Adrien Brody devant une des ses œuvres

« Celebrity art » : les stars d'Hollywood à l'assaut des galeries d'art

© Bryan Berlin et zoom sur une œuvre d'Adrien Brody

Adrien Brody vend ses toiles 425 000 dollars, Robbie Williams expose au Moco Museum : le celebrity art est devenu un marché. Il s'inscrit dans la vague red-chip, dopée aux algorithmes et à la viralité.

Mai 2025, au célèbre gala caritatif de l'Amfar à Cannes. Adrien Brody met aux enchères une Marilyn Monroe de sa composition, dans un style pop art / street art très personnel. Moqué et ridiculisé sur les réseaux sociaux, l'acteur oscarisé voit pourtant son œuvre s'adjuger 425 000 dollars. Ce n'est pas une première pour Brody, qui avait déjà vendu il y a dix ans une œuvre pour 275 000 dollars.

À Londres, presque simultanément, Robbie Williams expose au Moco Museum des pièces qu'il dit réaliser en « 25 minutes », quasi à la chaîne : « J'ai 3 000 de ces [images]. J'en ai fait cinq hier », a-t-il déclaré au vernissage de Radical Honesty. Les critiques, peu sensibles à la performance, sont cinglantes – The Guardian parle d'un « art sourd, prétentieux et incroyablement mauvais ». Mais le marché, lui, semble valider : un tableau que l'ancien chanteur du boys band Take That a réalisé avec son ami Ed Godrich a été vendu 40 000 livres sterling chez Sotheby's en 2022. Williams, confiant sur ses dernières productions : « On ne les a pas encore commercialisées, mais je vais le faire, putain. Je pense que les grandes œuvres, celles qui se démarquent, ne seront pas accessibles à un prix abordable. Elles seront accessibles aux riches. »

Brody ou Williams ne sont pas les premières stars à exposer leur side project (expression à traduire par : activité lancée en parallèle de son travail principal : NDLR) dans une galerie d'art. D'autres l'ont déjà fait. On citera en vrac l'acteur Johnny Depp, l'humoriste Billy Connolly, les musiciens Boy George, Ronnie Wood et même Bob Dylan. Mais le celebrity art dans sa version 2026 pousse la logique beaucoup plus loin : dans une société toujours plus avide de fame culture, la notoriété ne se contente plus de compenser un manque de légitimité artistique, elle en tient lieu.

Gatekeepers court-circuités

Quelques semaines plus tard, c'est à l'Eden Gallery de Madison Avenue, à New York, que se pressent journalistes et collectionneurs. L'exposition Made in America montre plus de 30 œuvres d'Adrien Brody en techniques mixtes, un « gum wall » interactif où le public colle son chewing-gum mâché, dans une « expression interactive de rébellion et de décadence », et des soundscapes créés par Brody lui-même. L'ensemble, selon Interview, le magazine fondé par Andy Warhol, grand théoricien du culte de la célébrité, tient davantage de l'événement hollywoodien que du vernissage : tapis rouge, A Tribe Called Quest à fond dans les enceintes, ambiance de mini-gala.

Guy Klimovsky, CEO d'Eden Gallery, défend son artiste : « Oui, les gens viendront parce que c'est lui, mais ils oublieront. Quand je vois ses œuvres, sans savoir qui les a faites, je les trouve intéressantes. » Rebaptisée Eden House of Arts, la maison internationale de l'art contemporain entend d’ailleurs réinventer le modèle de la galerie classique. À New York, Miami, Londres, Dubaï ou Saint-Tropez, Eden déploie des espaces immersifs où l'expérience collective supplante la contemplation solitaire.

La marque revendique une démocratisation par la convivialité. Dans les faits, sa programmation s'articule surtout autour d'artistes déjà établis ou issus de cercles influents. Des figures comme Adrien Brody, Alec Monopoly ou Gal Yosef incarnent un capital culturel qui permet de court-circuiter les gatekeepers traditionnels — conservateurs, critiques, institutions académiques. La notoriété de Brody devient un capital suffisant, transformant la célébrité en valeur artistique. Un luxe – pouvoir créer pendant dix ans sans exposer, ou vendre — que ne connaîtront jamais les artistes émergents dépourvus de réseau ou de notoriété…

L'hécatombe des galeries

Faut-il y voir un signe des temps ? Pendant ce même été 2025, plusieurs galeries emblématiques américaines ont fermé brutalement leurs portes. Clearing, pionnière des hothouses (incubateurs) pour jeunes talents à New York et Los Angeles, annonce sa fermeture après quatorze ans d'activité. Blum, Venus Over Manhattan, Kasmin suivent dans la foulée, cette dernière opérant une profonde restructuration sous un nouveau nom. Ces fermetures reflètent une conjonction : coûts d'exploitation devenus insupportables (loyers exorbitants, frais logistiques, participations aux foires), fuite des artistes à forte valeur vers des écuries mondiales (Murakami, Anne Weyant, Henry Taylor) et contraction du marché contemporain après les années Covid. Le segment ultracontemporain a chuté de plus de 30 % au premier semestre, selon Artnet.

Cette crise est terrible pour les jeunes artistes : moins de galeries, moins de soutien institutionnel, et une compétition féroce pour des espaces qui sont désormais squattés par les stars et les red-chip artists.

Red-chip artists, dites-vous ? C'est Annie Armstrong, critique d’art influente basée à New York, qui a théorisé en 2025 le red-chip art. Le terme circulait depuis quelques années, mais c'est elle qui en a défini les contours de cette nouvelle force chaotique, culturelle et artistique, qui secoue le monde de l'art. Car l'art red-chip est « plus qu'une catégorie de marché, c'est un état d’esprit. » Un état d'esprit pour le moins coloré, pour ne pas dire bigarré, inspiré par la culture pop et le numérique, et très sensible au FOMO (Fear of Missing Out)– par opposition à la constitution d'un patrimoine. Définition posée, reste à en cartographier le terrain : codes, hiérarchie, écosystème – et ce que le red‑chip fait réellement au monde de l’art. Rendez-vous la semaine prochaine en deuxième partie.

Carolina Tomaz

Journaliste, rédactrice en chef du Livre des Tendances Business de L'ADN.

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