
Nous avons testé pour vous Climate Sense, l'expérience immersive imaginée par l'explorateur Christian Clot. Le principe : passer 30 minutes sous une température de 50°C, et voir comment on réagit. Spoiler : c'est très dur !
En ce matin de novembre à Paris, l'atmosphère n'est pas celui d'un jour cuisant de canicule. La capitale grelotte sous la neige. Au milieu des flocons et à l'arrière de l'Hôtel de Ville, un camion et une proposition : « Oserez-vous tester la vie à 50°C ? » À l'intérieur, se déroule une expérience immersive imaginée par l'explorateur Christian Clot, auteur du livre Les clefs de l'adaptation humaine, récemment paru aux éditions Denoël. Intitulée Climate Sense, l'expérience est organisée par le Human Adaptation Institute, l'institut de recherche de Christian Clot qui se focalise sur les capacités adaptatives humaines, l'évolution comportementale et l'adaptation anticipatoire.
Lancée en septembre dernier, l'expérience Climate Sense a donc posé ses bagages à deux pas du siège de la municipalité parisienne, au moment où la ville de Paris vient tout juste de dévoiler son nouveau plan climat 2024-2030. La capitale, dont le climat s'est déjà réchauffé en moyenne de 2,3°C par rapport à l'ère préindustrielle, se sait particulièrement vulnérable. En juillet 2019, le mercure est monté à plus de 42°C dans les rues de la capitale, un record historique en près d'un siècle et demi de données. Quelques semaines plus tôt, une température jamais vue en France de 46°C a été enregistrée dans l'Hérault.
La perspective qu'un pic de température à 50°C soit atteint à Paris ou ailleurs en France au cours des années et des décennies à venir n'a ainsi plus rien d'inenvisageable. Mais ça ressemble à quoi, au juste, la vie sous 50°C ? C'est tout le sens de l'immersion proposée par Climate Sense. Le principe est simple : durant 30 minutes, les participants expérimentent diverses activités du quotidien. Comme d'autres journalistes, nous avons pu tester le dispositif.
Expérimenter des activités du quotidien sous 50°
Les portes du camion s’ouvrent. À l’intérieur, un sas sépare le monde frigorifié d’aujourd’hui de la fournaise qui nous menace demain. Nous entrons et la porte se referme derrière nous, et l’expérience commence. La chaleur est telle que l'on se croirait dans un sauna. L’air chaud nous prend à la gorge et se colle à nous comme une seconde peau. Très instinctivement, nous nous hâtons de retirer l'épaisse couche de vêtements que nous avions sur le dos pour ne garder qu'un tee-shirt.
Nous nous dirigeons alors vers le fond du camion où se déroule le premier atelier. Celui-ci nous invite à imaginer un trajet quotidien à pied pour aller au travail par exemple. Nous prenons donc place sur un tapis de course. En marche normale ou dynamique, soit une vitesse comprise entre 4 et 6 km/h, l’idée est de nous montrer qu’un acte très simple du quotidien, ne le sera plus autant si le climat venait à devenir extrême.
Et il n'a pas fallu longtemps pour nous en rendre compte ! Vous voyez la rando en plein soleil que vous regrettez amèrement ? Ici, même sensation désagréable, mais seulement après 4 minutes. Suées anormales, respiration plus profonde, sang qui monte à la tête, visage qui rougit… Nos métabolismes d’héméothermes n’ont pas apprécié ce stress thermique. On comprend, à l'instar de cette participante que « même aller chercher ma baguette de pain au coin de la rue va devenir super dur ! » Pour un autre qui souffre à l'année d'un dérèglement qui fait que son corps régule mal la chaleur, ces sensations sont familières. Transpirer à grosses gouttes sous 25°C, ça le connaît ! Mais sous 50°C, ça ne lui était jamais arrivé. En quelques minutes, son visage ruisselle de sueur et son tee-shirt est littéralement trempé. Étourdi par cette chaleur sèche, il achève ses 10 minutes de marche en se précipitant vers la bonbonne d'eau laissée à température ambiante. Absence d'effet fraîcheur garantie !
Ralentissement cognitif
Nous avions donc chaud, très chaud, mais nous étions loin d’imaginer l’étendue des conséquences sur notre mental. Le deuxième atelier s'est chargé de nous le faire découvrir. Sur une table, des jeux d’adresse nous attendent. Le problème ? Nous n'avons aucune envie de jouer. Ou simplement, n'y arrivons-nous plus ? Pourtant, cela ne fait que 15 minutes que nous sommes dans ce camion ! Difficile d’avoir la volonté de faire la moindre chose par cette chaleur. Notre patience et notre dextérité sont mises à rude épreuve. Parcourir un fil métallique avec une sorte de baguette sans le toucher au risque de le faire sonner ? Impossible. Essayer d’aligner 4 pions de la même couleur dans une grille face à un adversaire ? Aucune stratégie. Nous sommes bien dans le camion, mais nos cerveaux, eux, sont partis en vacances.
Il nous reste encore une étape à franchir pour clore nos 30 minutes de vie sous 50°C. Cette fois, il s'agit de tester notre “réflexion mentale” pour mesurer notre concentration et notre capacité à prendre des décisions. Un questionnaire de 12 questions de logique, à finir en 10 minutes, s'offre à nous.
