Capture d’écran 2025-09-16 à 16.23.02

“Faire de la prospective, ce n’est pas s’évader dans un monde lointain”

Avec AXA
© AXA

Imaginer le futur, le donner à lire et ressentir - pour mieux s’y adapter : c’est le pari du dernier rapport prospectif d’AXA. L’assureur français a travaillé en partenariat avec dix expert.e.s, scientifiques, journalistes, designers, hackers… pour développer dix scénarios à la fois radicaux et plausibles, qui pourraient se produire entre 2035 et 2065, et comment s’y préparer. Aperçu avec Olivier Desbiey, directeur de la prospective d’AXA, et Sabine Wuiame, responsables des risques émergent.

Chaque année, Axa publie un rapport prospectif qui explore le futur sous un angle toujours singulier - à côté d’un grand nombre de publications expertes, consacrées aux risques. Pourquoi cet effort prospectif et éditorial ?

Olivier Desbiey : Je voudrais commencer par rappeler que chez un assureur, la fonction « prospective » n’a évidemment pas un monopole sur l’anticipation du futur. Beaucoup de monde travaille sur le futur chez Axa ! Il y a bien sûr l’équipe de Sabine, dédiée aux risques émergents - donc par définition au futur. Mais l’évaluation, la modélisation des risques à venir, c’est une activité traditionnelle pour un assureur.

Le but d’une publication créative comme Et si… nous expérimentions le futur ? , c’est d’apporter une complémentarité avec nos activités plus techniques, ou plus analytiques, en portant un regard élargi sur les grandes transformations sociétales et environnementales. Notre rapport 2024, Progressland, interrogeait les différentes formes que pouvait prendre la notion de progrès dans nos sociétés. En 2025, nous avons décidé d’explorer des scénarios en « Et si… ?  » , sous forme de récits s’inscrivant dans des contextes réalistes. Et si tel événement jugé improbable ou impossible se produisait ? Quel pourrait être son événement déclencheur ? Quelles seraient les conséquences ? Quelles réponses pourraient être apportées ?

Sabine Wuiame : La prévision opérationnelle « classique » des risques repose sur des statistiques historiques, dont on prolonge les données et tendances en les aggravant, pour voir dans quelle mesure on peut y résister. L’approche prospective, en « What if? », est complémentaire. On imagine une situation extrême mais plausible, qui ne s’est peut-être jamais vraiment produite par le passé, dans laquelle plusieurs risques sont interconnectés, et donc sur laquelle on n’a pas de données. Et on tente de voir ce que cela pourrait entraîner comme conséquences, ce que cela impliquerait pour les contrats d’assurance, pour notre solvabilité et notre résilience collective.

C’est cette créativité qui permet d’envisager des scénarios imprévus, pour lesquels nous ne sommes pas nécessairement bien préparés. Pour prendre un exemple concret, avant 2020, nous avions bien identifié le risque d’une pandémie mondiale, nous avions des projections possibles… Mais personne n’avait imaginé un scénario dans lequel le monde entier serait confiné en même temps, et quelles pourraient en être les conséquences.

Face à l’imprévisible, la créativité, la capacité d’imagination, sont-elles devenues plus nécessaires pour se préparer au monde de demain ?

SW : La limite des modèles mathématiques fondés sur les données historiques, c’est qu’ils reposent forcément sur le passé, et donc que l’on projette le passé dans le futur. C’est pour cela qu’il faut une double approche, pour envisager des situations inédites ou imprévues. C’est d’ailleurs exactement ainsi que l’on procède dans la cybersécurité : on simule des attaques informatiques pour tenter de déduire comment elles pourraient se dérouler, leurs impacts possibles et le rôle de tous les acteurs clefs dans une situation de crise

OD : C’est toute la complémentarité entre le forecast (la prévision) et le foresight (la prospective) : se préparer à des chocs inédits. La prospective est là pour imaginer les déraillements de trajectoires possibles, et aider à s’y préparer. Depuis quelques années, on parle beaucoup de « polycrise », de « crise permanente », dans lesquelles les ruptures systémiques se connectent et se cumulent. Cela rend la modélisation très compliquée. Par exemple, la multiplication des terrasses de restaurants sur les trottoirs en ville, et la forte augmentation du télétravail, sont deux conséquences durables liées au Covid-19 sur nos modes de vie. Aucune modélisation n’aurait pu prédire que la pandémie modifierait ainsi nos espaces urbains et nos manières de travailler !

