C'est la crise, les médias nous le rappellent tous les jours. Et croyez-les, ils savent de quoi ils parlent : « leur » crise n’a rien à envier à la nôtre. Pour les « sauver », Julia Cagé, normalienne et économiste, imagine dans son premier livre un nouveau modèle basé sur l’idée que l’information est avant tout un bien public.
Dans son presque cours magistral de 116 pages, elle nous éclaire sur l’histoire et l’avenir des médias et de la presse en particulier, sur les différentes crises qu’elle a connues et surmontées (radio, TV) et sur celle qu’elle traverse aujourd’hui face aux géants du web (GAFA) et à la révolution numérique. Son analyse est pointue et optimiste, même si à sa lecture, il semble y avoir plus de problèmes que de solutions.
Et comme à l’école, c’est tout en chiffres, rien qu’en sigle : QQOQCCP.
Qui : Des médias en crise, des journalistes de moins en moins nombreux et en perte d’identité, un gouvernement dépassé, un lectorat désengagé, des publicitaires coupables, des aides à reconsidérer, et des milliardaires en recherche d’influence qui font mine de les aider (Bernard Arnault pour Les Echos, Le Monde et son trio Bergé-Niel-Pigasse, ou encore duo Ledoux-Drahi pour Libération)
Quoi : Sauver l’information (qui, pour rappel, vient du latin informare, qui signifie « donner forme à » ou « se former une idée de »...) et les métiers qui l’accompagnent, en évitant toute concentration du pouvoir. Car les médias ont beau être de plus en plus nombreux, ils sont aussi de plus en plus faibles et n’arrivent pas à monétiser leur nouvelle audience numérique tout en conservant la qualité de leurs contenus. Les médias ne sont pas des entreprises comme les autres, il devient urgent d’agir en ce sens pour les accompagner dans leurs transformations. « Les médias sont trop souvent devenus des danseuses pour milliardaires en mal d’influence »…
Où : En France surtout, ailleurs entre certaines pages. Sur vos écrans, et entre vos mains. Au cœur de la démocratie participative et de l’âge de l’information. Pour l’économiste, « c’est au croisement du marché et de l’État, du secteur public et du secteur privé, que le modèle économique des medias doit être repensé »
Quand : Avant-demain.
Comment : En repensant l’information en profondeur, et en mettant de côté l’éternel débat du support. C’est le contenu avant tout qu’il faut sauver. Comment ? En étudiant les modèles alternatifs qui ont déjà été mis en place (la fondation détenant le Guardian, l’association loi 1901 Ouest-France) et en poussant la réflexion encore plus loin pour véritablement faire renaitre l’information. L’enjeu aujourd’hui est de repenser ces modèles partiellement efficaces et de les régler à l’heure du numérique. En effet, l’avantage principal des statuts de fondation et d’association, c’est la pérennité du capital (personne ne peut reprendre son apport) et le fonctionnement du vote (un apport n’égale pas un vote) et que lesdits apports ne leur donnent pas de droits de vote. Sa limite, c’est son organisation structurelle : les premiers fondateurs forment le conseil d’administration, puis s’élisent entre eux.
C’est en partant de ce constat que Julia Cagé poursuit sa démonstration en proposant un nouveau modèle : celui de la société de média à but non lucratif, un modèle hybride entre société par actions et fondation (la « fondaction »). « Ce modèle permettra une réappropriation démocratique de l’information par ceux qui la font et ceux qui la consomment. Et non par ceux qui veulent faire l’opinion. Et non par ceux qui ont l’argent d’influencer nos votes et nos décisions ». Techniquement, cela donne un système où, face à l’apport de capital, on reprendrait le système de la fondation quant au non versement de dividendes, et celui de la société par actions quant aux droits de vote. Les droits de vote seraient gérés de manière plus que proportionnelle pour les faibles apports en capital (milliers d’euros), alors même qu’ils seraient plafonnés pour les gros actionnaires (millions d’euros). Ainsi, cela permettrait d’éviter la concentration de pouvoir que l’on observe actuellement. Par ailleurs, ce nouveau statut permettrait aux médias de bénéficier de la réduction fiscale ouverte aux dons, et de remplacer le schéma actuel d’aides à la presse qui demeure assez flou et manque de transparence.
Combien : Plus de 4 000 titres français, et des millions de lecteurs.
Pourquoi : Pour « continuer à produire, sous toutes ses formes, une information de qualité, libre, indépendante, accessible au plus grand nombre, et ce, malgré le recul de la publicité et la concurrence croissante dans une industrie, les médias, qui ne peut en réalité soutenir qu’un nombre limité d’acteurs. Qu’importe le support »
En somme, en bon professeur qu’elle est, ce que nous explique Julia C. de manière assez académique et technique, c’est que l’enjeu est politique, et que notre démocratie est en jeu. Il est grand temps de « considérer l’information comme un bien public » et de s’y consacrer au même titre que toutes les autres industries de la connaissance.
Et si vous n’aimez pas lire, vous pouvez toujours l’écouter : https://www.youtube.com/watch?v=VfNYLzE13cw
@CarolineMrtn
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