Le prophète du storytelling, Christian Salmon, l'a annoncé dans son dernier ouvrage : nous sommes passés de l’ère du storytelling à l’ère du clash. La confrontation des vérités passe par la violence des idées. L’entreprise engagée est-elle la bonne parade ?
L’ère du clash, un phénomène radical et globalisant
Buzz, bad buzz, crise, tout ce qui se passe sur les réseaux sociaux semble aujourd’hui amplifié et déformé. Ces plateformes d’échanges mondialisés constituent l’infrastructure spatiale du clash. Leurs algorithmes favorisent l’apparition de tranchées et de coups bas nourris aux fake news et aux idées extrêmes. Le problème est systémique d’autant que ces réseaux ont été conçus pour maximiser les échanges et « viraliser » les contenus postés par des individus, des marques, ou des groupuscules d’intérêts pas toujours bien identifiables.
Pour plaire aux algorithmes de Facebook et de YouTube, il n’y a plus de limites. Il faut que les internautes réagissent, à tout prix. Le ressort est toujours le même : jouer sur la peur, la haine, les différences. Non pas pour générer un débat d’idées, surtout pas, mais bien pour scinder l’opinion entre pros et antis. Des pros qui vont « liker » et partager à tout-va pour faire entendre la bonne parole autour d’eux, sans remettre en cause la source ou le bien-fondé du contenu. Des antis qui vont s’indigner et donner, à leur manière, beaucoup de visibilité à l’article ou à la vidéo qu’ils dénoncent. L’ère du clash est bien là.
Un clash bientôt instrumentalisé et « augmenté » par l’intelligence artificielle ?
Les usines de fausses informations et les fermes à clics sont aujourd’hui l’œuvre d’humains en chair et en os, appâtés par le pouvoir et par l’argent facile. L’intelligence artificielle risque d’amplifier encore ce phénomène en s’attaquant à la matière première d’un bon clash en ligne : le contenu lui-même. La génération d’articles ou de tweets conspirationnistes fonctionne déjà. Imaginez ce que cela peut donner avec des contenus générés à grande vitesse, en temps réel, de manière ciblée, par des intelligences artificielles qui, en se basant sur des années de data et en maîtrisant parfaitement les ressorts, maximiseront le potentiel de clash.
La technologie deepfake pourra elle très rapidement nous berner en vidéo pour nous faire ingurgiter le faux discours d’un vrai politique bien connu. Quand on connaît la portée d’un clash généré par un simple titre d’article, imaginez le potentiel d’un vrai/faux discours politique en période électorale ou encore d’une fake news conçue pour porter atteinte à la réputation d’une entreprise.
Les marques doivent s’engager dans la fabrique de nouveaux récits « post narratifs »
Si le storytelling s’est bien implanté depuis plus de 10 ans dans la communication des politiques comme dans celle des marques, il faut désormais adapter sa stratégie à l’ère du clash. Il n’est bien entendu pas question de transiger sur la qualité et la transparence, mais il convient de réagir vite et bien en toutes circonstances. Pas uniquement quand la marque est mise en cause, mais aussi de manière proactive pour profiter de chaque fenêtre de tir offerte par l’actualité.
La communication corporate se commue en communication militante, dans le sens où elle se dirige vers une cause et des valeurs portées par l’ensemble des collaborateurs. Il convient donc d’adopter une ligne éditoriale claire et partagée, d’autant que tous les collaborateurs sont susceptibles de prendre la parole et, potentiellement, de sortir du cadre. On pense notamment au directeur marketing de Nocibé sur Twitter, un cas d’école à présenter dans tous les comités de direction…
Créez un discours cohérent dans l’adversité, et en temps réel
Le monde a changé, il n’est plus possible de dérouler son storytelling, aussi bien huilé soit-il, sur une année pour servir les intérêts économiques et commerciaux de l’entreprise. Il est temps d’entrer en campagne permanente pour réussir à construire ce nouveau discours fait de multiples parties prenantes, en interne comme en externe. Une communication qui n’a plus rien de linéaire et qui s’adapte aux cibles, mais aussi au contexte, en n’hésitant pas à prendre position, en temps réel.
Peu importe votre secteur d’activité, vous risquez de subir l’ère du clash. Faites de cela un atout plutôt qu’une faiblesse. Combattez les fake news avec des preuves, des chiffres, de la transparence et de la réactivité. Au fil du temps, construisez des « GQ digitaux » au sein de vos communautés sur les réseaux sociaux, avec des profils prêts à vous aider si le clash prenait de l’ampleur. Les avis et les retours de vos clients et prospects sont vos meilleurs alliés, ne les percevez pas seulement comme négatifs ou comme un bad buzz potentiel. Utilisez cette matière pour réagir, adapter votre offre et votre communication, et vous engager auprès de vos interlocuteurs. Pas simplement en façade, mais dans un véritable engagement sincère et basé sur le long terme.
Une certaine forme d’exemplarité et des engagements forts vous permettront de prendre position et de générer des clashs, en les maîtrisant, pour faire passer vos valeurs. Il est temps d’inventer de nouvelles formes de narrations autour de vos marques respectives. Les outils et technologies disponibles aujourd’hui doivent vous y aider, plutôt que de vous pousser à la surenchère. Les défis qui attendent les communicants dans cette nouvelle ère sont immenses, il est temps de les relever !
David Benguigui, Directeur marketing chez Prodware
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