Homme assis sur son canapé et parle à son assistant vocal

Ces assistants vocaux qui en savent plus sur vous que… vous

Avec Allianz
© grinvalds

Sa promesse ? Piloter vos objets connectés à distance. Sa perversité ? Offrir nos données aux plus offrants. On explore le futur de l’habitat avec Kashmir Hill, reporter pour Gizmodo.

Boom des assistants vocaux et des objets connectés à bas coûts, nouvelles fonctionnalités… les GAFA partent à la conquête de nos logements et sont en passe de démocratiser la « smart home » . Dans « The House That Spied On Me », Kashmir Hill, reporter pour Gizmodo, raconte son quotidien dans son appartement qu'elle a transformé en maison intelligente. La journaliste a d’abord beaucoup apprécié les avantages de la commande vocale permettant de déclencher rapidement et sans efforts lumières, cafetière et musique. Mais l’expérience va très vite virer au cauchemar. Dans un récit kafkaïen, Kashmir Hill nous dévoile la face sombre de la « smart home ».

Vous avez dit « smart » ?

 

Surprise, à l’ère de l’IA commander à distance tous ses objets connectés n’a rien d’évident et peut se révéler être un véritable casse-tête. « Parfois, nous répétions la question jusqu'à ce que la machine comprenne, mais le plus souvent, l'un de nous se levait, se dirigeait vers la cuisine et appuyait sur le bouton de la cafetière plutôt que de le faire «intelligemment». La journaliste s’est aperçue que ses objets ne pouvaient communiquer entre eux. Le problème ? Chaque marque a développé sa propre plateforme alors que l’intérêt de cette technologie réside dans la possibilité de commander à distance tous ses appareils à partir de n’importe quelle interface. Les promesses de simplicité d’usage resteront des postures publicitaires tant que les marques ne s’attaqueront pas à la fameuse interopérabilité de leurs appareils.

 

« La maison intelligente nous promet d'économiser du temps et des efforts », Kashmir Hill

 

Pire, dans son récit Kashmir Hill nous explique comment un simple aspirateur robot peut rendre fou son propriétaire. « Roomba nécessite votre attention, votre Roomba est bloqué, Roomba requiert votre attention, votre poubelle Roomba est pleine, le travail de nettoyage de Roomba a été annulé. ». Les objets nous comprennent mal et de surcroît, ils ont besoin de nous pour fonctionner…

 

« Les maisons intelligentes sont stupides. », Kashmir Hill

 

Un manque d’intuitivité qui a poussé Mira Robotis à développer un robot domestique contrôlé à distance. Proposer des robots à faible coûts et miser sur l’IA et les hommes pour effectuer des tâches domestiques… c’est la recette de la start-up japonaise. Demain, une famille londonienne pourra confier sa maison à une femme de ménage habitant Manille ou Mexico. Un smart contract  et une reconnaissance faciale plus tard et la voilà rémunérée pour téléguider toutes les tâches ménagères (et bientôt les services à la personne…) de riches familles à l’autre bout de la planète.

 

Surveiller et prédire

 

L’essor des assistants vocaux, qui s’achètent désormais pour quelques dizaines d’euros, a boosté le marché de la maison intelligente. Selon une étude de la GSMA, le marché mondial de l’IOT s’élèvera à 1100 milliards $ à l’horizon 2025. Si Apple, Amazon ou Alphabet, les trois sociétés qui espèrent dominer le marché, vantent tour à tour les mérites de la « smart home », on les découvre beaucoup moins bavards, presque mutiques, quand il s’agit de parler de leur modèle économique. Kashmir Hill n’a pas seulement truffé son deux pièces d’objets connectés, elle a aussi installé un routeur relié à tous ses appareils de façon à centraliser toutes les données produites et échangées avec les marques. Résultat ? « Big Brother is watching you » dans la cuisine, dans votre lit et même dans votre bouche si vous avez eu la drôle idée de vous procurer une de ces brosses à dents connectées. Ainsi, statut socio-économique, fréquence cardiaque, orgasmes, alimentation, sorties, goûts musicaux… rien n’échappe aux yeux et aux oreilles des firmes du big data. Si les marques tiennent tant à tout savoir de notre quotidien, c’est que ces précieuses informations sont au coeur même de leur modèle économique. À partir des données collectées sur votre intimité, les GAFA sont en mesure de vous cibler et de prédire vos comportements pour mieux les modifier. Une petite toux, une dispute avec votre mari, un frigo vide… et vous voilà assailli de promotions pour sirops, écharpes, séances de thérapie de couple, applications de rencontres, hypermarchés et restaurants prêts à vous livrer dans l’heure.

