Une fille vue d'en haut dans les WC d'un bar ou d'une boîte de nuit

À quand un service public du recyclage de nos excréments ?

© Roman Odintsov

Pour réduire l'élevage et mettre au ban les engrais chimiques, désastreux pour la biodiversité, il va falloir sauter le pas : recycler notre pipi et notre caca.

En avant la rétro innovation ! « Si on valorisait les urines de tous les habitants de l’agglomération parisienne pour fertiliser du blé, on pourrait produire 25 millions de baguettes de pain par jour », défend Fabien Esculier, auteur d’une thèse sur le système alimentation/excrétion des territoires urbains. Le taux de recyclage de l’azote sur le bassin parisien est de 0,5 % alors qu’il était de 50 % il y a un siècle.

Le tout-à-l’égout, système plus qu’imparfait

Il n’y a aucune bonne raison de continuer à s’en passer. D’autant que le modèle actuel d’assainissement est « insoutenable » d’après Marine Legrand, biologiste et anthropologue qui s’intéresse à la transition des systèmes alimentations et excrétions depuis 2018 au sein du programme de recherche OCAPI (Organisation des cycles carbone, azote, phosphore dans les territoires) : « Les engrais de synthèse, ce sont des énergies fossiles et le phosphore, ça vient des mines. »

Se questionner sur le devenir de nos excréments, déversés quotidiennement dans les rivières après un passage en station d’épuration, est encore farfelu. « C’est une solution très peu discutée alors qu’elle est coûteuse en énergie et polluante : on envoie de l’azote et du phosphore dans l’eau (responsables de la prolifération d’algues et de la surmortalité des poissons, Ndlr) », explique la chercheuse à propos d’un système d’assainissement qui ne remplit même pas sa mission de salubrité : « Il y a des bactéries fécales dans l’eau partout. »

Les freins culturels autour du pipi caca

À force d'invisibiliser la gestion de nos excréments, des freins culturels se sont enracinés : « Nos excréments nous renvoient à l’horizon de notre propre mort. Ils nous font peur alors qu’ils sont potentiellement des sources de vie », analyse l’anthropologue.

D’autres clichés ont la vie dure. Sur l’hygiène, par exemple, le seul vrai point de vigilance à l’usage de nos excreta comme fertilisants est sur « le devenir dans les sols des micropolluants d’origine médicamenteuse », d’après Marine Legrand.

Des initiatives émergent

Quelques initiatives économiques privées participent à la levée de ces barrières mentales. La start-up Toopi Organics, fondée en 2019, récupère et transforme l'urine en biostimulant agricole. Sans se prononcer sur la viabilité du modèle économique de la start-up, Marine Legrand reconnaît qu’elle contribue à médiatiser « le sujet de l’urine comme engrais. » Dans les prochaines années, l’émergence d’une filière de recyclage des excreta humains pourrait également s’appuyer sur une base économique qui a fait ses preuves dans l’événementiel : les loueurs de toilettes sèches.

Mais à l’heure actuelle, le prix des engrais de synthèse est encore trop bas pour que « des engrais de pipi et de caca » ne soient concurrentiels. « La profitabilité brute est faible, donc il y a peu de chances que le secteur privé fasse émerger une filière », conclut-elle. Avec l’équipe du programme OCAPI, elle propose plutôt d’utiliser « une taxe sur les engrais azotés, en tenant compte de leurs externalités négatives, pour financer la transition du système d'assainissement. » Une vocation de service public, qui aurait tout intérêt à mettre au ban un système d’assainissement actuellement très coûteux.

De fait, les acteurs publics se mobilisent déjà. À Paris, le projet de l’écoquartier Saint-Vincent-de-Paul va faire l’objet d’une expérimentation de la part de Paris Métropole. Des toilettes à séparation (qui collectent les urines d’un côté et les matières fécales de l’autre, Ndlr) sont installées pour récupérer l’urine et la transformer en engrais dans une mini-station décentralisée. Un projet subventionné à 80 % par l’agence de l’eau Seine-Normandie.

À Lyon, jusqu’en 2025, la métropole cofinance le projet de recherche-action KOLOS pour analyse les possibilités et les débouchés de la séparation à la source des urines et matières fécales. Le projet implique également un démonstrateur d’une fertilisation au lisain (urine stockée, Ndlr) pour le répliquer ensuite dans d’autres territoires.

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commentaires

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  1. Avatar Hervé dit :

    Bravo, enfin une très bonne idée de recyclage prouvé que je pratique depuis 10 ans avec succès en stockant en réserve pour le bonifier mon stock familial jusqu'au jour ou je déciderais d'une autonomie totale en matière de production agricole bio, si mes filles veulent bien s'y mettre avec moi

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