
Si la flexibilité de la consommation au quotidien représente une opportunité pour tous – entreprises, collectivités, particuliers –, le secteur tertiaire est appelé à jouer un rôle de premier plan en la matière. Bureaux, commerces et autres lieux recevant du public ont d'importantes capacités de modulation et de décalage de leurs consommations. Un gisement dont ils peuvent tirer partie.
La réussite de la transition énergétique repose aujourd'hui sur plusieurs leviers. Pour soutenir la hausse de la demande en électricité nécessaire pour baisser les émissions de CO2 de la France, l'optimisation de la production du nucléaire et l'accélération du développement des renouvelables sont indispensables. Dans le même temps, la sobriété et l'efficacité énergétique se sont imposées comme d'incontournables vecteurs de maîtrise de nos consommations.
Aujourd'hui, la part croissante des énergies renouvelables dans la production d'électricité nous invite à nous tourner également, lorsque c'est possible, vers des réflexes de flexibilité, bénéfiques à la fois pour la planète et pour le portefeuille. En adaptant sa consommation aux rythmes nouveaux de la production d'électricité, il est ainsi possible de profiter d'une électricité qui n'émet pas de CO2 et qui est la moins chère à produire.
L'enjeu réside essentiellement dans la capacité à piloter sa consommation. Par exemple, il s'agit pour une entreprise d'attendre, lorsque c'est possible, le milieu de journée pour démarrer le chargement des véhicules de ses salariés. Cette plage correspondant au pic de production solaire.
À terme, les particuliers pourront profiter des bénéfices liés à la programmation de certaines de leurs consommations, mais on trouve un levier d'action tout aussi important dans le secteur tertiaire. Il représente en effet près de 30 % de la consommation électrique nationale, ce qui en fait un gisement majeur, du même ordre que le secteur résidentiel. Ces bâtiments tertiaires (bureaux, commerces, hôpitaux, lieux d'enseignement, etc.) deviennent aujourd'hui plus intelligents grâce à des outils de gestion technique du bâtiment (GTB), celle-ci étant désormais obligatoire avec le décret BACS (pour Building Automation & Control System). Ce décret impose en effet aux propriétaires des bâtiments tertiaires d'installer un système d'automatisation et de contrôle afin de permettre le pilotage de différents usages énergétiques : éclairage, chauffage, climatisation, ventilation et, de plus en plus, recharge des véhicules électriques, et d’autres fonctions non énergétiques comme la sécurité, la surveillance, les accès... Ces technologies dites de GTB ont précisément vocation à faciliter la programmation et la modulation de la consommation électrique dans un objectif de réduction de celle-ci.
Consommer mieux, moins et à un tarif plus intéressant
Pour Yannick Jacquemart, directeur Transformation de l'Exploitation du Système électrique et Intégration des Flexibilités chez RTE, le point clé en matière d'optimisation des consommations réside aujourd'hui dans la capacité de ces systèmes à pouvoir communiquer avec le réseau : « L'optimisation des consommations pourra se faire en fonction de l'information sur les prix de l’électricité, qui peuvent être très différents suivant les heures de la journée. C'est ce que l'on appelle de la gestion dynamique. Les programmations pourront être modulées en fonction des prévisions de production, par exemple s'il y a du vent et donc de la production éolienne le matin et pas le soir. C'est un véritable outil de flexibilité ».
« Dans notre jargon, on dit que le smart building (bâtiment intelligent, ndlr) doit communiquer avec le smart grid (réseau intelligent, ndlr). In fine, c'est cela qui permettra de gagner en flexibilité, précise l’expert. Au-delà de l’obligation d'équipement dans le tertiaire, c'est notre rôle de souligner qu'il y a là un moyen d'optimiser la facture et le bilan CO2 de ces bâtiments, sans toucher au confort d'usage des occupants », explique encore Yannick Jacquemart.
