Un champ de photovoltaïques

« L'investissement vert a un potentiel de développement très important »

© Andreas Gucklhorn

La finance verte pourrait-elle devenir le principal levier de croissance de la finance traditionnelle ?

Fin connaisseur des green bonds, littéralement les obligations vertes, parfois appelées obligations environnementales, Jonathan Aiach est directeur du développement de CapMan, un fonds d’investissement scandinave spécialisé dans le financement de la transition énergétique qui achète des sociétés dans les pays nordiques pour investir dans l'amélioration de leur empreinte carbone. À ce jour, CapMan gère 5,7 milliards d'euros d'actifs verts. 

Quelle est actuellement la part de l'investissement privé dans la transition énergétique et la sortie du pétrole ?

Jonathan Aiach : Elle est de plus en plus importante et en croissance. Il n'y a presque plus d'investisseurs qui considèrent que soutenir des projets en lien avec les hydrocarbures est une bonne idée. C'est même quelque chose qui est aujourd'hui quasiment prohibé. Ce n'est plus perçu comme propice à l'investissement. 

Ce qui est clair, c'est que l'argent investi dans l'exploitation des sources d'énergie va être maintenant en grande partie dirigé vers les renouvelables. Par exemple, nous travaillons avec un fonds d'investissement qui va financer l'installation de panneaux solaires dans le sud de la Finlande. Nous levons de l'argent auprès d'investisseurs privés ou de fonds de pension et nous installons des panneaux photovoltaïques. En parallèle, nous allons investir dans des sociétés qui opèrent des ferries ou des bus pour électrifier les flottes. Nous allons également essayer d'implanter de nouvelles technologies à l'hydrogène pour certains bus, certains bateaux, et puis nous allons améliorer les processus d'utilisation de l'énergie, la gouvernance... Cela veut dire que l'investissement va passer par plusieurs canaux. Il y a un phénomène de diversification. 

Pourquoi le secteur bancaire et le monde de la finance ont redirigé leurs investissements dans la transition environnementale ?

J.A. : Ce qu'il faut comprendre, c'est que le prix de production des énergies renouvelables a fortement diminué jusqu'à atteindre des coûts vraiment très bas. Dans le même mouvement, elles sont devenues à la fois abordables et compétitives, et de ce fait « bankable », que ce soit pour le solaire ou l'éolien, mais également pour d'autres méthodes plus expérimentales, comme le biogaz ou l'hydrogène.

Ensuite, la guerre en Ukraine a mis en lumière qu'il est devenu possible de remplacer les énergies fossiles à moindre coût. Ça ne veut pas dire pour autant que tous les pays le font et qu'ils ne continuent pas à investir dans le pétrole. La France et l'Allemagne achètent encore des hydrocarbures à la Russie par des moyens détournés, en passant par des pays tiers. En réalité, il y a encore une grande partie de l'énergie qui est carbonée, mais ce conflit a montré qu'il était possible de faire basculer les approvisionnements vers d'autres sources sans grever l'économie, ce qui a rassuré le monde de la finance. 

Enfin, il faut voir que, jusqu'à présent, il y avait un fort soutien des gouvernements pour favoriser le passage aux énergies renouvelables, mais que celui-ci a maintenant tendance à s'amenuiser. Les panneaux solaires étaient fortement subventionnés, de même que les voitures électriques, avec les bonus qui avaient été mis en place en France, et qui étaient potentiellement encore plus importants dans d'autres pays. Par exemple, à Oslo, il y a maintenant une écrasante majorité de voitures électriques, car le gouvernement a injecté beaucoup d'argent pour favoriser l'achat de ce type de véhicule, mais ces investissements ont depuis peu été réduits de manière drastique. De ce fait, l'argent privé remplace de plus en plus l'argent public. Ces différents éléments font que l'investissement vert a un potentiel de développement très important.

L'investissement vert devient-il le principal levier de la baisse des émissions ?

