
Des images d’émeutes d’une rare violence, la démission du Premier ministre et un gouvernement provisoire qui s’est constitué sur l’application de dialogue préférée des gamers. En l’espace d’une semaine, le Népal, qui a tenté de couper sa jeunesse d'Internet, a connu un renversement de régime largement organisé sur les réseaux. Récit d’une « révolte 2.0 ».
Le 9 septembre dernier, les médias annonçaient la démission et l’évacuation par hélicoptère du Premier ministre népalais Khadga Prasad Sharma Oli. Une semaine auparavant, des images spectaculaires d’émeutes, d’incendies et d’affrontements avec l’armée, en provenance de Katmandou, avaient envahi les feeds vidéo, en particulier sur TikTok et Instagram.
Outre un gigantesque incendie qui a ravagé le Parlement népalais le 9 septembre, les internautes ont pu assister au lynchage sidérant du ministre des Finances, mis à nu dans la rue et battu par la foule à coups de bâton avant d’être jeté sur les bords d’une rivière. Paradoxalement, cette révolte, qui a aussi embrasé les réseaux, a connu son point de départ avec une tentative de couper la jeunesse d’Internet. On vous explique.
GenZ contre NepoKids
Derrière cet embrasement spectaculaire se cache en fait une tentative de répression d’un mouvement de colère populaire qui couvait depuis cet été au Népal. Dans ce pays pauvre où la moyenne d’âge avoisine les 23 ans, les jeunes dénoncent le népotisme et la corruption du régime. Sur les plateformes sociales et les messageries, le hashtag #NepoKids est devenu une tendance forte avant que le gouvernement du Premier ministre Khadga Prasad Sharma Oli ne décide de les couper le 4 septembre dernier.
Cette tentative de censure ne fera pas long feu. De grandes manifestations, menées sous l’égide d’un mouvement baptisé « GenZ », s’organisent à Katmandou à partir du 8 septembre. Affublés du drapeau Jolly Roger issu du manga ultra-populaire One Piece, les jeunes manifestants tentent de pénétrer au Parlement ou attaquent les résidences de plusieurs ministres. Le 9 septembre, la prison du district de Kailali est attaquée et plus d’un millier de prisonniers prennent la fuite. Dans l'ensemble, on dénombre au moins 72 morts dans les heurts contre les forces de l'ordre et l'armée et plus de 2 100 blessés.
Du côté numérique, les jeunes investissent massivement dans des VPN, comme la société ProtonVPN, qui enregistre une hausse de 6 000 % des inscriptions en provenance du Népal. L’application Bitchat, lancée par Jack Dorsey, l’ancien fondateur et PDG de Twitter, est aussi prise d’assaut. Son fonctionnement basé sur les ondes Bluetooth permet de contourner les restrictions liées au Wi-Fi ou au réseau téléphonique. Mais c’est surtout la plateforme de communication des gamers Discord, et notamment un serveur tenu par l’ONG Hami Nepal, qui est devenu le centre névralgique de la coordination. Les manifestants l’utilisent pour donner une direction générale au mouvement des foules, mais aussi organiser la transition du pouvoir après la démission du Premier ministre.
L'avenir du pays s'est joué sur Discord
Une fois Khadga Prasad Sharma Oli évacué, l’armée népalaise prend provisoirement en charge le pays pour assurer l’ordre, le 9 septembre. Les chefs des forces armées prennent contact avec Hami Nepal et proposent à l’ONG de suggérer des candidats pour un poste de chef intérimaire, chargé d’organiser des élections. Plus de 100 000 utilisateurs se réunissent alors virtuellement sur le serveur pour décider, via des sondages, qui pourrait occuper ce poste. Les internautes finissent par trouver un compromis : Sushila Karki, une femme politique de 73 ans, ancienne présidente de la Cour suprême. Comme le dira Sid Ghimiri, 23 ans, créateur de contenu de Katmandou : « Le Parlement du Népal est actuellement Discord ».
Cette prise de décision ne s’est pas déroulée sans difficultés. Outre la possibilité pour des forces étrangères d’influencer les débats sur les serveurs, et l’aspect bricolé d’un tel procédé, l’historique des conversations a montré l’existence d’appels à la violence pas toujours modérés et une pression intense de la part de l’armée afin d’obliger les organisateurs à hâter les débats. Néanmoins, cet épisode marque un précédent dans l’Histoire en général - et de celle du web en particulier. Si les plateformes sociales ont souvent servi de point de départ à des mouvements populaires, c’est la première fois que l’une d’entre elles a été massivement utilisée pour décider du destin politique d’un pays et assurer une véritable transition démocratique.
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