
Après avoir introduit le terme « Brainrot » en 2024, Oxford University Press a élu « rage bait » comme mot de l’année 2025. Retour sur une pratique qui est devenue une machine à cash, mais aussi un outil de communication politique.
Au détour d’un scroll ou d’un changement de chaînes, ils sont partout ; ils vous attrapent et vous agacent prodigieusement. « Ils », ce sont les rage baits, ces petites phrases (ou ces images) qui accrochent votre attention dans le but spécifique de provoquer une émotion négative. Le terme a été désigné par la maison d’édition du dictionnaire d’Oxford comme le mot de l’année 2025.
La meilleure industrie culturelle du Web
Extrêmement efficace pour générer des revenus en ligne, notamment en boostant le temps de visionnage des vidéos, leur viralité et l’engagement à travers les commentaires haineux, le rage bait est devenu une sorte d’industrie culturelle sur le Web. Mais ce dernier n'est pas né avec la vidéo en ligne, mais plutôt dans la culture troll qui hante le Web depuis l'époque des forums comme 4chan et le français 18-25 de Jeux-Video.com. L'idée de base était déjà là : utiliser toutes les astuces rhétoriques, surtout les plus absurdes, pour provoquer la colère de l'autre et le « battre ». La même logique de provocation et d'indignation va trouver un débouché économique avec l'arrivée des vidéos de « Karen » américaines dans lesquelles on voyait par exemple une femme d’âge moyen s’énerver dans un avion ou contre un caissier de Tesco. À partir des années 2015, les rage baits vont se multiplier et enrichir leur producteur.
Vous voulez un exemple ? Prenez l’ensemble du contenu du youtubeur Nikocado Avocado, spécialiste des mukbang – ces repas gargantuesques mangés face caméra. Sa prise de poids extrême entraînait des insultes et des incitations au suicide dans ses commentaires. En 2024, il a réalisé un happening fracassant : il se montrait svelte après un régime drastique et plusieurs opérations de chirurgie esthétique réalisées en deux ans. Cette révélation surprise fut aussi l’occasion pour le créateur de traiter ses viewers de « fourmis » qu’il se plaît à énerver, tel un machiavélique maître de la manipulation. Loin d’avoir vraiment fait la paix avec sa communauté, Nikocado Avocado a largement centré son succès sur la haine ou le dégoût qu’il continue de susciter.
L’ère du rage bait politique
Pour Casper Grathwohl, président d’Oxford Languages, le fait d’avoir mis en avant ce terme permet de souligner la transformation de nos interactions dans un monde dominé par la technologie et les extrêmes de la culture en ligne. « Le fait que l’expression “rage bait” existe et que son utilisation ait connu une telle augmentation signifie que nous sommes de plus en plus conscients des tactiques de manipulation dans lesquelles nous pouvons être entraînés en ligne, indique-t-il. Auparavant, Internet s’attachait à capter notre attention en suscitant notre curiosité en échange de clics, mais nous assistons aujourd’hui à un changement radical : il détourne et influence nos émotions et notre façon de réagir. »
C’est tout naturellement que l’on retrouve cette méthode dans la communication politique moderne. Le maître en la matière est évidemment Donald Trump, qui s’est récemment illustré en postant sur son compte Truth Social une vidéo le mettant en scène en train de larguer des tonnes de merde sur ses opposants politiques. Derrière lui, les communicants de la Maison Blanche ont emboîté le pas et publié régulièrement des mèmes surfant sur les dernières tendances IA ou ASMR afin de mettre en scène, de manière humiliante, des arrestations et des déportations d’immigrés.
En France, c’est Louis Sarkozy, candidat à la mairie de Menton, qui semble maîtriser à la perfection cet art de l’énervement. Le 3 décembre dernier, il suggère dans une interview d'abolir les feux rouges et les trottoirs, affirmant que « l’assistanat » tue les automobilistes. Un pur rage bait dont l’objectif n’est même pas d’être débattu sérieusement dans l’espace public, mais plutôt d’attirer l’attention des médias et des viewers, ainsi que d’élargir la fenêtre d’Overton (une métaphore qui désigne l’ensemble des idées ou pratiques acceptables par l’opinion publique). De quoi le propulser dans le top 5 des personnalités politiques les plus recherchées sur le Web d’après les tendances Google 2025. Merci le rage bait !




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