Un homme suspendu dans le vide, accroché à la montagne (image du film Cliffhanger)

Le pic de la newsletter est déjà passé et ne sauvera pas tous les journalistes

© Studio Canal, Cliffhanger

Boostée par l’effet Trump et les vedettes des grands médias, Substack a cru trouver la recette de la presse indépendante. Mais la saturation du marché et la stagnation des abonnements révèlent les failles du modèle.

Depuis la mi-2025, une vague d'inquiétude semble s’être emparée du petit monde de Substack. Pour le dire rapidement, la plateforme semble avoir dépassé le pic de progression des abonnements payants, et de nombreux créateurs de newsletters se plaignent de voir leur nombre de nouveaux abonnés mensuels, au mieux stagner, au pire régresser fortement – jusqu’à 90 % selon certaines sources.

Winners take all

Les raisons de ce coup d’arrêt sont assez faciles à comprendre. L’année 2025 a démarré avec un effet « Trump bump »  : le retour de Donald Trump sur le devant de la scène a provoqué un afflux d’abonnés vers des newsletters politiques et d’actualité. Dans la foulée, de grandes figures des médias traditionnels ont rejoint la plateforme, attirées par cette nouvelle effervescence. Jim Acosta, ancien présentateur de CNN, a ainsi réuni plus de 10 000 abonnés payants en quelques semaines. Joy Reid et Mehdi Hasan, fraîchement partis de MSNBC, se sont eux aussi lancés sur ce créneau.

Ce double mouvement a fait grimper le nombre total d’abonnements payants à près de 5 millions. Mais cet élan a rapidement trouvé ses limites. Le marché est désormais saturé, avec plus de 75 000 newsletters actives. Résultat : la plateforme est plus populaire que jamais, mais ce sont surtout ceux qui disposaient déjà d’un solide capital de notoriété qui en tirent profit.

Les jeunes auteurs, eux, peinent à émerger. Les comptes modestes, qui progressaient encore fin 2024, se mettent à stagner, d’autant que l’économie, sous Trump, se fait moins florissante. En fin de compte, seuls 17 000 comptes parviennent à générer des revenus, et pour la majorité d’entre eux, il ne s’agit que de quelques centaines de dollars par mois. Selon une analyse, 99,7 % des auteurs rémunérés estiment leur revenu annuel moyen à environ 16 000 dollars.

Les limites du journalisme de mécénat

C’est justement là que le bât blesse. Comme l’écrit la journaliste et chroniqueuse politique Ana Marie Cox dans le média TPM (Talking Points Memo), sa profession a réellement espéré voir dans l’écosystème des newsletters et des réseaux sociaux payants (comme Patreon) une planche de salut face au marasme économique de la presse.
« Face à la fermeture des rédactions et à la raréfaction des postes, les journalistes nouvellement au chômage se sont mis à leur compte par nécessité. “Abonnez-vous à ma newsletter” est devenu une formule de politesse aussi courante pour annoncer une perte d’emploi que “quelques nouvelles personnelles” pour partager une nouvelle fonction. »

La conséquence immédiate de cette individualisation du métier de journaliste, c’est sa précarisation et sa soumission au marché désigné par les plateformes. Pour mieux comprendre ce que cela signifie, Ana Marie Cox prend les exemples de l’influenceuse Jessica Reed Kraus et du journaliste Matt Taibbi, qui ont tous deux montré une dérive réactionnaire dans leurs écrits. La première est passée de la décoration d’intérieur au militantisme antiavortement, et le second, du magazine Rolling Stone et de la couverture des collusions russes de Donald Trump, à une collaboration avec Elon Musk sur le fumeux dossier des « Twitter Files », de soi-disant révélations de censure de la part des progressistes, qui se sont révélées fausses ou exagérées.

Pour Cox, cette indépendance liée aux plateformes force les journalistes à se conformer au marché dominant, dans une forme de clientélisme incompatible avec la fonction même du métier. Elle conclut que, dans un contexte politique compliqué, qui n’accepte plus les opinions discordantes, il faut, pour exercer ce métier, « soit un public large et stable, soit un financement sûr et garanti ». Et de conclure que le modèle du mécénat, c’est-à-dire celui des newsletters individualistes et payantes, ne permet pas de répondre à ces exigences.

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

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