
Ils ont arpenté océans, mers et imaginaires pendant plusieurs siècles avant de disparaître dans les années 1900. Aujourd’hui, sur fond d’urgence climatique, les mâts ont de nouveau le vent en poupe et offrent des perspectives prometteuses pour le transport de marchandises. On en discute avec Amandine Cortier, responsable sectorielle à la direction de l’Innovation, Bpifrance.
Moyen de fret privilégié des commerçants jusqu’au début du XXe siècle, le cargo à voile avait disparu au profit des véhicules motorisés. Depuis quelques années, il fait son grand retour. Et c’est plutôt une bonne nouvelle ! Avec 12 milliards de tonnes de marchandises transportées chaque année pour une consommation annuelle de 300 millions de tonnes de carburant, le secteur maritime est responsable de 3% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Et dans la traversée jusqu’à l’ambitieux objectif de neutralité carbone d’ici 2050, fixé par l’OMI (Organisation maritime internationale), la voile pourrait bien être un partenaire de premier choix.
À voile et (aussi) à moteur
« Lorsqu’on entend « voile », on a l’image d’un bateau de 20 mètres de long alors que le transport marchand à voile correspond surtout à des vraquiers, des cargos qui font jusqu’à 300 mètres de long », introduit Amandine Cortier, responsable sectorielle à la direction de l’Innovation, chez Bpifrance. C’était le cas du premier cargo à effectuer une ligne commerciale à propulsion éolienne, le Pyxis Ocean, un vraquier de 230 m de long appartenant à Mitsubishi Corporation qui s’est offert une seconde jeunesse en s’équipant en 2023 d’un système de propulsion vélique.
En France, en septembre 2024, l’Anemos, le plus grand voilier-cargo de la compagnie maritime TransOceanic Wind Transport (TOWT) a appareillé et bouclé son premier trajet transatlantique entre Le Havre et New York au bout de 20 jours de navigation, avec à son bord 1000 tonnes de cognac et de champagne. Contrairement à ceux du Pyxis Ocean, les flancs de l’Anemos sont neufs. Un atout, d’après Amandine Cortier, qui juge les systèmes de propulsion vélique « plus efficace sur des bateaux neufs ».
Mais au fait, de quoi sont faits ces systèmes ? De dispositifs fonctionnant à l'énergie du vent (voiles automatisées ou rotors) permettant d'assister partiellement le moteur thermique - avec un support à plus de 50% lorsque les conditions météo sont favorables. À ce jour, «une cinquantaine de navires sont équipés à travers le monde de systèmes véliques, permettant des économies d’énergie de l’ordre de 5 à 50% en fonction de la taille du navire », commente l’experte de Bpifrance. À horizon 2030, l’assistance vélique devrait concerner environ 1000 navires (dont 2/3 en neuf) d’après un rapport de rapport de Lloyd’s Register Group.
Des prévisions ambitieuses, soutenues par une réglementation européenne et internationale qui encourage la décarbonation du secteur. Amandine Cortier identifie notamment la généralisation des Zones de Contrôle des Émissions (ECA) comme un « des leviers économiques pour favoriser l’adoption de la propulsion vélique ». Déployés par l’OMI, ces espaces maritimes sous le joug de normes restrictives pour limiter la pollution des navires sont aujourd’hui au nombre de quatre dans le monde (Canada, États-Unis, Manche/Mer du Nord mer Baltique). Une cinquième devrait voir le jour prochainement en mer Méditerranée. À l’échelle de l'Europe et dans la lignée du Pacte vert, le règlement FuelEU Maritime pilote quant à lui la marche vers une filière plus verte.
Un secteur porté par le souffle de l’investissement public
La France peut-elle capitaliser sur son riche héritage maritime pour s'imposer dans l'industrie navale de demain ? « Oui et non » , tempère Amandine Cortier. Pour l’heure, « 80% des navires sont construits en Asie ». L’activité s’oriente naturellement vers ce continent et « les équipementiers européens envisagent d’industrialiser (…) à proximité des chantiers navals », commente-t-elle. La France dispose certes d'un écosystème maritime diversifié – bureaux d'études, startups ou équipementiers spécialisés – mais il lui manque l'élément central : une industrie de construction navale d'envergure.
Le secteur se heurte également à un obstacle plus classique mais tout aussi redoutable : la frilosité des investisseurs. « Les armateurs hésitent à investir dans des solutions nouvelles sans garantie de performance à long terme », observe Amandine Cortier, pointant ce cercle vicieux bien connu de l'innovation. Face à cette réticence du capital privé, l'intervention publique devient non pas souhaitable, mais indispensable. Et l'experte souligne les initiatives prises en ce sens : « Bpifrance finance six projets de propulsion vélique grâce à l’appel à projets Corimer ou au fonds de dotation CMA-CGM destiné à la décarbonation du maritime ».
Des mannes bienvenues quand on sait que la filière pourrait représenter « plus de 3000 emplois d’ici 2030 (notamment si on arrive à industrialiser en partie en France) », précise Amandine Cortier. « Les objectifs fixés sont d’acquérir 30 % du marché mondial avec 1 600 gréements (de systèmes de propulsion véliques, ndlr) installés d’ici 2030 ». Dans ces conditions, la France vélique aura - c’est sûr - le vent en poupe.
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