Aujourd'hui, le déploiement des BACS se fait à un rythme relativement lent sur le territoire. Si elles sont très répandues dans les bâtiments les plus grands, c'est beaucoup moins le cas pour ceux qui sont de plus petite taille. Surtout, très peu de BACS sont actuellement connectées, malgré ce que Yannick Jacquemart appelle « une opportunité triplement gagnante » dans le sens où elle permet de « consommer mieux, avec un bilan CO2 moindre et à un tarif plus intéressant ». À horizon 2030, la filière ambitionne de déployer 100 000 BACS, ce qui permettrait une capacité de 2,5 GW - l'équivalent de près de 3 tranches nucléaires en puissance - de modulation de consommation au quotidien pendant 2 à 3 h.
Une opportunité nommée Flex Ready
Pour accompagner cette opportunité, la filière toute entière se mobilise. C'est le sens du lancement de la marque collective Flex Ready, qui implique l'association Think Smartgrids, RTE, Enedis, le GIMELEC (le groupement des entreprises de la filière électronumérique française), et l'IGNES (l’Alliance des industriels qui proposent des solutions électriques et numériques pour donner vie et animer le bâtiment au service de ses occupants). Les BACS Flex Ready permettent précisément aux bâtiments de communiquer avec le système électrique afin de recevoir des informations clés comme le prix de l'électricité et l'empreinte carbone de celle-ci.
Pour les gestionnaires de bâtiments tertiaires, Flex Ready assurera le double-avantage de se mettre en conformité avec le décret BACS, mais surtout de pouvoir tirer profit d'une électricité décarbonée abondante et moins chère à certaines heures de la journée et de la nuit. « Mais il y a un préalable à cela, prévient Yannick Jacquemart. Il faut que l'ensemble des consommateurs puissent bénéficier d'offres tarifaires incitatives adaptées. Les fournisseurs et les agrégateurs d’effacements ont donc un rôle majeur à jouer ». Un exercice auquel RTE, le gestionnaire du réseau de transports d'électricité, prend sa part, comme l'explique Yannick Jacquemart : « Nous travaillons à mobiliser les acteurs en charge des prix pour que chacun comprenne ce qu'il a à y gagner et le sens de notre démarche d’optimisation du système électrique et du prix de l’électricité. RTE ne fixe aucun impératif mais met en lumière des opportunités à saisir dans un contexte où le système électrique change et où les nouveaux usages de l’électricité sont assez facilement décalables ou modulables, qu’il s’agisse d’appareils sur batteries ou de production de chaleur ou de froid. Ce sont des changements qui peuvent se faire au bénéfice de tous et sans impact sur le confort ou l’utilisation finale de l’électricité ».
Une montée en puissance possible à très court terme
Pour l'ensemble des consommateurs, ces opportunités de flexibilité naissent précisément de l'adoption de nouvelles applications pour l'électricité. Par exemple, afin de profiter d'une électricité moins chère, les entreprises ont tout intérêt à décaler la recharge de leur flotte de véhicules électriques durant les heures creuses, quand la demande est moins forte ou la production renouvelable plus importante. Il s'agit typiquement d'un usage qui peut être piloté au moyen de BACS. « C'est un bon exemple car il y a une vraie montée en puissance du véhicule électrique dans les entreprises, avec l'installation de nombreux points de charge. Si vous avez un contrat de fourniture d'électricité qui différencie bien les prix suivant les moments de la journée, vous voyez assez vite le bénéfice économique que vous pouvez en tirer en décalant la recharge au bon moment », souligne Yannick Jacquemart. Qui plus est, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) travaille actuellement à une réforme des heures creuses sur la composante “réseaux” des tarifs de l’électricité. L'idée étant que celles-ci soient désormais davantage alignées avec les pics de production renouvelables.
C'est in fine dans cette consommation au « bon moment » que réside la clé des bénéfices rendus possibles par une gestion dynamique de la programmation de ses usages. « Cette démarche nécessite de valider certains prérequis : une prise de conscience collective, le déploiement d’équipements de pilotage pour adapter la programmation d’appareils et des offres de fourniture mettant bien en avant les écarts de prix suivant les heures de la journée. Mais elle demeure une mesure à faible coût et pouvant être enclenchée très rapidement, au cours des deux à trois prochaines années », résume RTE dans son baromètre des flexibilités de consommation d'électricité.
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