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L’IA, compagnon de paillasse de la recherche clinique

Avec EDHEC

Jumeaux numériques, bras synthétiques de données : la science avance vite, mais soulève des questions majeures. Loïck Menvielle, professeur à l’EDHEC et directeur de la chaire Management in Innovative Health, rassemblait au printemps 2025 plusieurs personnalités à l'avant-poste de cette médecine du futur. Récit de leurs échanges.

Génératrice d’images, de textes ou de code, l’IA connaît une adoption fulgurante dans le grand public. Mais en santé, les avancées sont plus nuancées. « À peine 10 % des praticiens se disent à l’aise avec l’IA », rappelle Loïck Menvielle. Pourtant, l’intégration de l’IA pourrait profondément améliorer la médecine : analyse automatisée de données, création de protocoles, anticipation des trajectoires cliniques, ou encore sélection intelligente de patients dans les essais cliniques. Ces outils, fondés sur des algorithmes puissants, marquent une évolution majeure vers une médecine plus prédictive et personnalisée. Mais à mesure que ces technologies s’installent, elles soulèvent d’importants défis éthiques, méthodologiques et réglementaires que les systèmes de santé doivent impérativement relever.

Des essais cliniques assistés par l’IA ? Oui, mais...

« L’IA est partout sur nos écrans de télévision, d’ordinateur, nos téléphones. On en parle constamment », pose Caroline Beaufour, responsable Innovation – Développement clinique chez Servier. « Dans la réalité de nos pratiques d’industriels pharmaceutiques, elle reste toutefois un sujet d’exploration. On réfléchit encore à comment et pourquoi la déployer ». Pour les praticiens et la recherche clinique, l’horizon reste encore lointain, comme le confirme Antoine Iannessi, directeur médical de Median Technologies, une structure qui accompagne les acteurs du secteur médical dans l’intégration de l’IA à leurs pratiques : « La technologie est mature, mais le cadre (financier, réglementaire ou d’usages, ndlr) n’est pas encore là. » 

Du côté d’Andy Karabajakian, directeur Oncologie chez Owkin, l’enthousiasme est plus nourri. « Dans deux domaines de soins cliniques en particulier, l’IA est déjà une réalité. » C’est le cas en radiologie, à travers l’aide au diagnostic grâce à l’analyse d’images (détection de fractures et nodules pulmonaires, notamment), mais également dans le soutien au développement de la pathologie numérique. La startup franco-américaine a par exemple mis au point un outil de deep learning, RlapsRisk, capable de prédire les risques de rechute de cancers. « Il est actuellement en test à l’hôpital Bicêtre AP-HP. » Reste donc à faire certifier l’outil par les autorités sanitaires. Un passage obligé qui devrait également rassurer les futurs patients. 

Une histoire de défIAnce

La confiance, c’est tout le cœur du problème. « L’EDHEC a réalisé une étude sur le sujet, explique Loïck Menvielle. 40 % des femmes interrogées déclarent ne pas faire confiance à ce type de solutions », d’après le baromètre EDHEC IPSOS Bristol Myers Squibb en 2024. Pour Pierre Loulergue, infectiologue, immunologiste et membre du think-tank Ethik-IA, cette inquiétude pourrait se transformer en opportunité : « Nous sommes à un moment historique dans le domaine de la santé. Nous avons encore le temps et la possibilité de bien accompagner cette révolution technologique. » Et ce faisant, de bien rassurer les patients et les professionnels de santé. Andy Karabajakian insiste quant à lui sur l’importance de « l’explicabilité et la traçabilité de ces outils » pour endiguer la défiance collective face à l’intelligence artificielle. « Mais soulever le capot de l’IA et favoriser la transparence du cheminement pour l’utilisateur n’est pas chose aisée, tempère Antoine Iannessi, cela implique en amont de penser tous nos modèles à cette fin. »

Appliquée aux essais cliniques, la question de l’explicabilité de l’IA interroge également, comme le rappelle Caroline Beaufour : « On a aujourd’hui beaucoup de mal à détecter la part d’IA et de non-IA dans l’évolution d’un traitement médical. » Son espoir repose en revanche sur la capacité de la technologie à détecter les patients les plus susceptibles de réagir favorablement à un traitement. Mais pour ce faire, comme pour bien des applications de l’IA tous domaines confondus, l’outil a besoin d’un « carburant » : la donnée. Et en santé, elle se fait rare et est disputée. 

Responsable du Ségur numérique au ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, Olivier Clatz dissipe ces inquiétudes. Le programme qu’il dirige vise à généraliser et fluidifier l’utilisation des données de santé, et la France semble promise à des perspectives plus favorables que ses voisins européens. « Depuis la fin 2023, ce sont plus de 250 millions de documents de santé qui ont été échangés via Mon espace santé (carnet numérique de santé, ndlr). Le pays possède l’un des parcours de soins numériques les plus avancés au monde. » Un volume de données amené à être enrichi par celles de l’imagerie numérique, et bientôt des analyses génétiques. 

À travers ces témoignages, une conviction commune émerge : l’IA ne révolutionnera la recherche clinique que si elle s’inscrit dans un cadre robuste, transparent et éthique. Ni miracle technologique ni simple outil, elle appelle à une refonte profonde de nos pratiques, de nos régulations et de nos coopérations. Plus qu’un enjeu d’innovation, il s’agit d’un projet collectif, au service d’une médecine plus précise, plus humaine… et durablement augmentée.


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