Un homme avec un masque V pour Vendetta

Arnaques en ligne : comment les femmes se font piéger...

© Thomas Vanhaecht

Systèmes pyramidaux, princes charmants virtuels et publicités mensongères : face aux promesses d’amour et d’argent facile, de nombreuses femmes sont victimes d’arnaques en ligne.

Pour Laurine, 28 ans, tout commence par un “match” sur une application de rencontre. En mai 2024, la responsable de communication commence à discuter sur Tinder avec un bel Allemand affirmant habiter à Monaco et faire du trading en cryptomonnaies sur son temps libre. « Un soir il m’a proposé de m’expliquer comment je pouvais en faire. Il avait l’air de savoir de quoi il parlait, et je me sentais en confiance », se rappelle-t-elle. Dès le premier soir, elle gagne 200 €. Pendant plusieurs semaines, Laurine et son investisseur discutent, mais ce dernier trouve des excuses pour ne pas qu’ils se voient dans la vraie vie : « il m’envoyait des photos de lui dans différentes situations, m’expliquait qu’il était en déplacement. » Un soir, il la convainc de recommencer son expérience de trading, et lui transfère 20 000 dollars sur un compte de monnaie virtuelle, tandis qu’elle mise 500 euros. « Ça s'est passé en vingt minutes : on a tradé, 120 000 dollars arrivent sur le compte, je dois les transférer sur un site pour transformer la cryptomonnaie en véritable argent, et l’argent n’arrive jamais », confie Laurine. La jeune femme panique, et reçoit un message indiquant qu’elle doit payer 20 % de taxes sur sa somme, soit 20 000 dollars, ou l’argent sera bloqué. « J’essaye de l’appeler, il ne me répond pas. Puis il me dit de faire un prêt à la consommation, qu’il faut que je rembourse. » Laurine finit par remarquer que le site de trading est complètement faux. Dès le lendemain, elle porte plainte pour escroquerie. « Pendant cinq jours, il m’a envoyé des dizaines de messages, il a essayé de m’appeler… Ça m’a confirmé que c’était une arnaque, et qu’il avait sûrement différents profils. »

L’histoire de Laurine n’est pas exceptionnelle : en 2022, une task force regroupant l’Autorité des Marchés Financiers, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), la Banque de France et les Ministères de l’Intérieur et de l'Économie alertaient sur le fait que depuis la crise sanitaire, les réseaux sociaux sont devenus des points d’entrée pour les arnaques. « Les futures victimes sont approchées par des publicités sur le Web, sur les réseaux sociaux les amenant à divulguer, via des formulaires Internet, des données personnelles qui seront utilisées pour mieux manipuler la victime », indiquait la task force dans un guide de prévention contre les arnaques. S’il n’existe pas de statistiques sur la part genrée de ces escroqueries en ligne, les femmes sont parfois ciblées par des escroqueries spécifiques, dont les arnaques aux sentiments, qui permettent aux escrocs de soutirer de l’argent à leurs victimes sous couvert de propos tendres. « On a envie qu’on nous dise de belles choses, et quand il s’est intéressé à moi, j’ai baissé ma garde. Sa manière de parler, de m’aborder, ça m’a touchée, donc je pense que ça en touchera d’autres », analyse a posteriori Laurine. Si les arnaques aux sentiments ne sont pas nouvelles, elles évoluent avec les nouvelles technologies, et notamment l’arrivée des cryptomonnaies. Interrogée, l’Autorité des marchés financiers nous révélait que depuis 2020, 127 personnes ont été recensées dans un schéma du type « création de confiance » via les réseaux sociaux et les sites de rencontres ; et que 93 d’entre elles ont déclaré une arnaque associée à des investissements en cryptomonnaies. Le préjudice moyen de ces arnaques dépassait les 35 000 euros.

Sur les réseaux sociaux, escroqueries à tous les niveaux

Les confinements de 2020 ont été un moment charnière pour les escrocs numériques : isolement, temps passé sur les écrans, et rêves d’ailleurs : la recette pour attirer plus de victimes. Depuis, les arnaques se multiplient, comme le constate Jean-Baptiste Boisseu, ingénieur informaticien et fondateur du site Signal Arnaques. « Très souvent, les escrocs créent ou usurpent des comptes. Tout ce qui est publicité en ligne, ça peut être très bien ciblé, et ça permet de toucher facilement les victimes », constate celui qui observe ces arnaques depuis dix ans. Aucun public n’est épargné : « cela touche toutes les couches de la population, mais pas sur les mêmes arnaques », avance Jean-Baptiste Boisseu. Ainsi, les femmes seraient plus exposées aux arnaques de dropshipping, ces produits de mauvaise qualité, achetés en gros créés par des vendeurs sans stock, car ce sont elles qui achètent davantage en ligne. À cela, on peut rajouter les arnaques autour de produits “miracles”, de cures amincissantes en programmes de coaching. Autre domaine que Jean-Baptiste Boisseu voit émerger, ce sont les réseaux de marketing multiniveau, ou MLM. Ces business, pourtant légaux, adoptent les codes des réunions Tupperware : pour entrer dans le réseau, il faut recruter de nouveaux membres dans son entourage, et ainsi de suite. « Ces arnaques ciblent beaucoup les femmes au foyer ou celles qui ont un travail à temps partiel, et cherchent un complément de revenus », avance le fondateur de Signal Arnaques. Ainsi, en quelques clics sur Facebook, des groupes comme Maman travail à la maison, regroupant près de 10 000 membres, fourmille de propositions de “business” soi-disant rentables, qui font miroiter des commissions à quatre chiffres.

