
Alors que le Salon automobile de Shanghai bat son plein, les constructeurs chinois confirment leur prise de pouvoir technologique. Une révolution ultra-connectée et dopée à l'IA en passe de bouleverser l'équilibre mondial du secteur – malgré les soubresauts douaniers.
Des drones qui décollent du toit d'une voiture en mouvement et y reviennent automatiquement. Des systèmes de conduite autonome offerts gratuitement. Des batteries rechargeables en cinq minutes. Bienvenue dans l'automobile de demain – ou plutôt dans l'automobile chinoise d'aujourd'hui, tant la fracture technologique s'est creusée avec le reste du monde.
Le Financial Times dresse ainsi un panorama saisissant de ce que certains analystes qualifient de « période de concurrence la plus brutale dans l'histoire de l'industrie ». Et donne à voir par la même occasion l'avenir qui se dessine pour ce secteur – alors que l'économie vit désormais au rythme de la guerre commerciale déclenchée par Donald Trump.
Dynamique robuste
Sur son marché intérieur, la Chine affiche une dynamique robuste. Premier marché mondial pour les voitures électriques (VE), l'empire du Milieu devrait engranger une croissance de 20 % sur ce segment, avec des ventes attendues à 12,5 millions de VE cette année. La pénétration des VE a atteint les 50 % depuis juillet 2024, selon le South China Morning Post.
78 % de ces ventes sont accaparées par seulement 10 constructeurs – et 27 % par le seul BYD, selon les données d’HSBC. Une situation qui laisse peu d'espoir aux 52 autres marques se partageant les 22 % restants. D'après le South China Morning Post, seuls trois fabricants sont rentables : BYD (aujourd'hui le plus grand fabricant mondial de VE), Li Auto et Seres (soutenu par Huawei).
Et comment pourrait-il en être autrement ? La cadence d'innovation est infernale, avec un nouveau modèle lancé en moyenne tous les deux jours. Pour les analystes interrogés par le FT, le secteur est devenu binaire, entre les industriels capables de tenir le rythme et les autres. L'objectif est clair : proposer des options technologiques toujours plus sophistiquées et cibler le segment premium, habituellement dominé par les constructeurs historiques étrangers.
L’Œil de Dieu
Depuis le début de l'année, BYD a fait très fort, en offrant gratuitement son système de conduite autonome avancé « God's Eye » ( « Œil de Dieu » ) sur 21 modèles. Une décision qui torpille les plans de Tesla et d'autres, qui misaient sur ces systèmes en abonnement pour générer des revenus récurrents. Le service de conduite entièrement autonome (Full Self-Driving, FSD) de Tesla est accessible aux clients américains via un abonnement mensuel de 99 dollars ou un paiement unique de 8 000 dollars. Et le constructeur américain attend toujours l'approbation de Pékin pour déployer FSD sur ses modèles vendus en Chine continentale. Et certaines sources suggèrent que les autorités chinoises utiliseraient l'approbation du FSD comme levier dans les négociations commerciales en cours, en partie à cause des liens étroits de Musk avec l'administration Trump.
L'ambition de BYD ne s'arrête pas au marché chinois. Le groupe vise 5 à 6 millions de véhicules vendus en 2025, soit une hausse de 20 % en un an, dont 650 000 à un million à l’international. Pour soutenir ses objectifs, l'entreprise ouvrira au premier semestre 2025 deux nouvelles usines en Chine, et mise sur l'international avec des usines en Thaïlande, Brésil, Hongrie, Pakistan et Ouzbékistan. BYD dispose même de sa propre flotte maritime, illustrant sa stratégie d'intégration verticale qui lui permettrait d'économiser environ 130 millions d'euros annuels en frais de transport. Avec ses 9200 emplacements, le BYD Shenzhen est le plus grand navire « roulier » du monde.