Il faut donc avoir aussi d’autres manières de réfléchir, essayer d’explorer différents scénarios, et muscler ainsi notre capacité à réagir à des chocs imprévisibles. Ainsi, même si on n’arrive pas à anticiper un événement précis, ou à envisager toutes ses conséquences possibles, on aura développé une agilité mentale qui nous mettra en bonne position pour réagir face à de l’inédit. C’est aussi pour cela que nous avons laissé les auteurs et autrices du rapport très libres dans l’élaboration de leurs scénarios.

Une autre dimension d’utilité de cette approche créative, c’est de donner au document un caractère immersif. En s’appuyant sur des récits, en développant des ambiances, en illustrant concrètement les scénarios, nous voulions rendre ce futur très « incarné » pour les lectrices et les lecteurs - et communiquer ainsi l’idée que nous pouvons agir dessus.

Vous parlez d’inédit, de surprise… Depuis vos postes d’observation respectifs, que retenez-vous comme nouveauté de ce rapport ? Contient-il des choses qui, même vous, vous ont surpris ?

SW : J’ai abordé ce rapport en me disant que ça donnerait une vision des risques du futur. Et ce qui m’a surprise, c’est combien certains scénarios qu’il présente pourraient en fait se dérouler aujourd’hui, pas dans un futur lointain. Le scénario de contamination de l’eau à Amsterdam, le tsunami dans l’Atlantique… ce sont des risques immédiats. C’est de l’anticipation, mais il n’y a pas besoin de se projeter très loin. C’est donc dès maintenant qu’il faut se préparer.

OD : Faire de la prospective, ce n’est pas s’évader dans un monde abstrait ou lointain. C’est au contraire une démarche ancrée dans le réel, qui utilise le long terme et l’improbable comme leviers pour mieux agir dans le présent. En explorant les futurs possibles, on s’entraîne à anticiper non seulement les événements, mais aussi les dynamiques qui pourraient les déclencher, ainsi que leurs répercussions directes et indirectes. Cette préparation mentale facilite la prise de décision lorsque l’incertain devient réalité...

L’un des scénarios du rapport imagine par exemple la disparition progressive d’une pop culture mainstream, globalisée - au profit de cultures plus régionales et hybridées. Ce qui est très intéressant, c’est le point de départ choisi par l’autrice, qui situe son scénario au Chili avec comme point d’entrée l’évolution démographique.. On sait aujourd’hui que le Chili va connaître une forte décroissance de sa population dans les prochaines décennies. Face à cela, le scénario imagine logiquement un fort recours à l’immigration, avec pour conséquence l’émergence de nouvelles pratiques impactant les modes de vie et le brassage culture. Dans ce scénario comme dans d’autres, le rapport explore ainsi les conséquences possibles de premier rang, puis de second rang, de troisième rang… pour comprendre comment de grandes tendances à l’échelle mondiale pourraient avoir des répercussions très concrètes, inattendues.

C’est aussi pour cette raison que nous avons pris le parti de scénarios très diversifiés, sur la géopolitique, la fin du multilatéralisme, la santé globale, l’eau, l’espace… Parfois même des sujets qui semblent éloignés, en apparence, du monde de l’assurance - mais qui en réalité concernent directement nos activités. L’assurance joue un rôle parfois invisible, mais elle est présente partout - et face aux chocs à venir, les assureurs jouent un rôle social tout à fait particulier, surtout un groupe international comme AXA. C’est pourquoi nous devions avoir un champ d’investigation très diversifié.

Parmi les scénarios du rapport, et les risques que vous évoquez, on trouve en vrac : la contamination chimique de l’eau, la possibilité d’un tsunami dans l’Atlantique, la multiplication de cancers infectieux dûs aux microplastiques, l’effondrement de l’ordre international, l’accélération du réchauffement climatique par l’IA… Pour poser la question brutalement, le monde qui vient, que vous décrivez est-il vraiment assurable ? Et en quoi un assureur comme AXA pourrait contribuer à apporter des leviers d’action ?

