Murielle Lafaye : Anticiper et construire l’avenir du spatial

Murielle Lafaye a pris la parole le 24 juin dernier dans le cadre de la conférence de l'USI. Murielle Lafaye est ingénieure au Centre national d'études spatiales (CNES) et sous-directrice de l'Observatoire du spatial, une structure dédiée à l'intelligence économique et à la prospective. Entretien.
Murielle Lafaye, comment définiriez-vous votre raison d'être ?
Ma raison d'être, c'est la curiosité. Réfléchir et anticiper ce qui nous attend, ce qui va advenir.
Quelle est votre vision du monde de demain et quelles sont vos raisons d'espérer ?
Ma vision du monde de demain est positive ! Je l'imagine participative et collaborative, avec des personnes qui se posent des questions et cherchent à confronter leurs idées de manière constructive.
Aujourd'hui, à l'USI, nous parlons technologie et souveraineté. L'espace est-il, comme l'affirme notre Président, la « souveraineté des souverainetés » ? Qui sont les grands acteurs de l'écosystème spatial actuel ?
La souveraineté spatiale s'étend sur plusieurs aspects : industriel, scientifique, économique. Les grands acteurs incluent des industriels majeurs comme Airbus, Ariane Group, OHB, et GMV, ainsi que de nouveaux entrants comme Exotrail et MaiaSpace. Des entreprises du numérique, telles qu'Amazon Web Services et Microsoft Azure, bouleversent également le secteur. SpaceX, avec ses constellations Starlink et ses lanceurs, est incontournable. Ces acteurs modifient radicalement l'écosystème spatial, représentant une nouvelle économie spatiale façonnée à la fois par le secteur public et privé.
Vous avez mentionné des acteurs européens. Les Américains sont-ils toujours en avance ?
Les Américains ont effectivement une avance notable, soutenue par des investissements massifs de centaines de milliards de dollars par an. En comparaison, l'Europe investit entre dix et vingt milliards par an. Toutefois, l'Europe s'en sort bien avec des programmes majeurs dans le cadre de l'Agence spatiale européenne, couvrant l'exploration spatiale, la connectivité, l'observation et le géopositionnement. La concurrence est forte avec les USA, la Chine et la Russie, mais des pays comme l'Inde, le Japon, et bientôt certaines puissances du Moyen-Orient, émergent également dans ce domaine.
La conquête spatiale et l'écologie peuvent-elles être compatibles ?
Cela peut sembler difficilement compatible, car un lancement est énergétiquement coûteux. La production en série de satellites, en particulier pour les méga constellations, pose également des questions. Cependant, le CNES et la délégation au développement durable travaillent depuis longtemps sur ces enjeux. Des réflexions portent sur la nouvelle génération du port spatial de Kourou et sur l'ensemble de la filière spatiale pour réduire l'empreinte écologique. L'État, en tant que client, impose de nouvelles normes écologiques qui transforment la filière par un effet de boule de neige. Utiliser les ressources terrestres de manière frugale est essentiel, et il est nécessaire de donner les moyens à la filière de se transformer.
Vous considérez-vous engagée ? Pouvez-vous citer un engagement que vous avez réussi à tenir ?
Au niveau de l'agence spatiale, nous œuvrons pour des activités spatiales durables et respectueuses de l'espace. La France dispose d'une loi sur les opérations spatiales, imposant l'utilisation de certains matériaux et la gestion de la fin de vie des satellites. Personnellement, j'ai créé un think tank, Cible, qui réunit plus de 200 personnes, dont deux tiers ne sont pas du secteur spatial. Cela permet de croiser les perspectives et d'anticiper les transformations.
Y a-t-il une résolution que vous avez du mal à mettre en place ?
J'ai du mal à trouver un équilibre entre ma vie personnelle et professionnelle, car je suis passionnée par mon travail. Il est important de se rappeler qu'il faut aussi du temps pour soi.
Une rencontre particulière a-t-elle marqué votre carrière ?
Plusieurs personnes m'ont inspirée, notamment Claudie Haigneré, spationaute française, et Gilles Rabin, ancien chef économiste au CNES. Claude Allègre, alors ministre, a également marqué ma carrière avec sa phrase : « Montrez-nous que l'espace est utile à la société. » Cela a été un tournant pour moi, m'orientant vers le développement des usages du spatial dans des domaines tels que la gestion des catastrophes naturelles, l'environnement et la santé.
Quelles lectures vous ont particulièrement marqué ?
Les auteurs de science-fiction comme Frank Herbert, Isaac Asimov et Jack Vance m'ont profondément inspirée. Des ouvrages comme La troisième révolution industrielle de Jeremy Rifkin et les écrits de Jared Diamond sur les transformations sociétales m'ont également marqué.
Quels sont vos projets pour les années à venir ?
Pour les dix dernières années de ma carrière, j'aimerais me consacrer à des sujets touchant à l'environnement et à l'évolution de nos sociétés, des fondamentaux de nos vies sociétales et politiques.
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