Illustrationd 'une jeune femme stressée avec lignes digitales

Technocritiques d'hier et d'aujourd'hui, même combat

La méfiance envers les effets du progrès technique n'est pas nouvelle. Les craintes des premiers « technocritiques » étaient proches de celles d'aujourd'hui. Explications.

À l'image des ingénieurs d'AgroParisTech, de plus en plus de voix s'élèvent et appellent à sortir de la logique techniciste. Inscrit aujourd'hui dans une logique de préservation de la planète et des libertés individuelles (surveillance, reconnaissance faciale…), le discours technocritique n'est pourtant pas nouveau. Selon François Jarrige, auteur de Technocritiques : du refus des machines à la contestation des technosciences : « Depuis que les sociétés humaines sont entrées dans la spirale de l'industrialisation, des individus et des groupes très divers ont dénoncé les techniques de leur temps et agi pour en enrayer les effets. »

Rage against the machine : les Luddites

Le terme « Luddite » désigne une personne qui s'oppose aux progrès technologiques. Les Luddites, baptisés d'après le roi fictif Ludd, sont apparus en Angleterre au début du 19ème. Principalement ouvriers du textile, ils détruisirent entre 1811 et 1816 les métiers à tisser mécaniques et autres machines perçus comme une menace pour leur emploi. Depuis, le mot « luddite » est souvent utilisé de manière péjorative pour décrire ceux critiquant les moyens et objectifs d'entreprises technologiques comme Amazon. Objectif : les cataloguer en tant que réactionnaires où conservateurs effrayés par des machines qu’ils ne comprendraient pas bien... Pourtant, les Luddites n’étaient pas contre le progrès ou les machines, mais contre la mise en place de dispositifs qui menaçaient leurs emplois, leurs communautés et leurs valeurs sans aucun débat préalable.

Technocritiques d'hier et d'aujourd'hui, même combat

Selon Brian Merchant, journaliste au Los Angeles Times et auteur de Blood in the Machine: The Origins of the Rebellion Against Big Tech, le comportement des entreprises d'aujourd'hui présente de nombreux parallèles avec celui de l'industrie textile du XIXe siècle : « Les fondateurs de startup et les géants technologiques présentent leur version du futur comme inévitable, comme la seule voie possible pour progresser. Mais leur objectif est de concentrer la richesse et le pouvoir, et pour le faire ils n’hésitent pas à violer notre vie privée ou à détruire des emplois, des entreprises et des modes de vie. » Hier comme aujourd'hui ce ne sont pas tant les technologies qui posent problème, mais plutôt leurs implications. L’usage courant du terme « Luddite » pour désigner un refus archaïque et absurde de toute technologie servirait ainsi à dissimuler la véritable histoire : « les Luddites étaient des militants syndicaux qui ciblaient non pas la technologie elle-même mais les propriétaires d’usines et le système capitaliste qui les animait. » Un avis partagé par François Jarrige : « Ce n’est pas la mécanisation qui provoque les résistances, mais la place nouvelle de la technique comme force de changement social qui transforme les rapports sociaux, les environnements naturels et les représentations sociales et culturelles. »

Réenchanter le projet de société

Si les changements peuvent être positifs, il est légitime de s'interroger sur la manière dont les innovations sont introduites. Les travailleurs doivent en assumer les coûts ? Gavin Mueller, professeur de nouveaux médias et de culture numérique à l'Université d'Amsterdam, et auteur de Breaking Things at Work: The Luddites Are Right About Why You Hate Your Job, insiste sur l’importance de l’organisation syndicale et des associations et d’une plus grande réglementation : « L'exemple de ce mouvement nous aide à identifier les défis technologiques, économiques et sociaux auxquels nous sommes confrontés et nous enseigne que nous pouvons exiger davantage de la technologie ». Selon la philosophe Eurídice Cabañes, fondatrice de l'association culturelle du jeu vidéo ArsGames, il est nécessaire de s'interroger sur le projet même de société que nous promet le miracle technologique : « L'avenir qui nous est vendu comme inévitable ne l'est pas. L'un des grands problèmes avec la façon dont les progrès technologiques nous ont été présentés est qu'ils ont volé notre imagination. Le moment est venu de le récupérer. »

Peggy Baron

Chaque jour je m'installe à la terrasse de l'actu et je regarde le monde en effervescence. J'écris aussi bien sur les cafards cyborg que sur le monde du travail, sans oublier l'environnement et les tendances conso.

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