
Si vous surprenez vos petits-neveux en train de comparer leur « aura » ou d’évoquer « une dinguerie » au moindre visionnage de vidéo, vous savez qui blâmer.
« Dinguerie », « banger », « aura », « goatesque »… Ces mots ne vous disent peut-être rien, ou au contraire, ils font déjà un peu (trop) partie de votre vocabulaire quotidien. Depuis quelques années, les réseaux sociaux sont devenus de véritables usines à mots, où créateurs et influenceurs poussent de nouvelles expressions. Elles ont réussi à s’infiltrer dans nos conversations, nos textos, et même nos pensées.
La guerre du jargon
Linguisticae, youtubeur aux plus de 400 000 abonnés, est aussi membre des Linguistes atterrés. Il observe combien le vocabulaire des réseaux déborde dans la vie réelle : « Dans tous les milieux, des jargons et sociolectes se transmettent. Je regarde cela sans jugement. Je cherche d’ailleurs à arrêter de trop intellectualiser ce phénomène. » L’intéressé, âgé de 34 ans, souligne d’ailleurs la diversité des vocabulaires d’Internet, assez marqués générationnellement. Byilhan et Natoo, Cocotte et Cyprien, Tsuku et Jeel, tous ne partagent pas avec leur public les mêmes expressions.
Et tous n’exercent pas la même influence sur le public. Évidemment, plus une communauté de fans grandit, plus elle amplifie son effet de caisse de résonance. Linguisticae pointe ainsi « le pouvoir de structure des gros créateurs. » À ce titre, les expressions employées par le mastodonte de l’Internet français Squeezie, sacralisées en juillet 2022 par une composition musicale de Myd placée systématiquement depuis en intro et outro de ses vidéos, sont pour l’essentiel entrées dans le langage courant.
À la recherche de la tagline
Certaines expressions renvoient très clairement au créateur qui les a popularisées. On reconnaîtra Squeezie en entendant la question « C’est bon pour vous ? », associée généralement à un mouvement simple effectué des deux mains, devenue une signature du youtubeur.
Et c'est devenu un enjeu pour les professionnels des réseaux : trouver un mot, une phrase, une tagline leur permettant de marquer leur public. À ce niveau, le terme « aberrant » employé à tout propos par le youtubeur spécialisé dans les voitures de sport GMK, constitue un bon exemple. Cet adjectif, venu du langage soutenu, peu usité par les jeunes générations, est devenu une part de son identité et comme un cri de ralliement pour ses millions de suiveurs. Au point où Inoxtag le lui emprunte dans les vidéos en sa compagnie, entérinant ainsi le caractère fédérateur de cette expression.
Nomme ta commu
Évidemment, les noms attribués par les créateurs à leur communauté constituent des éléments importants de ce vocable. Océane Amsler tutoie ses « glabelles », Michou s’adresse à ses « BG », Natoo chérit ses « Natchos », etc. Par le passé, les followers d’Horty s’étaient autoproclamés les « crackheads », en raison de leur comportement souvent incontrôlable. Un terme désignant de manière péjorative des personnes dépendantes à la drogue souvent très précaires et dont la créatrice a fini par se détourner.
Ici, la portée politique des mots employés par les pros des réseaux et la responsabilité de ces derniers se ressentent. Le streameur et animateur du podcast Pardon GPT, Pierre Lapin, déclare ainsi « faire très attention » à son vocabulaire sur Internet. « Au fur et à mesure de discussions avec ma communauté, mon phrasé a changé. Par exemple, je n’emploie plus l’expression FDP (pour fils de pute, donc) en raison de la putophobie qu’elle pourrait transmettre à mon public. »
Car le Web voit des idées, voire des idéologies, se forger, insidieusement, à force de recourir à certains mots. Pierre Lapin pointe certains running gags menant au harcèlement et à la culture du clash. Il conclut : « La post-post-ironie, sur le n-word (une autre façon de dire le mot "négro" pour désigner une personne noire, ndrl) notamment, permet à certaines idées racistes de passer. »
C'est marrant car le titre même de l'article utilise un verbe rentré dans les habitudes mais pas adapté 🙂
Très intéressant. je suis linguiste de formation et j'ai beaucoup apprécié ce travail d'identification, de classification, d'explication. merci à Valentin Chomienne.
Pouvez-vous corriger l'orthographe du titre ?
En France (et au Québec, et en Belgique, et en Suisse), nous avons des langages, même si nous avons une ou plusieurs langues.
Cordialement
C'est plutôt notre LANGAGE sans U
Merci - pardon - elle est belle :/
Tout ces mots, on les employait dans les années 2000.
"C'est une dinguerie" était déjà ultra-courant quand j'étais ado (d'ailleurs l'expression existe depuis au moins les années 1960 d'après le TLF), et je l'employais tout le temps perso.
Idem pour "aura", très répandu dans les mêmes années ... D'autant que c'était un peu l'époque où le New Age et les spiritualités alternatives connaissaient un pic, via les Skyblogs, et où tout ce vocabulaire envahissait le langage courant, même pour ceux qui ne croyaient pas aux auras.
Quant à "banger", ça fait un bout de temps que je l'entends, et d'après le Urban Dictionnary, c'est effectivement apparu depuis au moins 2005.
Du coup, je suis assez sceptique du rôle des influenceurs dans tout ça. C'est juste du vocabulaire qui était courant chez les jeunes des années 2000 et qui revient à la mode, ou dont la tendance a persisté, non ?
Je vois ça surtout comme un appauvrissement du langage avec la multiplication de mots valises qui deviennent plus des ponctuations. Eh oui frérot, cette dinguerie c'est pas forcement stylée et moi ça fini par me mettre le seum.
