Un jeu de Chase Tag

Kings league, HYROX, padel : les grosses ambitions médiatiques et économiques des néosports

© Alex Williams

Créer un engouement face à des disciplines sportives bien établies n’est pas une mince affaire. Padel, HYROX, Chase Tag et autres néosports tentent tous de consolider leur modèle pour s’inscrire dans la durée. 

À la fin des années 1960, l’homme d’affaires Enrique Corcuera a un souci. Dans le sud du Mexique, sa propriété d’Acapulco a un jardin trop petit pour accueillir un court de tennis. Loin de se résigner face à cette contrainte, il décide de créer un terrain adapté à l’espace dont il dispose. Pour que les balles ne partent pas au loin, il monte des murs autour, et, parce que les raquettes s’avèrent mal adaptées, il les redessine plus courtes et percées de trous. Quant aux règles, elles se structurent peu à peu, au fil des parties avec ses amis. Le moustachu au front dégarni l’ignore. Mais il vient de créer le hit sportif du siècle suivant : le padel. Dès les années 1980, le sport se démocratise dans les pays hispaniques, et au tournant des années 2010, il conquiert la France. 

Des mondes qui se professionnalisent

Si l’Hexagone a tardé à basculer dans la folie padel, ce sport bénéficie désormais d’un soutien de taille. « Depuis qu’elle a obtenu sa délégation en 2014, c’est la Fédération française de tennis elle-même qui accompagne le développement de la discipline, pose Stéphanie Cohen-Aloro, chargée de ce nouveau sport au sein de l’instance. On s’occupe aussi du beach tennis et on espère bientôt aussi avoir le pickleball dans notre giron, un nouveau sport de raquette très populaire aux États-Unis. L’idée, c’est que ces nouveaux sports profitent de l’expérience de la fédé. » La structure française a apporté son savoir-faire d’organisatrice de compétitions et de formatrice des enseignants, mais aussi des moyens pour aider à l’ouverture de terrains. La réussite est totale. Fin 2024, 66 000 personnes détenaient une licence exclusivement dédiée au padel, et le nombre de pratiquants dans l’Hexagone dépasse le demi-million. Cette prise en charge est une exception. Dans d’autres pays, les structures chargées du tennis voient dans le padel un concurrent.

Désormais, la France accueille l’un des principaux tournois de la pratique, le Paris Premier Padel Major. « Maintenant que nous avons 7 000 clubs affiliés, on travaille beaucoup sur l’émergence du circuit professionnel, poursuit l’ancienne joueuse professionnelle de tennis. Nous avons conscience que le développement de notre sport passera aussi par nos champions. Avoir des stars reconnues dans un sport fait automatiquement progresser le nombre de licenciés. » Et pour la France, ce n’est pas gagné, car nous manquons cruellement de têtes d’affiche. L’an dernier, l’équipe nationale a terminé à la septième place des championnats du monde. Un score insuffisant pour susciter des vocations.

De l’importance d’être vu sur les réseaux et à la télévision

Bien conscient de l’impact que peut avoir la médiatisation, un autre jeune sport a opté pour une stratégie très différente. Le Chase Tag propose une version explosive et spectaculaire du jeu du chat et de la souris et a toujours reposé sur la qualité de ses retransmissions. « Notre sport a été imaginé en 2012 par deux frères anglais dont l’ambition était de structurer une version divertissante de ce jeu de cour de récréation, raconte Loïc Ascarino, responsable des licences mondiales de World Chase Tag, l’ayant droit. Ils l’ont pensé dès le départ comme un produit plaisant à regarder avec des règles spectaculaires et une scénographie très travaillée. » L’entrée des joueurs, les commentaires endiablés, le jeu de lumière et les multiples caméras placées tout autour du terrain permettent une production ultra-énergique qui a tout de suite trouvé son public.

Treize ans seulement après la création du Chase Tag, ses compétitions disposent d’une bonne exposition sur les réseaux sociaux. Les compilations des meilleures actions y cumulent des centaines de millions de vues, et, sur TikTok, le Chase Tag est suivi par plus d’un million et demi de personnes. Son côté nerveux dans lequel il s’agit de toucher son adversaire en moins de vingt secondes s’avère parfaitement adapté aux codes viraux du réseau social chinois. 

Reste un enjeu important pour l’ensemble de ces pratiques : la retransmission sur les chaînes de télévision. Pour ces nouvelles disciplines, difficile de se faire une place dans les grilles des programmes très bataillées par les sports établis. « Cela ne nous empêche pas d’être tout de même diffusés dans 35 pays, poursuit avec assurance ce mordu de parkour. On est parfois payés pour l’être, mais pas systématiquement. On suit une logique de startup : on veut être partout, même si c’est à perte. » 

Les championnats du monde de cette version modernisée du jeu du chat et de la souris sont déjà retransmis sur La Chaîne L’Équipe et depuis plusieurs années. En attendant d’être suffisamment connue pour faire de la retransmission un élément central de son modèle économique, la nouvelle génération des activités physiques cherche à massifier ses pratiques. Aux yeux des équipes du Chase Tag, le temps est d’ailleurs venu de changer de stratégie et de démocratiser cette activité encore trop confidentielle. 