SW : Je pense que le monde sera toujours assurable, mais à certaines conditions. Tout d’abord, « assurer », cela ne veut pas seulement dire « indemniser financièrement des sinistres ». Notre métier, c’est la gestion des risques : nous avons donc aussi un rôle à jouer en amont - en matière de prévention, de formation, de préparation pour atténuer les conséquences des sinistres. La Climate School d’Axa vise à former les collaborateurs des organisations à la transition environnementale et la transformation durable - 90% de nos employés y ont d’ailleurs été formés. Nous agissons aussi en aval, quand une catastrophe naturelle s’est produite par exemple. Nous connaissons les besoins des sinistré.e.s, nous savons comment faire intervenir des troupes pour porter secours, etc.

Il y a ensuite un enjeu d’accès à l’assurance. Face à des risques plus graves, il faut absolument éviter que les personnes les plus défavorisées, ou celles qui habitent dans des zones jugées vulnérables, ne soient rejetées hors de l’assurance. C’est pour cela qu’Axa, par exemple, développe l’assurance inclusive, qui permet à tous de bénéficier de garanties complètes.

Une troisième condition de l’assurabilité, c’est l’engagement des pouvoirs publics, et le développement de partenariats avec les autorités publiques. Seuls 22% des Européens sont assurés contre les catastrophes naturelles, il y a des pays où cette couverture est optionnelle. Développer l’assurance permet une plus grande base de mutualisation, et donc une meilleure couverture.

OD : Les intérêts des clients, des entreprises d’assurance, des acteurs publics et de la société convergent autour de la prévention. Une étude récente du Cambridge Center for Risk Studies montre que chaque dollar investi dans la prévention permet de réduire de 6 dollars les coûts liés aux catastrophes naturelles. On l’a observé aussi à La Nouvelle Orléans, qui a affronté deux ouragans très similaires : Katrina en 2005, Ida en 2021 - Ida était même plus puissant. Katrina a causé 125 milliards de dollars de dommages, et Ida 50 milliards de moins - grâce à des investissements réalisés entre temps sur les digues, qui ont considérablement protégé la ville.

Et puis au-delà des buzzwords, il y a un véritable potentiel de transformation lié à la technologie. L’assurance paramétrique permet déjà de procéder immédiatement et automatiquement au versement des indemnités - par exemple à un agriculteur après un épisode de grêle. En couplant les observations satellites à des intelligences artificielles, on peut aujourd’hui évaluer la vulnérabilité de bâtiments face à des incendies potentiels et là aussi accentuer la prévention, ou suivre en direct le développement des feux et alerter sur des mesures à prendre. On est aussi en capacité de construire des modèles prédictifs plus robustes sur les trajectoires possibles des ouragans, les dégâts qu’ils sont susceptibles d’occasionner.

Pour le mot de la fin : avez-vous malgré tout trouvé dans ce rapport des raisons d’être optimiste ?

OD : En réalité, je trouve ce document optimiste… Je dirais qu’il est d’un « optimisme éclairé ».  Oui il postule des événements non désirables, des contaminations de l’eau, des tremblements de terre… mais à chaque fois, nous mettons en avant des solutions possibles, des manières collectives d’y répondre. Et on revient là aux racines de la prospective : pour aller vers des futurs plus désirables, encore faut-il déjà être en capacité de les imaginer. Anticiper des scénarios possibles, y compris les moins souhaitables, est le meilleur moyen de s’y préparer en imaginant les réponses que l’on pourrait déployer. En vérité, nous sommes condamnés à l’optimisme. Sinon, quoi ? Rester coincés dans l’anxiété que déclenchent ces crises ? Ce serait encore plus préjudiciable.

Et puis si l’on se donne un peu de perspective de temps sur notre monde, on remarque que, quel que soit l’indicateur que l’on se donne (accès à la santé, accès à l’éducation, conditions socio-économiques…), en moyenne, on a partout progressé dans les dernières décennies. Ça, c’est un signal positif.

SW : À la lecture du rapport, on se rend aussi compte que l’action collective nous rend plus fort. Bien sûr, on fait le constat d’une fragmentation, d’une polarisation des sociétés. Mais face à ces risques, nous devons agir ensemble, et trouver des solutions collectives - qui iront dans le sens d’une moindre fragmentation. C’est au cœur du métier de l’assurance. Il y a une obligation de solidarité, et c’est aussi un message d’espoir. 

Discutez en temps réel, anonymement et en privé, avec une autre personne inspirée par cet article.

Viens on en parle !
commentaires

Participer à la conversation

Laisser un commentaire