Démocratisation des systèmes de conduite autonomes
Pour le South China Morning Post, l'année 2025 verra la démocratisation de ces systèmes de conduite autonomes haut de gamme dans les véhicules grand public chinois. Deux voitures neuves sur trois vendues en Chine continentale seront équipées de capacités de conduite autonome de niveau 2 (L2) ou supérieur. L’écosystème de la chaîne d'approvisionnement chinoise, où certaines entreprises se spécialisent dans le matériel et d'autres dans le logiciel, facilite cette prolifération. L'adoption massive des capteurs LiDAR (que Tesla a longtemps refusé d'utiliser) combinée à une forte baisse de leurs coûts a été déterminante. Cette avancée s'appuie également sur le soutien gouvernemental important au secteur automobile et une population nombreuse fournissant des données précieuses pour améliorer les algorithmes. Résultat ? Le pays abrite trois des dix plus grandes entreprises mondiales fournissant des systèmes de contrôle pour la conduite autonome : Pony.ai, le système Apollo de Baidu et WeRide.
Dans ce contexte, le résultat est sans appel : la part des constructeurs étrangers en Chine a chuté d’un tiers en 5 ans, s’établissant à 31 % début 2025. Ils pourraient perdre jusqu'à 80 % des 20 milliards de dollars de profits annuels qu'ils réalisaient en Chine, selon l'analyste Paul Gong d’UBS. Tesla plafonne désormais à 6 % des ventes de véhicules électriques à batterie, malgré des livraisons records, contre 12 % l'année dernière. Et Volkswagen, qui s'est longtemps reposé sur le succès de ses véhicules thermiques, a vu ses ventes passer de 4,2 millions de voitures en 2018 à 2,8 millions en 2024, sur un marché pourtant en croissance. Le constructeur allemand a profité du salon de Shanghai pour lancer la contre-offensive avec sa stratégie « In China for China » avec des modèles spécialement développés pour la Chine, et des délais de mise en marché réduits.
Volte-face sur les droits de douane
Cette transformation intervient dans un contexte géopolitique explosif. Annoncés début avril, les droits de douane de Trump – 25 % sur les véhicules importés – ont plongé toute l'industrie « dans le chaos » , selon Le Monde. Quant aux véhicules connectés chinois, ils font même face à une double peine aux États-Unis, décidée par l'administration Biden : d'une part, des droits de douane prohibitifs pouvant atteindre 100 % et, d'autre part, une interdiction progressive de toute technologie chinoise dès 2027, pour cause de « risques pour la sécurité nationale ».
Dans une déclaration surprise mi-avril, Trump a toutefois laissé entendre qu'il pourrait accorder un sursis temporaire aux constructeurs pour qu'ils puissent relocaliser leur production. Une volte-face caractéristique du président américain qui, sans donner de détails précis, a fait rebondir les actions du secteur en Bourse. Mais, comme le souligne aux Échos Arnaud Lesschaeve, associé chez Roland Berger, « l'automobile est une industrie de temps long. Relocaliser une production, c'est se projeter à trois ou quatre ans. »
L'Europe face au dilemme chinois
Pour l'Europe, le dilemme est double : d’une part, faire face à l'invasion de véhicules chinois technologiquement supérieurs – en 2024, un modèle sur quatre vendus en Europe était chinois, selon l’ONG T&E. Une tendance qui risque de s'accentuer dans le contexte géopolitique actuel, l'Europe devenant potentiellement le plan B d'une Chine en quête de débouchés.
D'autre part, gérer un nouveau paradoxe environnemental : au moment même où les véhicules propres gagnent du terrain en Europe, l'industrie a obtenu de Bruxelles, à force de lobbying, un assouplissement des normes CO₂ avec deux années supplémentaires pour réduire leurs émissions.
