
Les jeunes Chinoises aiment s’entourer de jeunes gens décoratifs. Quitte à payer !
Dans les cafés branchés de Canton ou sur les plateformes de services, des jeunes hommes sculptés monnayent leur apparence pour satisfaire une clientèle féminine qui assume ses désirs. Bienvenue dans l'économie des Kenfluencers.
Kenfluencers : certaines l’aiment chaud
Sizen, joli café de Canton, est connu pour son atmosphère calme et sophistiquée. Mais sur Instagram, TikTok et RedNote, la marque insiste sur sa nouvelle politique d'embauche : le personnel est désormais 100 % masculin et affiche, en plus d'une beauté renversante, une avenante courtoisie. Et ce sont eux qui renouvellent le succès de l'adresse. Dans un post devenu viral, les clientes sont invitées à bien vouloir se calmer et à traiter le personnel avec respect, et non comme de simples accessoires.
La chaîne de restaurants de fondue chinoise Cheng Dieyi déploie la même stratégie. Ses adresses sont reconnues pour leurs desserts élaborés – il paraît que leur glace « Visage du Seigneur Suprême » vaut le détour. Mais la marque est devenue un phénomène sur Douyin, le TikTok chinois, quand les clientes ont commencé à noter le physique des serveurs qui se baladent torse nu sous leurs tabliers. Le hashtag #ChengDieyi cumule 6,6 millions de lectures sur RedNote.
Ces jeunes hommes athlétiques, prêts à monétiser leur apparence avantageuse, portent déjà un nom : les « Kenfluencers » . Et leurs prestations ne se limitent pas à servir des cafés. Sur le réseau Xianyu, plateforme de services entre particuliers, de jeunes hommes (41% ont moins de 25 ans) proposent leurs services dans la rubrique « travail basé sur l'apparence ». En 2024, plus de 9 millions d'utilisateurs ont publié leurs CV accompagnés de leurs photos, déclarant être prêts à accepter toutes sortes de boulots auprès de femmes ayant les moyens : ménage, courses, soutien émotionnel, ou homme de compagnie.
Une tendance qui vient de loin : les « Little Fresh Meat »
Dès 2015 en Chine, l'expression « petits morceaux de viande » désignait déjà de jeunes hommes séduisants qui incarnaient le renouveau des critères masculins de beauté. Grands et galbés comme des athlètes, peau et traits parfaits, à la fois hypervirils et ultra-féminins, ces hommes répondaient aux critères édictés par une nouvelle génération de femmes très présentes sur les réseaux. En 2015, Forbes China lançait même un classement des Little Fresh Meat les plus populaires.
Cette nouvelle esthétique a été bien exploitée par les marques. L'Occitane a par exemple invité le chanteur et acteur Joker Xue à devenir son premier ambassadeur masculin en Chine en octobre 2016. Résultat : lors de la Fête des célibataires (Singles' Day), les ventes en ligne ont bondi de + 70 %. En mai 2017, la marque récidive avec une édition limitée sous l'égide de Luhan, le Justin Bieber chinois : 20 000 produits se sont vendus en 2 minutes sur Tmall. D'autres marques ont suivi : Yang Yang pour Guerlain, Wang Kai pour Estée Lauder... Les « Little Fresh Meat » étaient devenus les égéries masculines les plus efficaces pour vendre des produits... de beauté féminine.
Super nana cherche garçon décoratif
Mais en 2025, l'engouement pour les jolis messieurs prend un tournant radical. L' « économie féminine » (She Economy) chinoise continue de remodeler tous les secteurs d'activité. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : avec 624 millions d'utilisatrices d'Internet, les femmes représentent désormais près de 50 % de la population en ligne chinoise et contrôlent plus de 70% des achats domestiques (Alibaba). Par ailleurs, le pouvoir d'achat des femmes explose et leurs goûts s'expriment de manière plus assumée : les plus jeunes d'entre elles veulent affirmer leur « She Power » et rejettent les injonctions traditionnelles, y compris en matière de relations amoureuses.
Contrairement aux « Little Fresh Meat » des années 2010 (célébrités intouchables promues par les marques), les Kenfluencers sont accessibles à la fois physiquement et économiquement. C'est une version "pair-à-pair" d'un girl gaze émergent : n'importe quelle femme peut désormais consommer une présence masculine qui répond à ses critères : un physique et une modalité de relations agréables et sans friction. Pour quelques dizaines de yuans, toutes peuvent s'offrir un café servi par un homme sculpté et gentils, ou louer un "Ken" pour l'accompagner faire ses courses.
Les Kenfluencers sont-ils les pionniers d'une nouvelle égalité ? Ou assiste-t-on simplement à l'extension d'une logique marchande qui transforme désormais les corps masculins en produits de consommation ? Comme le souligne l'influenceuse sino-américaine Jessie Song (+ de 90 000 followers sur TikTok) : « À mesure que la conscience féministe grandit en Chine, davantage de femmes réalisent qu'elle peut devenir une forme de manipulation consumériste. Les marques doivent donc aborder cette tendance avec délicatesse. » La question reste donc ouverte : deux objectifications font-elles une égalité ? Entre émancipation féminine et récupération marchande, le phénomène des Kenfluencers révèle surtout que le modèle chinois, comme le modèle occidental, sait parfaitement transformer toute aspiration sociale en opportunité commerciale – y compris le désir d'égalité.







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