Diversifier son modèle économique

Pour gonfler sa trésorerie, le Chase Tag concentre désormais une grande partie de ses efforts sur son système de licence. À l’image du CrossFit, une pratique de musculation en vogue ces dernières années, les clubs souhaitant proposer du Chase Tag doivent payer des droits chaque année. Un montant de 1 200 euros annuels, auquel s’ajoute le prix du matériel indispensable à la pratique – une structure composée de différents obstacles. Son coût ? D’une dizaine à une quarantaine de milliers d’euros, principalement en fonction de la distance de livraison.

Et gare à ceux qui seraient tentés d’ouvrir leur salle sans passer par World Chase Tag. L’organisation est propriétaire des droits intellectuels. Autrement dit, s’il est possible de tracer les lignes de son propre terrain de football dans un champ et de monter son club du jour au lendemain, ce n’est pas le cas pour la version dynamique du jeu du chat et de la souris. Et le Chase Tag n’est pas une exception : de nombreux nouveaux sports fonctionnent sur ce modèle privé. 

Par exemple, l’HYROX. Cette discipline à mi-chemin entre course à pied et exercices de fitness a beaucoup fait parler d’elle début 2025 en réunissant 12 000 adeptes au Grand Palais à Paris. Les compétitions d’HYROX sont toujours organisées dans de grandes salles et pensées comme des évènements aussi rares que festifs. Une réussite, puisqu’ils sont rapidement et systématiquement sold out. Ils rapportent même doublement, vu que les athlètes sont souvent accompagnés de proches qui viennent les encourager et réservent alors un billet « spectateur », payant également. « La vente de places pour nos compétitions est notre principale source de revenus, détaille Héloïse Péricard, directrice marketing France de la discipline. Mais on se repose aussi un peu sur le système d’affiliation. » Six cent cinquante salles de sport en France proposent déjà des cours d’HYROX, un nom qu’elles peuvent afficher contre 130 euros par mois. Et ce n’est qu’un début. Il y a un an, moins de 100 salles en France donnaient accès à ce type de cours.

Les premières années de cette pratique mise au point en 2017 par Christian Toetzke, un entrepreneur spécialisé dans les évènements sportifs, et Moritz Fürste, un double champion olympique de hockey sur gazon, ont pourtant été poussives. Mais comme les autres nouveaux sports, l’HYROX a profité du boom de l’activité physique postconfinement. « Le Covid a presque été un mal pour le secteur, constate Héloïse Péricard. Tout a été à l’arrêt, mais de nombreuses personnes se sont mises à la course à pied et au fitness. Il y a eu une prise de conscience globale dans la société et la pratique sportive a explosé après la pandémie. » Pour accompagner cette croissance rapide, les équipes d’HYROX tentent désormais de diversifier ses revenus. En marge de leurs compétitions, elles proposent leur propre merchandising grâce à un partenariat noué avec la marque Puma.

Une croissance fondée sur l’inclusivité

Qu’ils soient gérés par une fédération ou par une entreprise privée, les sports nouvelle génération ont un point commun : brasser large. « Notre objectif, c’est de parler à plusieurs cibles, assume la directrice marketing France d’HYROX. On veut parler à des personnes peu sportives comme à ceux qui pratiquent déjà et qui cherchent un complément. » Pour que les performances sportives soient accessibles à tous, ce sport hybride se repose sur des gestes peu techniques et donc à la portée de tous. Mais surtout, il propose des parcours adaptés au plus grand nombre avec des degrés de difficultés divers.

La prise en main du padel se veut, elle aussi, facile. Dès la première heure de jeu, les néophytes peuvent prendre du plaisir là où une grande partie des sports issus du xixe siècle demandent des mois d’entraînement pour être maîtrisés un minimum. La logique de ces nouvelles pratiques est simple : moins le sport exclut de potentiels joueurs, plus il a de chances de voir des personnes se laisser séduire et donc y investir du temps et de l’argent. 

C’est d’ailleurs l’une des problématiques auxquelles est confronté le Chase Tag. Plus difficile d’accès que ses concurrents, il demande à ses adeptes d’être très complets sur le plan physique. En bon VRP, Loïc Ascarino assure pourtant que sa discipline reste accessible : « Elle donne l’impression qu’il faut être aussi fort, alors que courir après son concurrent ne demande pas autant de compétences que cela. C’est un jeu instinctif et universel. On joue tous à se poursuivre dès notre plus jeune âge. » 

Mais le plus dur commence maintenant pour ces divertissements du XXIe siècle. Face à des disciplines centenaires, les nouveaux sports doivent inventer des modèles hybrides, entre spectacle, accessibilité et viralité. Leur avenir dépendra de leur capacité à combiner reconnaissance institutionnelle, présence médiatique et ancrage local, sans perdre leur originalité.

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