Une décision qui « sacrifie 880 000 véhicules électriques et freine leur démocratisation », selon Marie Chéron de Transport & Environnement, alors même que le marché européen du VE décolle. Pour l'experte, « l'hostilité envers la transition écologique est un coup porté à l'industrie européenne, face à une Chine qui a pris une avance décisive dans l'électrique à coups de subventions massives. »
Cette analyse rejoint celle de Tommaso Pardi, chercheur du CNRS, qui souligne la différence fondamentale d'approche avec la Chine : « Là où, en Europe, l'électrification a été perçue comme un simple substitut au diesel, elle a été conçue dès le départ, en Chine, comme un moyen de créer une nouvelle industrie de taille mondiale. » Le chercheur dénonce ainsi l'approche européenne actuelle : « Au lieu de structurer autour d'une politique industrielle européenne digne de ce nom une riposte collective au défi chinois, les constructeurs s'apprêtent à négocier, chacun de son côté, les conditions de la reddition, sous la forme de “collaborations stratégiques”. »
« Machine à tuer »
Au-delà de la compétition économique, la cybersécurité s'impose comme un enjeu crucial. Bardées d'électronique et de capteurs (BYD vient de collaborer avec DJI pour un modèle qui transforme le toit du véhicule en plateforme de lancement pour drone), les voitures d'aujourd'hui sont plus que jamais vulnérables aux menaces cyber – qu'elles émanent de cybercriminels, du crime organisé ou d'États.
Interrogé par La Tribune, Pascal Urien, professeur à Télécom Paris, évoque la crainte ancienne des autorités américaines de voir les voitures se transformer « en machine à tuer » – née en 2015 quand deux chercheurs ont piraté une Jeep Cherokee à distance, coupant sa transmission sur l'autoroute. En 2024, l'attaque attribuée à Israël contre des membres du Hezbollah au Liban, où bipeurs et talkies-walkies ont été piégés pour exploser à distance, a soulevé des inquiétudes similaires pour les véhicules. Des risques amplifiés par la multiplication des logiciels embarqués, assistants vocaux, systèmes de conduite autonomes, etc.
Face à cet enjeu, contrairement aux États-Unis, l'Europe tergiverse encore. Elle aussi a bien érigé des barrières douanières, toutefois facilement contournées par un constructeur comme BYD qui maille désormais sa production selon ses marchés cibles. Prise en étau entre la nécessité de préserver ses intérêts industriels, sa dépendance technologique croissante et l'impératif de sécurité, le Vieux Continent avance prudemment.
D'après Politico, une nouvelle réglementation de la Commission économique des Nations Unies pour l'Europe sur la cybersécurité des voitures, entrée en vigueur en juillet 2024, a déjà contraint MG, marque chinoise, à suspendre ses immatriculations. Bruxelles prépare également une « boîte à outils » qui inclurait des mesures spécifiques sur la connectivité des véhicules électriques.
L'industrie automobile mondiale traverse ainsi une période de transformation sans précédent sous l'impulsion de la Chine. Si les barrières commerciales peuvent ralentir cette conquête, elles ne résoudront pas l'écart technologique creusé. Pour les constructeurs occidentaux, l'enjeu est désormais de repenser leur modèle industriel face à des rivaux qui ont fait de l'automobile électrique et connectée leur priorité nationale depuis plus d'une décennie. En attendant, BYD vient d'annoncer une prévision de profits records pour le premier trimestre 2025, avec un million de véhicules vendus dans le monde et une hausse de ses profits estimée à un milliard d'euros sur la période, soit une croissance de 100 % par rapport au premier trimestre 2024.
Une fois de plus, les grands patrons et industriels prouvent que leur principale compétence est de se tirer des balles dans le pied. Pourquoi continuer d'écouter des gens dont le métier est de se projeter au prochain trimestre ? Sur le moyen et long terme, on voit que cela ne fonctionne pas et qu'ils se font bouffer par des industries qui planifient sur plusieurs années (voire décennies). Encore maintenant, alors que le secteur européen de l'automobile s'effondre, le premier réflexe de ces champions du libre marché est de pleurnicher pour plus de subventions afin de soutenir leur business model périclitant. Cette bataille pourrait n'être pas encore complètement perdue si les États acceptaient de hausser le ton contre les lobbies du statut quo, mais comme ça n'est pas la direction qui est prise, la voiture européenne sera chinoise dans 20 ans.
