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Le design, acteur majeur de la transition écologique ?

© Palu Malerba

Nos sociétés doivent repenser leur fonctionnement pour envisager de limiter les catastrophes écologiques annoncées. Cette posture obligatoire nécessite une approche systémique et exploratoire, deux notions au cœur des réflexions du designer.

Comment, en tant que société, opérer une transition écologique réaliste et durable ? Dans les domaines du design, une solution se dégage depuis quelques années et semble constituer une réponse pragmatique : l’éco-conception. « Il s’agit de prendre en compte le cycle de vie le plus étendu et exhaustif possible du produit ou service qu’on conçoit », définit Estelle Berger, enseignante chercheuse à Strate, une école de design.

Dans cette approche, une posture environnementale à toutes les étapes du processus est proposée par le designer qui prend en compte les besoins, qui analyse les pratiques et qui redéfinit les attentes. Un processus dans lequel tous les paramètres des projets sont réfléchis. Des circuits de vie du produit à l’éducation de l’utilisateur dans ses pratiques et ses usages en passant par la nécessaire mutation des matériaux. Le designer devient ainsi le chef d’orchestre du changement, imaginant et composant avec les contraintes et les objectifs souhaités, intégrant les nécessaires évolutions sociétales pour proposer un avenir plus respectueux mais tout aussi confortable.

De spécialisée, l’approche devient donc systémique, puisque la question environnementale doit être abordée de manière transverse, explique la professeure : « Plutôt que d’enseigner une expertise pointue sur la plasturgie ou le travail du bois par exemple, on forme les étudiants à adopter une approche systémique. L’enjeu est d’aborder les impacts dans un écosystème le plus large possible. »

De nombreuses solutions existent pour accompagner les designers à imaginer des conceptions et des productions plus raisonnées. La graphiste Lucile Quero, dans son ouvrage L’éco-conception pour les graphistes, revient par exemple sur les possibilités offertes pour limiter l’impact environnemental en proposant une stratégie de fabrication imaginée en amont par le designer dans une approche globale du sujet à traiter.

Réorientation et stratégie d’entreprise

Si l’éco-conception répond aux besoins de l’industrie, elle reste « la partie émergée de l’iceberg », estime Estelle Berger. En effet, « on peut éco-concevoir un tank », illustre-t-elle pour souligner le fait que l’approche ne répond pas à la question des finalités du produit développé. Comment, dans ce contexte, aller plus loin ?

La réorientation écologique est déjà préconisée par les partisans de cette notion développée par les enseignants-chercheurs, Alexandre Monnin, Diego Landivar et Emmanuel Bonnet, il s’agit « d’un cadre pratique et théorique qui vise à inscrire nos activités, nos infrastructures, nos technologies, nos organisations et institutions à l’intérieur des limites planétaires », pose Alexandre Monnin. Dans cette approche, on accepte l’idée que « à l’avenir, on ne pourra pas et qu’il ne faudra pas tout maintenir ». 

La réorientation écologique pose la question de ce qui est essentiel et de ce qui va devoir être interrompu. Exemple significatif : les activités économiques de montagne, sur lesquelles Alexandre Monnin et ses étudiants ont travaillé. « Ces acteurs sont déjà confrontés à un arrêt de leur activité : que deviennent les infrastructures et les personnes ? », questionne celui qui dirige le master Stratégie et Design pour l'Anthropocène.  

Entre l’éco-conception, la réorientation et la stratégie d’entreprise, toute une palette de solutions intermédiaires peuvent être pensées. C’est l’enjeu des designers aujourd’hui et demain. « On s’intéresse à la stratégie des entreprises, à toutes les étapes à adopter pour être plus vertueux. Il peut s'agir d’innovations industrielles telles qu’on les connaît, d’innovations frugales, de low tech… », déroule Estelle Berger.

Dans la boîte à outils du designer

Pour mettre en place ces approches systémiques, le designer peut compter sur des outils performants. Parmi ceux-ci se trouve le désormais fameux nudge. Née hors du domaine du design, cette approche a rapidement fait le bonheur de certains designers. Il s’agit, via « la connaissance du vécu humain » du designer, explique Estelle Berger, d’inciter de manière inconsciente les usages vertueux, et de complexifier les plus néfastes pour l’environnement. Par exemple, encourager le choix de l’escalier plutôt que l’escalator par des messages ludiques, favoriser les fruits de saison par un positionnement avantageux dans un magasin ou installer un mousseur sur un robinet pour réduire la consommation d’eau. « C’est l’intervention du design malgré lui : le but du nudge est d’être invisible », décrypte la professeure.

« Il existe ainsi tout un tas d’outils pour orchestrer la participation des parties prenantes à un projet, résume ainsi Estelle Berger. Un des écueils des designers du XXe siècle est qu’ils ont adopté la posture de sachants. Or, les gens ont de bonnes raisons d’agir comme ils le font et il faut comprendre les freins qui existent sur le terrain. C’est tout l’intérêt de la co-conception, en particulier en matière de transition. »

Analyser au mieux les situations et développer des solutions en concertation avec les différentes parties prenantes, c’est justement la démarche design. « La démarche design consiste à interroger un terrain, diagnostiquer, enquêter. Le but du designer est d’être une force de proposition critique. Il réagit par rapport à l’existant », analyse Estelle Berger. « Nous accompagnons des acteurs dans leurs problématiques pour apporter des réponses qui n’existent pas encore, abonde Alexandre Monnin en référence au travail de redirection. Les démarches sont très concrètes et opérationnelles. Il existe un lien direct entre le design et la posture d’enquêteur ou d’enquêtrice.»

Acteurs du dialogue

Les étudiants de Strate aujourd’hui, les designers professionnels de demain, en plus des outils existants, sont invités à désigner leurs propres méthodes de récolte d’opinions et d’enquête, souligne la professeure. « Comment, au lieu d’un questionnaire Google ou de profils de personae identifiés, qui restent des techniques superficielles, peut-on aller à la rencontre des gens ? »

Parier sur l’intelligence collective et l’approche systémique, voilà la grande force du designer face à un enjeu aussi complexe que la transition écologique. « Le designer est un généraliste au service des spécialistes », estime la professeure. « Au cœur du design réside le fait de travailler dans des contextes extraordinairement différents, renchérit Alexandre Monnin. C’est un cadre pluridisciplinaire dans lequel on orchestre le dialogue.»

Dans la nécessaire mise en commun des compétences et des énergies pour lutter contre le changement climatique, le designer tient un rôle central : celui de médiateur créatif, une pièce au cœur du système qui permet à chaque partie de s’accorder. 


C’est dans cette perspective systémique que les étudiants à Strate sont formés pour contribuer à avoir un impact positif sur le monde. Avec une mission : le rendre plus simple, plus juste, plus beau. Pour en savoir plus sur les différentes spécialités et formations proposées par l’école, c’est par ici.

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