Maggie Smith alias Violet dans Downtown Abbey

Le savoir-vivre n’est pas mort ! Sur les réseaux sociaux il fait cliquer encore

© NBC Universal / Downtown Abbey

On pensait l’art du savoir-vivre perdu depuis Nadine de Rothschild. C’était sans compter sur la magie des réseaux sociaux. 

Comment s'asseoir de manière élégante ? Quels couverts choisir pour dresser sa table ? Peut-on porter une montre en soirée lorsque l’on est une femme ? Ces questions surannées, Carmel les adresse avec conviction chaque semaine sur TikTok. Depuis quelques années, cette étudiante en droit que l’on croirait tout droit sortie du dressing de Jackie Kennedy – son idole –,dispense divers conseils de savoir-vivre à ses 660 000 abonnés. « Je comprends que ça puisse sembler désuet, mais les bonnes manières, c’est avant tout le respect », assure-t-elle. Et elle est loin d’être la seule à le penser : le réseau social est truffé d’ « influenceurs élégance » suivis par des dizaines de milliers de personnes. 

@carmelassa.k

Vous êtes nombreux à m’avoir envoyé la vidéo et certains à m’avoir identifié. Voici une petite explication haha ! Mais je comprends parfaitement et sais que c’était une bonne intention. 🥰....... #bonnesmanieres #apprendrelesbonnesmanieres #savoirvivre #savoirvivrefrançais #elegancefeminine #elegancefrancaise

♬ son original - Carmel

Guerre des classes et petit doigt levé

Si les bonnes manières de l’aristocratie semblent incompatibles avec TikTok, l’influenceuse Bérangère de Monbois (un pseudonyme) n’y voit, elle, aucune contradiction. « Le savoir-vivre, ça fonctionne parce que les gens souhaitent vivre en harmonie avec les autres », théorise la trentenaire originaire elle-même de la petite bourgeoisie. « Les règles sont là pour se rendre agréable et mettre l’autre en valeur. » Sur son compte TikTok, elle raconte à l’envi comment l’apprentissage des bonnes manières lui a aussi permis d’en finir avec une timidité maladive

Simple volonté d’être sympa, donc ? Pour la psychosociologue Dominique Picard, autrice de Politesse, savoir-vivre et relations sociales (éd. Que sais-je, 2024), cet engouement vient de plus loin : « Ces contenus répondent bien souvent à un désir d’ascension sociale », estime-t-elle. Conscients de n’avoir pas les codes de l’élite « en raison de leur milieu », les jeunes se rueraient sur ces conseils pour que leurs origines modestes ne les pénalisent pas en société.

Repérer les transfuges de classe

Et ce n’est pas nouveau. En 1925, le sociologue Edmond Goblot observe quant à lui que le savoir-vivre est une manière de se distinguer, et, par extension, l’un des fondements de la ségrégation sociale. Cent ans plus tard, rien n’aurait changé ? C’est ce qu’écrivait l’historienne et princesse Laure Murat dans son essai autobiographique Proust, roman familial (éd. Robert Laffont, 2023) : d’après elle, sa famille aristocrate a toujours utilisé à dessein ces règles compliquées et peu enseignées pour repérer et écarter ceux qui n’en auraient pas les codes…

Des formations payantes

Aujourd’hui, les « influenceurs élégance » n’ont pas de mal à convertir leur visibilité sur les réseaux sociaux en formations rémunérées. C’est le cas de France de Heere, versaillaise d’origine et fondatrice de L’Atelier du savoir-vivre. Cette ancienne mère au foyer a monté son entreprise en 2013 et parvient à en vivre grâce aux réseaux sociaux : « Ce qui est intéressant avec TikTok, c’est que ça touche un panel très large », estime la quinquagénaire. «Lorsque je me suis lancée, je pensais m’adresser aux touristes. En fin de compte, je reçois surtout des femmes transfuges de classe, qui ont besoin d’être rassurées pour être plus à l’aise dans leur nouveau milieu social. » Pour deux heures de formation, compter entre cent cinquante et trois cents euros.

L’héritage de Nadine de Rothschild, qui elle-même vendait des centaines de milliers de livres sur les bonnes manières, aurait donc de beaux jours devant lui ? « Sans aucun doute », estime Dominique Picard. « Parce qu’au fond, l’apprentissage des bonnes manières révèle notre besoin fondamental d’être accepté et de se sentir bien avec les autres. » Tous milieux confondus, donc. 

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