J.A. : C'est en effet le cas. Il ne faut pas oublier que tous les secteurs de l'économie doivent être décarbonés, et que certains, par exemple l'industrie, sont particulièrement émetteurs en CO2. Il faut nécessairement investir pour les dépolluer. C'est ce qui fait que la transition environnementale flèche énormément de capitaux. La politique de taux très bas mise en place par la BCE, qui a duré pendant plusieurs années, a permis d'injecter énormément d'argent privé dans la décarbonation. 

Quel rôle tient la géopolitique dans l'investissement vert ? 

J.A. : Au début de la guerre en Ukraine, l'Europe était confrontée à des besoins énergétiques à court terme, avec une forte augmentation des prix de l'électricité pour les particuliers et pour les entreprises. Il fallait trouver rapidement des façons de gagner en souveraineté et de dépendre le moins possible des autres pays. Le problème, c'est que la transition énergétique est un processus long qui ne doit pas aboutir à une perte de compétitivité pour l'Europe. Le principal effet de cette contrainte, c'est que les gouvernements ont commencé à travailler de façon de plus en plus coordonnée. La Finlande n'a mis qu'une journée pour « switcher » ses achats d'électricité vers la Suède parce que le réseau reliant ces deux pays était opérationnel. 

Alors que la Chine produit l'écrasante majorité des panneaux solaires dans le monde, qu'elle a accès aux matières premières pour les fabriquer, et qu'elle possède le savoir-faire, l'Europe doit pouvoir diversifier le plus possible ses approvisionnements, ce qui nécessite des investissements.

Est-ce que les investisseurs occidentaux ont plutôt tendance à soutenir des sociétés européennes ou américaines ?

J.A. : La dépendance vis-à-vis de la Chine est en grande partie une question d'importations de matières premières ou de produits quasi finis, comme les panneaux solaires. C'est un pays qui investit énormément partout dans le monde, en Afrique, au Moyen-Orient... Les Chinois créent leurs propres plateformes et leurs propres infrastructures pour avoir leurs propres débouchés, vendre leurs produits et installer des gens qui vont construire des usines. Je ne pense pas que la réciproque soit vraie. Beaucoup d'industriels européens ont des usines en Chine, mais sans avoir leurs propres infrastructures. Ça fonctionne dans un seul sens. Le rapport de force est inégal. De ce fait, les fonds européens investissent surtout dans les infrastructures européennes. 

Chez les investisseurs, il y a donc une forme de patriotisme économique ? 

J.A. : En quelque sorte. C'était en tout cas vrai jusqu'à il n'y a pas très longtemps, puis ça s'est vraiment progressivement ouvert. Avec les taux d'intérêt très bas de la BCE, il y a eu une explosion des financements. D'un seul coup, il y a eu énormément d'argent disponible. Ça a complètement dopé le marché des actifs verts. Les fonds français qui étaient les plus conservateurs ont commencé à investir en Suède, en Italie, aux États-Unis, etc. 

Le curseur est mis sur le photovoltaïque et l'éolien, mais est-ce que la biomasse, la géothermie et l'hydroélectricité pourraient prendre de la valeur ? 

J.A. : Pour ce qui est de l'hydroélectricité, ce n'est pas simple, bien que ce soit une énergie constante et fiable, avec très peu de variabilité. La construction de barrages est contrainte par le paysage, les ressources, le niveau de pluviométrie, le fait que les gens ne veulent pas voir ce type d'infrastructure près de chez eux. En France, le potentiel de développement de ces projets n'est pas énorme. Il est nettement plus important dans les pays nordiques. 

La biomasse a plus de potentiel. Nous regardons ce type de financements, mais c'est encore vraiment le début. Il y a des fonds de type venture-capital tournés vers les technologies nouvelles qui vont pousser en avant les investissements. Ça va nécessairement prendre de l'importance. Pareil avec l'hydrogène. 

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