
L’intelligence artificielle ne propose pas seulement une nouvelle génération d’outils : elle bouleverse la manière dont les entreprises décident, innovent et interagissent avec leurs clients. Dans un contexte d’accélération technologique, une question domine : comment transformer sans s’égarer ?
Depuis quelques années, l’IA s’est imposée comme une obsession dans presque toutes les entreprises. Conférences, tribunes, Proof of concepts (POC) en série : partout, la même course à l’adoption. Mais derrière l’enthousiasme, il convient de se demander comment transformer durablement dans un contexte où la vitesse technologique excède la vitesse d’intégration des organisations. « L’IA est un moyen, pas une fin », rappelle Grégory Sion, directeur général de Pierre & Vacances. Derrière cette formule, une conviction : la transformation ne doit pas être une fuite en avant.
Innover sans se perdre
Dans l’histoire de Pierre & Vacances, l’IA n’est pas une nouveauté. Cela fait plus de dix ans, qu’elle sert à analyser les conversations et les avis clients. « L’IA nous a permis d’identifier à la fois ce qu’on appelle le sentiment analysis et de sortir : est-ce que les clients sont contents, pas contents ? Et quand ils ne sont pas contents, quels sont les éléments de mécontentement ? » explique Grégory Sion.
Cette approche graduelle illustre un paradoxe plus large : l’IA est une rupture, mais elle n'exempte pas d’un patient travail de fond. Loin des grands discours, la transformation se joue dans la capacité à traiter « un par un » les irritants, à améliorer la relation client au quotidien. L’erreur serait de voir l’IA comme une baguette magique, un raccourci vers l’innovation. « Ce n’est pas un chatbot qui va traiter un client avec le sourire, ça n’arrivera jamais », insiste Grégory Sion. Autrement dit : la technologie ne remplace pas l’ADN d’une marque, elle doit le renforcer.
La tentation du gadget
Beaucoup d’organisations cèdent pourtant à une autre logique : celle de l’innovation de « vitrine », autrement dit, une course où le POC devient un objectif en soi, au risque de perdre le sens. Le directeur général de Pierre & Vacances, lui, prône l’efficacité : mesurer, déployer à grande échelle ce qui fonctionne, tuer vite ce qui échoue. « Chez nous, c’est : ça marche, ou ça ne marche pas. » Dans ce cadre, l’IA n’est ni un gadget, ni une obsession : elle doit répondre à des objectifs concrets, au premier rang desquels l’amélioration de la satisfaction client.
Amorcer ce genre de transformation n’est pas un long fleuve tranquille. Elle se nourrit d’essais, d’erreurs, d’itérations. Chez Pierre & Vacances, cette logique s’incarne dans Alfred, un ChatGPT maison, opéré par OpenAI mais paramétré pour le Groupe Pierre & Vacances Center Parcs, donc entièrement sécurisé. « On l'a mis en pilote il y a six/neuf mois. Une première version est sortie au bout de trois mois. Tous les trois mois, on sort une nouvelle version avec plus de fonctionnalités », explique Grégory Sion.
Cette cadence rappelle que l’incertitude n’est pas un obstacle, mais une condition. La transformation suppose d’avancer sans visibilité parfaite, d’accepter que les usages émergent par tâtonnements. C’est moins une révolution fulgurante qu’un apprentissage collectif.
L’humain au centre
Car si l’IA rebat les cartes, elle n’efface pas l’importance des équipes. « L’IA, c’est pour tout le monde », affirme Grégory Sion. Le Groupe Pierre & Vacances Center Parcs, a mis en place une communauté d’ « ambassadeurs » qui explorent, partagent et diffusent leurs cas d’usage. « Dans les RH, le juridique, la relation client : partout, des collaborateurs s’approprient les outils, parfois après une phase de scepticisme. Cette démarche illustre un point clé : l’IA ne peut pas être un projet isolé dans un « lab » technologique. Son adoption suppose un travail de pédagogie, d’acculturation, d’alignement avec les métiers. Loin de l’automatisation pure, l’enjeu est de rendre les équipes plus performantes, plus disponibles, plus proches du client. »
En arrière-plan, c’est une philosophie du temps qui se dessine. La révolution IA impose une accélération permanente, mais l’entreprise ne peut pas avancer en permanence à marche forcée. Elle doit préserver sa capacité à choisir, à hiérarchiser, à renoncer. « Choisir ses combats, commencer petit, tout mesurer, et savoir renoncer quand ça ne fonctionne pas », conseille Grégory Sion. À l’heure où beaucoup d’entreprises confondent vitesse et direction, cette lucidité sonne comme un rappel salutaire. Transformer, ce n’est pas seulement adopter de nouvelles technologies : c’est garder un cap, même dans l’incertitude.
L’IA devient alors un révélateur : de la cohérence (ou de l’incohérence) entre discours et pratiques, entre vision stratégique et exécution, entre promesses et expérience réelle. C’est peut-être là sa contribution la plus profonde : obliger les entreprises à clarifier ce qu’elles veulent vraiment devenir. Et à rappeler, comme boussole, un objectif qui ne change pas : « que le client ait le sourire, qu’il vive la meilleure expérience de vacances, qu’il veuille en parler à ses amis et revenir. »
Entre intelligence artificielle et expérience humaine, la transformation des entreprises ne se résume plus à adopter de nouveaux outils : il s’agit de garder le cap dans l’incertitude tout en préservant le sens de la relation client. Ces questions traversent aujourd’hui toutes les réflexions sur l’avenir de l’expérience client et nourriront les débats de la prochaine édition de One to One IA x Expérience Client, du 30 septembre au 2 octobre à Biarritz, un rendez-vous où professionnels de l’IA et de l’expérience client confronteront leurs visions entre pragmatisme, ambition et responsabilité.
Participer à la conversation