'objectif étant bien sûr de retirer au plus vite le message en question et pour cela, il existe de nombreuses fonctionnalités de "scoring". Il s'agit d'un outil informatique qui propose au modérateur, des messages non pas par ordre chronologique, mais par ordre de risques, en fonction des messages et des mots-clés qui sont utilisés par l'internaute. Nous devons également savoir qui les publie et si cette personne a déjà été agressive ou raciste sur la page. Tous les messages sont traités, mais pas avec la même priorité, ce qui permet d'enlever plus rapidement les commentaires les plus à risques.
Comment voyez-vous l'évolution du métier de la modération en France sur les réseaux sociaux et les forums ?
J. M. : Aujourd'hui, la modération consiste à masquer ou à supprimer les commentaires nauséabonds, racistes ou agressifs, qui risquent de continuer à se développer si les marques ouvrent des espaces de dialogue. Ma conviction profonde est que notre métier mettra en avant les meilleurs commentateurs, les meilleurs messages, ceux qui apportent réellement quelque chose d'intéressant au débat au lieu de les noyer dans la masse des commentaires nauséabonds, insipides, sans réelle valeur ajoutée. Donc, on peut très bien imaginer un avenir où le modérateur pourra, non seulement retirer les messages les plus horribles, mais aussi signaler au "community manager" les messages les plus pertinents, en sachant qu'il aura de moins en moins le temps de tout lire. Il y a beaucoup d'espaces d'échange aujourd'hui entre les forums, les commentaires d'articles ou même les réseaux sociaux. Je reste convaincu qu'à l'avenir, le "community manager" déléguera un maximum de tâches aux modérateurs de façon que ces derniers puissent lui faire une synthèse de ce qui se dit, et remonter les messages les plus intéressants.
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