 

Le retour de la maison verre ou nouveau panoptisme domestique ?

 

Quand Kashmir Hill a quitté son domicile pour quelques jours, elle s’est aperçue que ses objets connectés continuaient à produire des données. Quand vous achetez un objet connecté, dites-vous bien qu’il ne vous appartient pas totalement. Les marques font constamment (et sournoisement) des mises à jour pour améliorer leur usage mais surtout pour supprimer ou ajouter des fonctionnalités dans l’objectif de récolter toujours plus de données… pour vous vendre toujours plus de produits ou de services.

 

« Avoir une smart home signifie que toutes les personnes qui y vivent ou qui y habitent font partie de votre panoptique personnel », Kashmir Hill

 

Les marques vous surveillent, vous surveillez vos proches qui à leur tour vous surveillent… de quoi faire de nos habitations de véritables maisons de verre ? Conceptualisée par l'écrivain allemand Paul Scheerbart, célébrée par Walter Benjamin et André Breton, la maison de verre, emblème du postmodernisme, nous interroge sur l’idéal d’un habitat aux cloisons transparentes et sur la valeur de l’intime. Le rêve d’un espace entièrement ouvert, où s’aboliraient les frontières entre l’intérieur et l’extérieur, le privé et le commun… Hannah Arendt, dans son étude du système totalitaire, fait de l'anéantissement de la distinction entre espace public et sphère privée l'un des éléments essentiels de la domination totalitaire. Il n’en fallait pas plus pour que l’utopie de la maison de verre disparaisse de nos esprits… pour mieux revenir un siècle plus tard ?

 

La « smart home », cheval de Troie du capitalisme de surveillance

 

« Révolutionnaire, magistral, alarmant… incontournable », difficile de ne pas évoquer la dernière publication très remarquée de Shoshana Zuboff lorsque l’on évoque la « smart home ». Dans The Age of Surveillance Capitalism, l’enseignante de Harvard parle du basculement, qu'elle situe au début des années 2000, de notre économie vers un capitalisme de surveillance fondé sur l’exploitation des prédictions comportementales issues du contrôle des utilisateurs. « Ils savent tout de nous, alors que leurs opérations sont conçues pour nous être inconnues. Ils prédisent notre avenir et configurent notre comportement, mais dans l'intérêt des objectifs des autres et de leurs gains financiers. Ce pouvoir de connaître et de modifier le comportement humain est sans précédent », s’inquiète l’auteure qui modernise les classiques de la philosophie et de la littérature en matière de contrôle social. On pense bien sûr à Foucault et Orwell

 

Demain, le luxe sera-t-il la déconnexion de son habitat pour reprendre le contrôle de sa vie privée laissant la « working class » phagocytée par le capitalisme de surveillance et son lot de services et de produits low-cost ? En attendant, les objets connectés se multiplient aux pieds de nos sapins. Les experts affirment que l’Europe comptera plus de 84 millions de maisons intelligentes d’ici la fin de 2022 et tablent sur une moyenne de 500 objets connectés par logement. Déçue de ne pas avoir trouvé le confort promis par la maison augmentée, Kashmir Hill, elle, se rappellera plutôt d’une expérience stressante.

Savez-vous que c’est surtout pour ses promesses en matière de sécurité (Intrusions, feux, baby-sitter…), que la maison intelligente séduit les consommateurs ? Encore un de ces « privacy paradox » ?

POUR ALLER PLUS LOIN :

>> Maison connectée, quel risque pour notre vie privée ?

>> Protégez vos données, demain vous paierez avec !

>> Demain, lèguerons-nous nos données et notre ADN ?

Sarah Sabsibo

Après un master de journalisme à l’IICP, Sarah Sabsibo débute sa carrière dans le développement durable, l’industrie automobile et les mobilités. Elle intègre plus tard La Côte Bleue et travaille sur des sujets liés à l'écologie, la finance solidaire et l’innovation sociale. Elle exercera à la communication du Mouvement des entrepreneurs sociaux avant de rejoindre L’ADN Studio.
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