Rien de nouveau sous le soleil des arnaques, néanmoins. « C’est compliqué parce que comme toutes les activités en ligne se sont développées, les arnaques aussi. Faire la différence entre un message réel et une arnaque est complexe, et on est parfois démunis », constate Jean-Baptiste Boisseu. Si les recommandations des autorités se multiplient, l’ingénieur informaticien estime qu’elles ne sont pas illustrées par des exemples convainquants. À cela s’ajoutent la culpabilité et la honte des victimes. Selon Sylvie Jonas, avocate spécialisée dans la cybercriminalité, « toute arnaque joue sur des leviers humains, l’envie de bien faire ou d’être aimé, par exemple. » Les victimes ont souvent honte, ce qui les empêche d’en parler à des proches ou de porter plainte. « Je m’en suis tellement voulu. Les premiers jours, j’en étais malade, je me posais mille questions. Ça détruit la confiance en soi, car il m’a pris pour une cruche alors que moi j’étais sincère. J’avais beaucoup d’espoir alors que l’homme auquel je parlais n’existait pas », soupire Laurine. Si la jeune femme a porté plainte, elle n’a jamais eu de retour sur celle-ci, et est devenue très méfiante. « Il y a un travail à faire pour replacer la victime dans son rôle, et qu’elle se sente autorisée à demander justice », estime Sylvie Jonas. 

Spiritualité et arnaques : le couple gagnant

Autre phénomène contre lequel mettent en garde à la fois les autorités financières et la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) : les programmes de coaching ou les réseaux de vente qui développent un narratif ésotérique, spirituel, notamment au travers de groupes de femmes. Anaïs, 29 ans, est contactée durant le confinement de 2020 par une ancienne connaissance du lycée, pour lui proposer d’entrer dans un “mandala” pour “tisser des rêves”. « Je vivais seule, dans une ville où je ne connaissais personne, je venais de quitter mon copain de l’époque. J’avais besoin de relations sociales », analyse-t-elle aujourd’hui. Cette connaissance lui propose d’accéder à un cercle de femmes, contre paiement d’un droit d’entrée pour la personne au sommet. Elles se réunissent toutes les semaines pour travailler leur spiritualité, en espérant un jour arriver au sommet de cette pyramide pour récupérer l’argent des autres… En embauchant d’autres membres. Anaïs se voit proposer de donner 1 300 euros à la “femme de l’eau”, au sommet. Par WhatsApp, sa connaissance lui indique qu’« avec ce geste, nous participons à la réalisation d’un rêve d'une femme, c'est un acte d'amour et de confiance. Avec ce geste, nous guérissons notre rapport à l'argent, et nous changeons de paradigme. L'argent n'a plus à être mauvais, ni source de souffrance, il est donné ! C’était bizarre parce qu’on se connaissait peu, et en même on avait une amie d’enfance en commun qui faisait partie du mandala dans un cercle au-dessus d’elle », se rappelle Anaïs. La connaissance tente de la convaincre, invoque un mouvement qui « choque parce qu'il va à l'encontre du système capitaliste et patriarcal, dans lequel l'argent nous contrôle. »

Anaïs déclinera l’invitation. « Je me suis imaginé chercher des personnes à mon tour et j'ai trouvé que ça pouvait être stressant, je ne voulais pas mettre la pression ensuite à des personnes qui me sont proches, tout ça pour récupérer un argent hypothétique », se rappelle-t-elle, sans regrets. Mais Sylvie Jonas le rappelle : « juridiquement, c’est de l’escroquerie. Le mieux, c’est de déposer plainte, ou d’écrire au procureur de la République. » L’avocate insiste sur le dépôt de plainte en ligne permis par la plateforme THESEE, spécialisée en cybercrimes, dont les escroqueries en ligne. Pourtant, Jean-Baptiste Boisseu, de Signal Arnaques, trouve insuffisants les moyens de combattre ces escroqueries. « On manque d’enquêteurs spécialisés, de pouvoirs et de soutiens d’organismes pour travailler sur ce sujet », estime-t-il. Un manque de moyens qui pousse les escrocs à innover.

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