- « Deux pères et deux fils sont perdus dans les bois. Ils vont pêcher dans une rivière pour avoir quelque chose à manger le soir. Ils attrapent trois poissons. Un des pères dit « c'est bien, cela nous en fera un chacun ». Comment est-ce possible ? »
- « Un bateau effectue un trajet sur un lac parfaitement calme, sans courant. Il parcourt un parfait triangle équilatéral (tous les côtés ont exactement la même longueur). Il va toujours à la même vitesse, il ne subit aucun courant contraire ni vent, n'a aucune panne et ne s'arrête jamais. Pourtant, sur deux côtés il met une heure vingt alors que sur le troisième il met 80 minutes. Comment expliquer cela ? »
- « Je suis d'eau, mais je disparais dans l'eau. Qui suis-je ? »
Vous avez sûrement trouvé les réponses. En pleine chaleur, autant vous dire que ça a été beaucoup plus délicat. Notre cerveau s’embrouille et tourne au ralenti. Amélie, une participante, ne pense qu'à enlever ses chaussures tandis qu'un autre, Pierre, s'inquiète en sentant son cœur accélérer : ça fait quoi de faire une crise d'angoisse sous 50°C ? Autant ne pas trop y penser… Mais preuve en est que le quiz et ses questions sont le cadet des soucis de notre cerveau. Un homme est assis à la gauche d'Amélie, il essaye fièrement de lui souffler les réponses. « Merci pour votre aide », aurait-elle dû lui répondre. Mais, accablée par la chaleur, elle n'a pas envie de lui parler, se sent fatiguée et irritable. « Tu veux mon avis ? Dans un monde à 50°C, fini les interactions sociales ! », glisse-t-elle à Pierre.
Les 30 minutes d'expérience touchent à leur fin. Pour Amélie et Pierre, c'est un soulagement. Ils se rhabillent en se hâtant, impatients de retrouver un peu de fraîcheur. Dehors, la neige continue de tomber mais difficile d'en tirer le moindre soulagement après le scénario catastrophique que nous venons de vivre. Est-ce que ce froid d’hiver sera toujours là en 2050 ?
« Chaque dixième de degré supplémentaire met notre cerveau sous pression »
À la sortie du camion, une vidéo explicative enregistrée par Mélusine Mallender, aventurière et cofondatrice du Human Adaptation Institute, nous explique les effets que la chaleur extrême a sur notre corps, en particulier si l'exposition est prolongée. Dans notre cas, nous n'avons passé que 30 minutes dans la fournaise mais si nous avions passé plusieurs jours consécutifs à subir une telle température, nos organismes se seraient épuisés. Et comme nous avons pu le constater, notre cerveau est extrêmement sensible à la chaleur. « Chaque dixième de degré supplémentaire met notre cerveau sous pression, et cela va immédiatement se traduire par un besoin de réduction de l'activité cérébrale et de perte de capacité cognitive », explique Mélusine.
Laquelle attire également notre attention sur un phénomène méconnu qu'Amélie a touché du doigt : la dégradation de nos fonctions sociales par temps chaud. « Plus il fait chaud, moins notre société fonctionne correctement », détaille Mélusine. Sous l'effet de la chaleur, le ralentissement de l'activité cérébrale entraîne en effet une baisse de la concentration et une hausse de l'irritabilité. « La chaleur augmente même les inégalités entre les femmes et les hommes en Europe », ajoute Mélusine.
Reste une question : à quoi cette expérience peut-elle servir ? « Suite à nos travaux scientifiques de recherche sur l'impact du climat, nous avons constaté que la décision de changer de comportement ne peut pas venir d'une information, elle vient forcément d'une sensation. C'est ce que l'on veut faire vivre aux gens pour qu'ils puissent comprendre le besoin de changement pour prendre les bonnes décisions », explique Christian Clot.
L'expérience cherche à se déployer
Et l'impact de cette expérience est très fort. On est à plus de 70 % de taux de conversion à la sortie. Les retours des participants sont très encourageants. « Personne ne sort en se disant : Oh, c'était sympa, je pourrais y rester ! En revanche, les gens sortent souvent fatigués. Sur le moment, ils n'ont pas forcément l'énergie de penser aux solutions mais l'expérience est telle que ça reste dans leur tête », raconte Christian Clot. L'objectif de l'explorateur est désormais de proposer son expérience dans le maximum d'endroits possibles. Entreprises, lycées, mairies, l'explorateur est prêt à emmener son camion partout où cela sera nécessaire. Actuellement autofinancé, le projet se cherche des partenaires : à bon entendeur !
Bonjour à toutes et à tous, C’est vraiment une expérience enrichissante et qui devrait convaincre les climato sceptiques ! Où peut-on tester cette expérience ce moment ? Comment se rapprocher des organisateurs pour proposer cette découverte en entreprise ?
Merci beaucoup
Bonjour,
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Béatrice SUTTER
Bonjour,
article très intéressant, puisqu'il relate aussi une expérience de vie au sens biologique. Auriez vous les réponses aux devinettes ? 😉 merci pour la qualité de votre article
C'est une expérience très intéressante. Merci.