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Ciment bas carbone, laisse béton ?

Avec Bpifrance
© Pixabay

Les chiffres donnent le vertige. Deuxième matériau le plus utilisé au monde après l’eau, le béton, par l’intermédiaire du ciment, est responsable à lui seul de plus de 2 milliards et demi de tonnes de CO₂ par an – soit presque trois fois plus que l'aviation mondiale, autant qu'un pays comme la Russie, ou l'équivalent de 435 millions de voitures en circulation. La solution réside-t-elle dans une version bas carbone ? Éléments de réponse avec deux experts de Bpifrance.

« Pour décarboner la filière de la construction, il faut agir sur le ciment », pose d'emblée Benjamin Barthier, responsable sectoriel Innovation à la direction des filières industrielles de Bpifrance. L'urgence se justifie : à elle seule, l'industrie cimentière est responsable de 7 % des émissions mondiales de CO₂ – si elle était un pays, seules la Chine et les États-Unis la dépasseraient. Et pour cause, le ciment est indispensable à la fabrication du béton conventionnel.

Deuxième produit le plus consommé au monde après l'eau, star du secteur du bâtiment depuis le XXe siècle, le béton se compose de granulats, d'eau et d'un principe actif liant : le ciment, historiquement le ciment Portland, dit CEM I. En France, on estime que chaque tonne de ciment produite génère en moyenne 611 kg de CO₂, soit l'équivalent de 5 000 à 6 500 km en voiture.

Sus au clinker !

« Pour comprendre pourquoi le ciment est si polluant, il faut s’arrêter un instant sur le clinker », reprend Aurélien Bosio, chargé de mission Industrie verte à la direction de la transformation et de la stratégie innovation. Ce constituant, principe actif du ciment, représente en moyenne 75 % de sa composition. Son procédé d’obtention est particulièrement émetteur, en raison de la réaction chimique nécessaire entre le calcaire et l’argile, réalisée à très haute température (1450°C). Ainsi, deux émissions se cumulent : la réaction chimique de formation du clinker (66 % des émissions), et la combustion d’énergies fossiles pour atteindre cette température extrême (33 %). Bien que les volumes du clinker correspondent à seulement 10 % de la composition du béton, il représente 90 % de ses émissions carbone, ce qui en fait un élément clé de la décarbonation de tout le secteur de la construction

Face à ce constat, deux stratégies sont possibles. « Le cimentier traditionnel produit du clinker, explique Benjamin Barthier. Il privilégiera la capture carbone des émissions dues à la réaction chimique. À court terme, des institutions comme l'ADEME mettent quant à elles l'accent sur des leviers de transition plus rapides à mettre en place et moins couteux, notamment le développement de ciments alternatifs contenant moins de clinker. » Les initiatives autour de la chimie du ciment « bas-clinker » se sont multipliées au sein de la filière française : CB Green, NeoCem, Materrup, GeoClay, Ecocem ou encore Hoffmann Green.

Pour diluer ce clinker, on peut valoriser des déchets industriels (aussi appelés coproduits), ou des composants minéraux spécifiques (argile, calcaire, gypse). « Parmi les acteurs qui se sont engagés sur ce chemin, Ecocem, entreprise historique de valorisation des coproduits de la sidérurgie, a mis au point le ciment ACT, abaissant à seulement 30 % la fraction de clinker en la remplaçant par des coproduits et des additifs minéraux ».   L’entreprise Materrup propose quant à elle un ciment composé jusqu’à 70 % d’argile crue, issue de déchets de carrières ou de terres excavées de chantiers. « On retrouve historiquement différents ciments autorisés sur le marché, commente Aurélien Bosio. Le CEM I qui émet 800 kg DE CO₂ par tonne, ou encore le CEM II, responsable de 506 kg DE CO₂ par tonne. Ensemble, ces ciments normés CEM I et CEM II correspondent à 85 % de la production française ». La facture carbone d’une technologie comme celle de Materrup, à base d’argiles crues, permet quant à elle de descendre jusqu’à 350 kg de CO₂ par tonne.

Pas si béton

Malgré ces avancées, la filière des ciments alternatifs est encore loin de supplanter les CEM I et CEM II, ce dernier représentant à lui seul 70 % de la consommation française. C’est toute la question du passage à l’échelle, rappelle Benjamin Barthier. « Comment rendre ces solutions disponibles et déployables en abondance sur le territoire ? Certains ciments alternatifs ne sont pas adaptés aux chantiers (ouvrabilité, non-adhésion, transport, mise en œuvre…), de même qu’ils ne sont pas adaptés à laconstruction structurelle, et n’assurent pas souvent une viabilité économique. »

Autre voie de décarbonation : le recyclage en fin de vie. « Le béton est un matériau lourd et peu transportable à moindre coût. Le recycler n'est pour l’instant pas rentable, étant donné le prix modique du ciment. Cette réalité économique pourrait à l’avenir être inversée si le prix du ciment neuf venait à augmenter significativement du fait de la hausse du coût de l’énergie et de la répercussion de la taxe carbone par les cimentiers. »

« Le meilleur levier de décarbonation reste la matière qu’on ne produira pas », complète Aurélien Bosio. La construction bois-béton, par exemple, réduit la quantité de béton coulée, tandis que la construction hors-site optimise les volumes utilisés et permet le recours à des ciments au temps de séchage plus lent. En France et à l’international, des initiatives de construction par impression 3D émergent également. « Ces solutions optimisent la quantité de béton nécessaire », ajoute-t-il. Témoin de leur potentiel, le cas de La Tour érigée en mars 2024 par la startup française Constructions 3D. Cette structure entièrement réalisée en béton a conquis le record du monde du bâtiment le plus haut imprimé en 3D : 14,21 mètres.

Et puisque la RE2020 impose de décarboner la construction neuve de 30 % à horizon 2030, les solutions sur toute la chaîne de valeur devraient se multiplier dans les années à venir.

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