
La réussite d’une politique RSE ambitieuse repose sur une maîtrise stratégique des données de l’entreprise. Mais la collecte, la traçabilité, la transparence ou la gouvernance de ces informations sont autant de défis supplémentaires pour bâtir un modèle d’affaire durable.
La transition écologique et sociale n’est plus seulement une nécessité morale pour les entreprises : c’est aussi une obligation légale. Avec la multiplication de nouvelles réglementations comme la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), entrée en vigueur en janvier 2024, les entreprises - grandes entreprises et ETI - sont tenues de mesurer et rendre compte de leurs impacts environnementaux, sociaux et économiques plus précisément que jamais auparavant.
Cette directive européenne vient muscler et structurer un peu plus la rigueur des entreprises en matière de reporting de durabilité. Elle montre aussi à nouveau l’importance d’un bon usage des données dans le cadre de sa politique de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Une occasion pour les entreprises de transformer leurs ambitions environnementales en réalités tangibles et impactantes. Le moment constitue également une opportunité stratégique : les données collectées peuvent être un outil puissant pour piloter la durabilité. Avec, à la clef, une transformation d’ampleur : ne plus concevoir la RSE comme une surcouche de l’entreprise, mais l’intégrer pleinement à ses modèles.
Comment les entreprises s’y prennent-elles et à quels défis font-elles face pour mener à bien cette transformation ? Pour éclairer ces enjeux et partager des solutions concrètes, nous avons échangé avec Caroline Baron, experte et consultante RSE spécialisée dans l’accompagnement des entreprises, et Adrien Beton, expert en transformation durable et décarbonation chez Onepoint.
Comment le reporting des données a mis fin au greenwashing
RSE et données font bon ménage - et le phénomène n’est pas récent. Dès 2001, en France, la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) marque un tournant. Elle impose aux grandes entreprises cotées en Bourse de partager dans leur rapport de gestion la manière dont elles prennent en compte les conséquences sociales et environnementales de leurs activités. Une première qui fut à l’origine de la culture du reporting de la durabilité et de la collecte des données nécessaires à celles-ci. “Cette culture s’est développée peu à peu, en France et dans l’Union Européenne, avec aujourd’hui un très grand leadership continental sur ces sujets. De sorte que l’on est aujourd’hui dans une logique de comply or explain. Il n’y a plus de sujet sur la donnée : elle fait partie intégrante d’une démarche RSE mature”, explique Caroline Baron.
L’époque du greenwashing par la RSE semble aujourd’hui révolue : il ne suffit plus de déclarer des intentions, il faut fournir des preuves tangibles. Les nouveaux paquets réglementaires, comme la SFDR, la CSRD ou demain la CS3D font monter le niveau d’exigence et de transparence des entreprises. La donnée doit être tracée, fiable, auditable, et transparente. En interne, cela nécessite aussi des capacités de gouvernance des données de plus en plus matures. Un ensemble d’exigences qui demandent aux entreprises du temps et des moyens qui ne sont, a priori, pas investis dans le cœur de leur business. "Le périmètre de responsabilité dépasse les murs de l’entreprise et son analyse doit inclure ce qu’il se passe en amont et en aval. Par exemple, quel est l’impact amont des composants de mon produit, que se passe t’il quand il va être utilisé par mes clients, quelle va être sa fin de vie, va-t-il être recyclé ou partir à la décharge ? ”, interroge Adrien Beton.
Faciliter et améliorer l’usage des données
Mais quelles données doivent être collectées dans le cadre d’une politique RSE, et comment les améliorer pour répondre aux critères légaux et les intégrer dans le modèle d’entreprise ?
En réalité, il y a autant de données d’intérêt qu’il y a de problématique. “On ne peut piloter que ce que l’on sait quantifier. Si on prend l’exemple du carbone, il faut d’abord commencer à quantifier pour savoir où on en est, détecter des leviers d’amélioration, puis construire un plan pour les mettre en œuvre”, détaille Adrien Beton. “En fonction des problématiques, on peut choisir les prismes sur lesquels se concentrer. Si on se concentre sur le produit, on va être sur des logiques d’éco-conception et de modélisation de sa chaîne de valeur, travailler sur ses achats… Sur un parc immobilier, on sera davantage sur une logique de portefeuille, analyser les consommations d’énergie, modéliser la valorisation des actifs, évaluer le potentiel d’énergie renouvelable, construire une stratégie carbone et financière, etc. Les exemples sont infinis, la donnée est partout.”
