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Jésus : portrait d'agence

Quand on interroge Adrien Taquet sur son métier, il admet qu’il est arrivé là par hasard. Aujourd’hui directeur général de l’agence Jésus, il revient pour nous sur son parcours et nous livre sa vision du marché.

Adrien Taquet a commencé par faire du droit, avant d’entrer à Sciences Po Paris. Puis il « prépare, passe, et loupe l’ENA ». Ce qui ne l’empêche pas de graviter dans l’univers politique pendant plusieurs années. « C’était en 2002, juste après la défaite de Jospin. Le FN était passé au second tour, il fallait rebâtir la gauche ». Il décide donc d’y contribuer, à son niveau, « pour la gloire. J’adorais ça, mais il m’a fallu vivre plutôt que d’espérer en vivre ». C’est finalement par plusieurs concours de circonstances qu’il se retrouve chez Havas, en intégrant Euro RSCG 360. « Je m’occupais d’un petit institut d’études intégré ».

Une opportunité le porte à la tête de l’agence de Reims. « C’était un peu comme dans un film : ils sortent le patron la veille et j’arrive par le train du matin, pour me retrouver en réunion l’après-midi ». Il est alors tout jeune : « j’avais 25 ans, je ne connaissais pas le métier. Les gens venaient me voir, me parlaient de PDF haute def’, et moi je ne comprenais pas ce qu’ils me disaient ». Il se donne deux ans pour réussir « et encore moins pour me planter ». En six mois, il prend dix ans de métier, et apprend sur le tas. Après deux ans, l’agence est passée de 25 à 45 personnes. « Je n’avais pas pris d’appartement à Reims, je vivais à l’hôtel. Un moyen de faire comprendre que ma vie et le marché étaient à Paris ». C’est à ce moment-là qu’il prend la direction générale de l’agence à Paris.

Pendant un an, il dirige une centaine de personnes. Un matin, il se fâche avec l’un des présidents et décide de partir. « Je suis arrivé par hasard dans ce métier, et je pense que je partirai de la même façon ». Mais les arguments de Stéphane Fouks le poussent à rester pour rejoindre Euro RSCG C&O. « Je renouais alors avec mes premières amours… Mais je me levais le matin, et j’avais l’impression d’arriver à la bibliothèque de Sciences Po ». Or, ce qu’il aime dans la publicité, c’est le côté « rock ‘n’ roll ». Il reste 8 mois.

 

Puis vient la rencontre avec Gabriel Gaultier, alors président de Leg. « J’aime beaucoup ce métier, mais je n’y admire pas grand monde. Le seul mec à l’époque que j’admirais avec une sorte de respect mêlé de peur, c’était Gabriel ». Quand ce dernier l’appelle pour travailler sur une compétition pour SFR, ils se découvrent des valeurs communes. Une fois la compétition gagnée, Gabriel Gaultier lui propose de rejoindre l’agence en qualité de Directeur Associé et du Développement.

Quatre ans plus tard, il a l’impression d’arriver à la fin d’un cycle. « Leg était devenu pour moi la quintessence de ce que devait être un agence en France : une agence créative, intelligente, et exigeante. J’avais l’impression d’avoir fait le tour et d’être arrivé à un aboutissement personnel, même s’il me restait encore beaucoup à apprendre ». Il hésite entre donner un autre sens à sa carrière, « sans savoir lequel » ou monter sa boîte. Les karmas respectifs d’Adrien Taquet et Gabriel Gaultier font qu’ils ont pensé la même chose au même moment. « On a quitté tous les deux Leg et le Groupe Havas, et on a fondé Jésus en janvier 2013. »

 

L’agence se positionne sur l’alimentaire, pour deux raisons. « Le marché ne nous attendait pas : c’est la crise, il y a beaucoup d’agences,… il nous fallait un positionnement pointu. Gabriel avait une grande expérience dans l’alimentaire, qui remonte à la Young de la grande époque ». Le secteur, « avec la lessive », est par ailleurs l’un des fondements de la publicité moderne. « En y regardant de plus près, on s’est rendu compte qu’il ne s’y passait pas grand-chose d’un point de vue créatif. Les agences ne perçoivent pas l’alimentaire comme sexy, ou pouvant faire des campagnes à prix ». Pour Jésus, c’est l’occasion de refonder la publicité alimentaire « pour refonder la pub dans son ensemble ». Et puis, « la bouffe, c’est de la culture. C’est sociologique. Quelque part, ce que les gens mettent dans leur caddie annonce les prémisses de l’état d’esprit d’un pays ». Pourquoi « Jésus » ? « Une fois qu’on a parlé de bonne bouffe, de culture, et de convivialité, on atterrit assez naturellement sur Jésus. Le repas du dimanche, la Cène, les noces de Cana… ».