Ouaiiii en route vers idiocratie et l’appauvrissement extrême de notre langue, tout ça parce que certains sont en mal d'originalité, au final les gens sauront de moins en moins exprimer leur idées ou sentiments...
Plus que les néologismes qui peuvent éventuellement enrichir la langue se sont les appauvrissements qui m'inquiètent . Par exemple depuis quelques temps le pronom personnel "nous" tend à disparaitre au profit de l'indéfini "on", et ce dans le langage parlé même de ceux qui devraient utiliser un registre précis et soutenu (politiques , chargés de communication, journalistes,professionnels des médias...)Mais aussi dans la communication écrite . De "Nous avons le plaisir de vous annoncer" il y a eu glissement vers "On voulait vous dire". Dans certaine phrase il devient même difficile de comprendre qui est le sujet du verbe,celui ou ceux qui sont censés vous transmettre le message...
Je n'ai rien contre l'invention de nouveaux mots ou de nouveaux sens aux mots.Le temps fera ses choix. En revanche, je pense que les champions de la répétition et de la redite sont les politiques et les journalistes. Comptez par exemple le nombre de fois par minute on entend " "notamment", "impact","on va dire", "encore une fois", "aujourd'hui". Les mots bouche-trous. Ils signent un appauvrissement de la langue, car ils remplacent chacun plusieurs mots devenus inutilisés.
Affecter, agir sur, avoir des répercussions sur, avoir un effet sur, avoir une importance pour, avoir une incidence sur, concerner, influencer, influer sur, intéresser, jouer un rôle dans, percuter, peser sur, produire un impact sur, se faire sentir sur, se répercuter sur, toucher, viser remplaceraient avec bonheur l'odieux "impacter" du titre, cher aux journalistes et aux politiciens au français approximatif.
Bonjour, puis-je vous conseiller un livre un peu décalé à ce sujet ? Le dico du daron rassemble 400 expressions jeunes expliquées aux parents.
https://www.fnac.com/a19851276/Jean-Christophe-Erbstein-Le-dico-du-daron
En complément de mon intervention à propos de l'utilisation de "on",je vous livre cet extrait d'un article pêché sur internet : [Quant aux autorités françaises, elles confient : "Alger déploie des moyens substantiels pour récupérer ses opposants. Les procédés, on les connait. On fait savoir qu'on sait, mais ça n'est pas toujours suffisant."]
En tant qu'adolescente de 16ans je trouve que l'article est trop axé sur youtube alors qu'en fait la plupart des expressions que nous utilisons viennent de tiktok.Je pense que l'article passe à côté du coeur du sujet, qui pourrait être vraiment intéressant, comme l'appauvrissement de la langue, ou autre.
L'article je veux bien mais "dinguerie" ça n'a pas été inventé avec TikTok, ma mère (55 ans) connait déjà ça depuis des années et des années. Elle connaissait déjà ça avant que TikTok le re-popularise.
Il y a malheureusement bien pire en matière d’appauvrissement de la langue, il s'agit de la succession de mots vides de contenu supposés constituer une phrase que l'on entend de la bouche de tous les managers et salariés d'une multinationale.
Ces mots sont situés quelque part à la frontière entre l'acronyme, le barbarisme, la concaténation de syllabes, la contraction, le globish mal compris, l'onomatopée et surtout ils doivent être en relation directe avec la dernière injonction proférée par le pdg.
La principale préoccupation de chaque manager et de chaque salarié devient donc de savoir comment placer cette injonction, ce mantra, cet absolu ultime, aussi souvent que possible dans chaque groupe de mot qu'il croit encore être une phrase.
Et cette manière de faire est légitimée car elle est nommée culture d'entreprise.
S'il est un endroit où le langage, et ce quelle que soit la langue, est en danger, c'est bien au sein des multinationales.
La tristesse et la dinguerie résident dans le fait même que certain.e.s aient besoin d'influenceurs pour croire exister. Vivre au travers de l'expression des autres,, ça ne vole pas haut
Il y a beaucoup de remarques négatives sur ces "nouveaux" mots et expressions, pourtant, est-il vraiment nécessaire de rappeler que le langage ne s’arrête pas de changer, continuellement? Ce n'est pas de l'appauvrissement de la langue mais seulement l'évolution de la langue, mais bon, de tous temps les gens sont opposés au changement, étonnamment, si vous vous plongez dans une introspection sur vos souvenirs, vous vous souviendrez peut-être utiliser des "nouveaux" mots, certains venant d'autres langues par exemple. attention révélation: chewing-gum, parking, cool, T-shirt et beaucoup d'autres ne sont pas des mots français de base et pourtant tout le monde les utilise sans râler sur un appauvrissement de la langue, alors pourquoi faire cela pour des mots comme wesh, miskin,... ?
" impacte notre langage" : l'arroseur arrosé !
Académie française : Le substantif Impact, désignant le choc d’un projectile contre un corps, ou la trace, le trou qu’il laisse, ne peut s’employer figurément que pour évoquer un effet d’une grande violence. On ne saurait en faire un simple équivalent de « conséquence », « résultat » ou « influence ».
C’est à tort qu’on a, en s’inspirant de l’anglais, créé la forme verbale Impacter pour dire « avoir des conséquences, des effets, de l’influence sur quelque chose ».
En français, impacter n’est accepté sans réserve que dans le domaine de la médecine; il signifie « solidariser avec force deux organes anatomiques ou un organe et un matériel, de façon que leur pénétration soit solide et résistante ».
Il y a tellement d'autres manières de dire cela, en bon français 😉