Une donnée, c’est tout simplement une information. Elle peut être quantitative ou qualitative, mais doit donner du sens à la fois sur les engagements et les impacts réels d’une stratégie RSE. Un nombre de kilowatt.heure utilisé, un effectif, la parité homme-femme, la stratégie d’adaptation aux risques climatiques, le taux de turn-over, etc. Améliorer la captation et l’usage de ses datas est indispensable pour dresser un état des lieux et passer à l’action.
En parallèle, des outils émergent pour accélérer ses projets. “La consolidation, l’exploitation et le reporting des données RSE ont pendant longtemps été des processus relativement artisanaux comparés à d’autres pratiques qu’on pouvait rencontrer dans la finance ou le marketing par exemple. Aujourd’hui la plupart des services informatiques des entreprises modernisent leur infrastructure pour mieux exploiter leurs données en s’appuyant sur le cloud, les plateformes et des outils dédiés. Des nouveaux outils comme l’IA peuvent aussi apporter beaucoup de valeur pour traiter des données RSE non structurées dans des documents ou pour interroger ses banques d’informations en langage naturel.” explique Adrien Beton. La division sud-ouest de Onepoint, dont fait partie Caroline Baron, a par ailleurs développé un outil nommé Provoly : une plateforme de gestion des aléas climatiques destinée aux acteurs publics et privés. Fondée sur les scénarios du GIEC, elle permet d’anticiper la probabilité de survenance de ces aléas sur un territoire donné afin de pouvoir agir en fonction.
Mais les défis restent nombreux pour véritablement faire entrer sa stratégie RSE - et les données qui l’accompagnent - au cœur de son business model. Comment, par exemple, trouver des informations fiables en amont de sa chaîne de production, chez ses fournisseurs, notamment étrangers ? Comment les embarquer dans son projet d’entreprise durable ?
“Dans le cas des émissions de gaz à effet de serre, ces émissions indirectes en amont ou avales peuvent représenter plus de 80 % des émissions totales de l’entreprise. Pour maîtriser ces impacts, il est alors indispensable d’embarquer ses partenaires dans sa démarche et de faire évoluer ses relations commerciales. Les entreprises les plus matures exigent de leurs fournisseurs plus d’engagements et de preuves au risque à termes de remettre en question la collaboration avec ceux qui ne respectent pas leurs standards plus exigeants.” explique Adrien Beton.
Faire grandir la fonction RSE, avec et sans les données
Un travail de titan, certes, mais qui a pour objectif d’avoir, à terme, une vision panoramique des impacts, risques et opportunités qui s’offrent aux entreprises pour faire pivoter leur business. Réduction des coûts grâce à l’optimisation, nouveaux services innovants et plus durables, nouveaux partenariats stratégiques, effet d’entraînement de tout son écosystème ou anticipation des demandes de reporting de durabilité et de la réglementation : les bénéfices peuvent être nombreux, en fonction de son secteur d’activité et ses objectifs.
Onepoint, dont le cœur de métier est le conseil, a par exemple développé la Reset Score Card. Une méthodologie à 360° pour intégrer le plus nativement possible les enjeux RSE dans les projets. Une façon d’aligner enjeux RSE et business mais aussi d’embarquer les collaborateurs. “La condition sine qua none à la mise en œuvre d’une démarche de durabilité réussie, capitalisant sur la donnée, c’est l’humain. Si on n’accompagne pas les collaborateurs, ça ne fonctionne pas. Il faut que chaque collaborateur comprenne les enjeux, la manière de l’appliquer dans ses pratiques professionnelles et qu’on leur donne des moyens”, explique Caroline Baron.
Adrien Beton abonde, “La RSE ne doit pas être vue comme une surcouche de contraintes dans les opérations, elle doit s’intégrer le plus naturellement possible dans les outils du quotidien. Ce qui présuppose de mettre à disposition dans les mains d’un collaborateur formé le bon outil pour qu’il puisse actionner les leviers dans son périmètre. Plus l’entreprise gagne en maturité RSE, plus la fonction RSE doit se diluer dans ses différents métiers.”
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