 

L'agence est devenue une marque : « on a commencé à deux au fond d’une cour, et à force de travail, de talent, et de chance, les gens nous ont fait confiance ». Très vite, le groupe Ricard ou Mondelez les consulte. « En fin de première année, on était déjà une petite vingtaine ». On salue la performance. « On est partis à poil, et pourtant je n’ai pas douté un seul instant ». Au bout de deux ans, l’agence compte 35 personnes. « Je n’ai pas totalement fait mon deuil de la politique… Je rêvais de créer des millions d’emplois, j’en ai créé 35. Et il n’y a rien de plus extraordinaire que d’offrir un premier boulot à quelqu’un ».

Au-delà des clients, ils veulent mettre la barre haute. « On se dit que les marques alimentaires ont oublié de nous faire saliver ». Pour y remédier, ils s’inspirent des codes de la mode. « L’alimentaire, c’est pareil : il faut des photographes et des stylistes spécialisés. Le côté frenchie, le rayonnement à l’international… Il y a beaucoup de parallèles ».

 

La force de Jésus ? C’est aussi la rencontre entre Adrien Taquet et Gabriel Gaultier. « C’est lui qui m’a vraiment appris le métier. Il y a une grande confiance entre nous, et c’est fondamental. C’est un grand créatif et un grand stratège : il réussit à éclairer les sujets avec des perspectives totalement nouvelles ».

Jésus essaye de sortir de la frilosité française. « A une époque, regarder les murs du métro était une source de divertissement, d’étonnement, de choc. Aujourd’hui, c’est rien. C’est triste. Il ne faut pas s’étonner que les gens soient anti-pub. Il n’y a pas de raison qu’ils adhèrent à ce qu’on leur sert si ce n’est pas de qualité. Au contraire, c’est plutôt salvateur ». La faute des agences et des clients : la crise ne facilite pas la prise de risque. « Mais je suis optimiste : on va sortir de cette crise. Le French-bashing, c’est déplacé et non pertinent ». Pour lui, la France est un pays extraordinaire, qui regorge de forces vives. « Il faut que les initiatives soient massives, endossées par les politiques et le patronat au-delà des jeunes entrepreneurs des nouvelles technologies ». La solution : redonner confiance aux Français.

« Je pense que la publicité telle qu’on l’aimait, telle qu’elle devrait être, va mourir ». Les dirigeants d’agences doivent, selon lui, plutôt être des créatifs que des financiers et des commerciaux. «La pub ne doit pas devenir la république des gestionnaires. On a une chance incroyable d’avoir Gabriel. C’est son agence, c’est lui qui l’incarne ». Jésus est une agence stratégique et créative, « et c’est de plus en plus rare et de plus en plus dur ». Le problème, c’est qu’il n’est plus certain que ce métier attire. « Il y a une baisse globale de compétences ». Il ne croit pas forcément aux formations. « Ce métier s’apprend sur le tas. Vous êtes un bon publicitaire si vous êtes passionnés par la pub. La meilleure école, c’est de se confronter aux grandes campagnes ». Quant à la création et la créativité, « j’ai l’impression qu’au nom d’une certaine modernité on a oublié comment faire une affiche ». Il rencontre aujourd’hui des créatifs qui savent faire des dispositifs web, des films viraux, « mais avec qui il est inenvisageable de parler de typographie pendant des heures. Or c’est ça qui est passionnant. C’est la base de la communication ». C’est alors aux agences de former les gens, d’avoir cette exigence, de transmettre une profondeur et une rigueur à ses équipes.

 

Aujourd’hui, il insiste sur la nécessité de « protéger les talents ». « La pub n’est pas un métier comme les autres. La valeur d’une agence, c’est aussi la qualité de sa création. Un gestionnaire ne comprend pas ça : le lieu a son importance. Être au cœur de Paris ou à La Défense, ça n’est pas la même chose. Un jeune team doit être au cœur de la ville, parce que c’est là que tout se passe. Il faut qu’il puisse se barrer dans la journée pour se faire une expo ».

« Globalement, les agences ne sont plus respectées par les clients ». Il déplore que les agences deviennent des « prestataires de service ». « Je pense qu’il y a une vieille rancœur qui remonte à avant la loi Sapin. Peut-être inconsciente, mais c’est à ce moment-là que la défiance prend ses origines ». Si les agences se doivent de répondre à la demande des clients, elles ne peuvent pas être interchangeables. « Notre force, c’est notre matière grise, nos convictions, notre vision… On ne peut pas abandonner ça ».

 

Mélanie Roosen

Mélanie Roosen est rédactrice en chef web pour L'ADN. Ses sujets de prédilection ? L'innovation et l'engagement des entreprises, qu'il s'agisse de problématiques RH, RSE, de leurs missions, leur organisation, leur stratégie ou leur modèle économique.
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