Excellente analyse. Trump me fait penser à la fable "Le chêne et le roseau". Il est ignare et l'a démontré lors de la pandémie du Covid et encore et toujours depuis, il n'a pas conscience que la Chine est une civilisation au moins 4 fois millénaire, plus ancienne que la civilisation Européenne et toutes deux loin devant la jeune Amérique avec ses 250 ans. Le jeu de Go n'est pas le jeu d'échec et encore moins le poker menteur, le jeu de Go est certes aussi un champs de bataille mais basé sur les position, l'encerclement, la neutralisation sans forcément détruire, on ne détruit pas ses consommateurs présent et à venir.
Dominique ROUTIER dit Domé. Auteur en arts graphiques et plastiques, retraité ex enseignant.
Je pense les citoyens européens doivent faire une barrière citoyenne en achetant des VE européenne pour sauver les constructeurs en Europe.
Cette barrière va retarder les échéances permettant aux constructeurs européens de rattraper leur retards technologiques.
Autrement ils vont disparaître dans 10 ans.
N'achetez pas ni une Tesla, ni une BYD, MG.
Ce qui s'est passé dans les télécommunications il y a 15 ans: disparition d'Alcatel (France), Lucent technologies (USA), Nortel Networks (Canada) risque de se reproduire pour les constructeurs automobiles aujourd'hui !
Il semblerais que la majorité des "élites" autoproclamée n'ai pas lu beaucoup de Science-fiction
S'ils avais lu Philip K. Dick ou Asimov.
Tout était déjà écrit.
Et maintenant nos "élites" n'ont pas compris que c'est (Comme dans Fondation), que la seule chose a protéger, c'est le vivant.
Et dans 50 ans, nous serons dans Blade Runner..... de Philip K. Dick
Et personne ne réfléchi..... car il y a le Bussines
Cet article ne dit pas que les avancées technologiques améliorent l'autonomie des véhicules et diminuent leur temps de recharge. C'est d'abord ce que recherchent des clients qui peuvent encore se servir de leur cerveau pour conduire. La voiture électrique bardée de technologie symbole de liberté ???? à la mode du PCC sans doute ...
Rendez-nous les voitures simples, fiables et pas chères (comme celles qu'on avait avant), plutôt que ces machins hors de prix bourrés de gadgets électroniques.
L'électrique est polluant batteries etc... Pour moi les japonais sont en avance avec l'hydrogène... Et en France nous avons beaucoup d'hydrogène qui pourrait supprimer la dette si le projet est bien conduit. Ce dont je doute puisque en France tout est fait pour qu'elle soit détruite à tous niveaux...
Très bien. Bravo pour la journaliste !
la chine et un pays ou les liberté sont apparemment restreinte , mais il savent utilise leurs ingénierie avec des incitations a leurs conservation au seins de leur pays , et cela bravo . nous européens nous m’a vont encore rien compris, taxe taxe et encore taxe cela fait que nos cerveaux coute trop chère , comment les garder dans cette environnement malsain, il préfère voire ailleurs et notamment en chine
Bonjour, bravo pour votre article et vos analyses. Néanmoins, la base du transport est de e déplacer d'un point à un autre. La source d'énergie, pétrole, électricité ou autre est secondaire. Quant à la liaison avec des réseaux informatiques, des satellites, des robots, elle reste accessoire. L'essentiel réside dans la quantité d'énergie consommée dans un temps dédié à ce transport d'une part, la sécurité liée aux collisions potentielles et la disponibilité des utilisateur-ices pendant ce temps de transport. Quelles que soient les technologies développées par les chinois ou autres, ce qui est important c'est l'usage que projettent les éventuels acheteurs. La réaction européenne réside plus dans la capacité des industriels et consommateurs à valoriser le besoin réel qu'à plonger dans une concurrence dans une consommation illusoire toujours plus gaspilleuse de services non indispensables. Cela est d'autant plus vrai dans une Bien cordialement
Jean Augereau
Ecolo designer