La chute vertigineuse des ventes de voitures dans le monde fragilise des constructeurs européens déjà confrontés à de lourds investissements et à des surcapacités. À plus long terme, la crise pourrait faire évoluer la demande d’une façon imprévue.
Brutale, tel est l’adjectif qui qualifie sans doute le mieux la crise traversée par l’industrie automobile. Il suffit pourtant d’un coup d’œil dans le rétroviseur pour voir qu’elle a déjà connu bien des coups de freins. Entre 2007 et 2013, conséquence de la crise financière, les marchés européens avaient dévissé de 25%. Sur la seule année 2009, les États-Unis avaient enregistré une baisse de 35%. Mais avec la pandémie de coronavirus, tout va plus vite. En mars dernier, le volume des ventes sur le Vieux Continent a été divisé par deux, pour chuter de 80% au mois d’avril (comparé à la même période en 2019). Un chiffre terrible, identique dans la plupart des pays en période de confinement, à l’exception de la Corée du Sud. Sur l’ensemble de l’année 2020, le BCG anticipe un recul des marchés mondiaux compris entre 16 et 24%...
Cet effondrement aura de profondes conséquences pour un secteur déjà confronté à l’augmentation des investissements requis par les véhicules électriques et autonomes. Il accentue les difficultés des fabricants européens, qui faisaient face à des surcapacités de production. Sans compter les répercussions inattendues que la crise aura sur les attentes des consommateurs et leur relation à la voiture. Le recul observé ne pourra pas être rattrapé sur la deuxième partie de l’année. En conséquence, plusieurs acteurs ont annoncé d’importantes mesures d’économie. L’onde de choc devrait ainsi se faire ressentir jusqu’en 2022.
Les véhicules électriques résistent mieux que les modèles classiques
Il subsiste malgré tout quelques bonnes nouvelles. La première tient à la santé financière des constructeurs – et donc à leur capacité de survie. Dans l’ensemble, ils sont entrés dans la crise avec deux fois plus de liquidités qu’en 2008. En France, l’apport octroyé par le gouvernement au travers du PGE (prêt garanti par l’État) était à cet égard la seule bonne première mesure à prendre. Le rebond que connaît la Chine est une autre raison d’espérer. Les ventes y ont baissé de 80% en février, de « seulement » 45% en mars (quand nos prévisions annonçaient -50%). Puis les volumes ont pratiquement rejoint ceux de 2019 en avril. Une courbe de reprise en forme de U dopée, il est vrai, par de nombreuses aides locales à l’achat mais démontrant que le scénario du pire n’est jamais certain. La troisième bonne nouvelle, c’est que le véhicule rechargeable (tout électrique et hybride) demeure dynamique et résiste mieux que les modèles classiques. Rien qu’en France, les ventes de voitures électriques ont crû de 245% en janvier et 220% en février, des chiffres bien supérieurs à la trajectoire dessinée par le gouvernement avec la filière automobile en février 2019. Rappelons que la croissance attendue dans les prochaines années est de 50% par an. Si cet élan se maintient, les objectifs seront atteints.
Ce choc pourrait également faire évoluer dans le bon sens notre paysage industriel, car il pose avec insistance la question de la relocalisation des filières stratégiques. Produire loin ce qui est consommé ici n’est plus forcément gage de compétitivité. On constate par exemple que, depuis plusieurs années, le prix de la main d’œuvre augmente dans les pays de l’Est. Saisir une telle occasion pour faire revenir des usines en France n’a rien d’utopique, mais cela suppose de relever plusieurs défis. Il faudrait d’abord augmenter le taux d’automatisation pour ne pas être pénalisé par le poids de nos charges sociales. Le lieu où l’on investira dans cette automatisation aura des conséquences directes sur celui de l’implantation pour les dix prochaines années. Un travail sur les coûts s’imposera, ainsi que sur le soutien aux investissements. Pourquoi ne pas imaginer un équivalent du Crédit Impôt Recherche destiné à favoriser ceux effectués sur le territoire national ? Nous ne pourrons pas non plus faire l’économie d’un rééquilibrage des subventions au sein de l’Europe. Enfin, difficile d’imaginer relocaliser sans créer de nouveaux emplois de spécialistes des batteries et des composants pour véhicules électriques.
Des transports partagés qui suscitent désormais la méfiance
Mais l’évolution de l’offre et de la demande demeure la grande inconnue. Hier, nous pensions que la voiture du futur serait propre, autonome et partagée. Nous voici amenés à reconsidérer ces prévisions. Propre ? Même si, d’ici un an ou deux, l’électrique sera le choix économique le plus intéressant, le consommateur n’est pas toujours rationnel. Inquiet, il pourrait se rabattre sur des choix plus conventionnels. Quelle sera la conséquence de la baisse du coût de l’essence sur sa réflexion ? Les autres pays européens vont-ils autant soutenir l’électrique que la France ? Aux États-Unis, le débat sera différent. En effet, les ventes de pick-up y ont moins baissé que l’ensemble du marché, au bénéfice des constructeurs de Detroit.
Le ralentissement global remet également en question le sujet de l’autonomie. Confrontés à l’obligation de réaliser des économies, les constructeurs vont devoir arbitrer l’allocation de leurs budgets de R&D. Il ne serait pas surprenant qu’ils favorisent l’électrique, technologie nécessaire et prête, au détriment du reste dont le besoin se fait moins pressant. Après tout, nous pouvons conduire nous-mêmes encore quelque temps.
Enfin, l’épidémie a déjà des conséquences négatives sur la perception des transports publics par la population. L’étude que nous venons de réaliser sur 5 000 personnes en Europe, aux États-Unis et en Chine révèle que distance physique et propreté sont les premiers critères de choix d’un moyen de transport pour 47% des répondants. Une tendance qui risque de perdurer tant qu’il n’existera aucun vaccin efficace.
Les consommateurs seront-ils au rendez-vous du redémarrage, comme en Chine ou en Corée, ou repousseront-ils leurs velléités d’achat d’un nouveau véhicule ? De même qu’il a aidé les constructeurs à assumer leurs coûts fixes pendant la période du confinement, l’État français s’est montré bien inspiré en incitant le 26 mai dernier nos concitoyens à retrouver le chemin des concessions et en soutenant la dynamique de l’électrique. C’est bon pour le client, pour l’industrie et d’une manière générale bon pour la reprise de la France. Reste à espérer que les autres pays européens suivront cet exemple.
Par Xavier Mosquet, directeur associé senior au Boston Consulting Group et auteur du rapport Renforcer l’attractivité et la compétitivité de la France dans l’automobile et la mobilité de demain remis au Président Macron en février 2019. Il fut conseiller de Barack Obama et cheville ouvrière de la renaissance de l’automobile américaine après la crise de 2008. Il conseille actuellement l’association des fournisseurs automobiles aux États-Unis sur la gestion de la crise.
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