
Le sommet de l’attention : une expérience à mener en groupe pour regarder en face notre rapport au numérique… et ne plus le subir.
Et s’il y avait un lien direct entre les épidémies d’obésité et de solitude, la multiplication des troubles de la santé mentale des jeunes et le réchauffement climatique ? Et si ce lien n’était autre que notre manque d’attention ? C’est en tout cas la théorie du vidéaste Victor Fersing et de l’entrepreneur Alexandre Dana : pour eux, les écrans, les réseaux sociaux, la publicité – entre autres grands capteurs à attention – ont si bien réussi leur mission d’accaparement de notre temps de cerveau disponible que nous sommes devenus collectivement incapables d’adresser les grands problèmes de notre époque. Autrement dit, à force de regarder des vidéos de chatons sur TikTok, on n’a plus le temps et l’énergie nécessaires pour endiguer l’extinction de la biodiversité…
Pour mieux comprendre cette guerre menée par le capitalisme et les géants de la Tech contre nos cerveaux (et son système de récompense), les deux hommes ont imaginé une expérience collective intitulée « Le sommet de l’attention ». L’idée est simple : visionner à plusieurs trois vidéos, sur trois thématiques liées à la crise de l’attention. Ces pastilles d’environ une demi-heure résument à grands traits les causes de la crise actuelle en s’appuyant sur le travail de philosophes et de scientifiques, puis proposent de débattre en fin d’épisode — l’objectif étant que les participants, de l’autre côté de leur écran, puissent transformer ce visionnage en une expérience collective marquante. Plus qu’un simple documentaire à regarder en solo sur son canapé, « le sommet » est le prétexte à une grande conversation collective.
8 secondes d’attention
À l’origine de ce projet, il y a l’expérience de Victor Fersing comme formateur en milieu scolaire. Le vidéaste intervient régulièrement à l’école pour sensibiliser les jeunes à la crise de l’attention. Au fur et à mesure de ces ateliers, il a remarqué que les profs étaient aussi touchés que les enfants… « Tout le monde a constaté que son temps d’attention avait baissé avec les années », observe-t-il. « Aujourd’hui, certains jeunes nés avec le numérique ne peuvent même plus regarder un film en entier sans jeter un œil à leur portable. »
Les chiffres lui donnent raison : notre capacité d’attention moyenne serait aujourd’hui de 8 secondes… contre 12 à l’orée des années 2000, selon une étude menée par Microsoft. Et c’est normal, apprend-on dans « Le sommet de l’attention ». En effet, puisque notre cerveau fonctionne comme un muscle, ce dernier prendra rapidement l’habitude de regarder des vidéos de sept secondes si l’on ne va que sur TikTok pour se divertir.
Ouvrir le débat
Mais ce changement d’habitude est-il bien consenti ? C’est à cet endroit précis que les deux hommes veulent ouvrir le débat. « Est-ce que votre attention est présente pour ce qui a le plus de valeur dans votre vie ? » , interroge par exemple Alexandre Dana à la fin de la première pastille. Grâce aux apports de grands penseurs, « le sommet » met en lumière les imbrications quasi-métaphysiques de cette bataille pour notre temps de cerveau disponible.
Par exemple, pour le philosophe Yves Citton, il y a un lien à faire entre attention et valeur : « On peut apprendre à tout aimer si l’on y met de l’attention », théorise le philosophe. « Il faut juste amorcer la pompe en prêtant attention à un objet qui aurait pu nous être indifférent. » Par conséquent, l’addiction aux écrans est un fait politique : en nous prenant de notre temps, les écrans contribuent à définir… nos préférences.
Le problème se règlera-t-il en une conversation, alors que des milliers d’ingénieurs déploient des trésors d’astuces pour capter notre attention ? Pas sûr. Pas naïve pour autant, l’expérience du « sommet » se veut une porte d’entrée vers d’autres formes de militantisme. « On donne des billes aux gens qui voudraient se mobiliser autrement que dans leur famille » , souligne Victor Fersing. Par exemple, en étant soi-même moins actif sur Internet, en militant dans des associations, voire en politique. Notamment pour obtenir une meilleure régulation de ceux qui ont créé la crise : les géants d’Internet.
Je suis sophrologue et j'accompagne de jeunes adultes en difficultés. Je constate en effet, une baisse de la concentration et de la relation à eux-mêmes liée à l'addiction aux écrans et surtout à celui du téléphone portable.
Les contenus des réseaux sociaux cristallisent les mêmes centres d'intérêt et suppriment leur esprit critique et de discernement.
Ils se fient, de fait aux mêmes sources d'informations et s'en contentent. L'information est très succincte, peu fouillée et non expertisée par des professionnels, submergée d'images. Ils n'en ont même pas conscience tant leur mode de fonctionnement face à l'utilisation des écrans s'avère telle une programmation de recherches de plaisir immédiat et fugace ce qui implique une rapidité nuisible à leur pouvoir d'attention.