Sarah Guillou : Éclairer le débat économique et politique mondial

Sarah Guillou a pris la parole le 24 juin dernier dans le cadre de la conférence de l'USI. Économiste, elle dirige le département Innovation et Concurrence de l’Ouest à Sciencespo-OFCE. Elle nous livre ici ses réflexions sur les enjeux économiques et politiques contemporains, ainsi que sur sa vision du futur.
Pouvez-vous nous résumer votre parcours en quelques mots ?
J'ai fait un doctorat d'économie. J'ai touché à plusieurs sujets, les entreprises, l'industrie, les politiques publiques, le rôle de l'État dans la compétitivité des entreprises… Aujourd'hui, je suis à l'Observatoire Français des Conjonctures Économiques, un centre de recherche en économie d'évaluation et de prévision. Au sein de ce centre, je dirige l’équipe du département Innovation et Concurrence.
Si vous deviez résumer votre raison d’être ?
Ma raison d'être... Il y a une professionnelle et une personnelle, c'est un peu différent, mais je pense que c'est la quête du savoir, dans l'enceinte de la tolérance et de la liberté.
Vous parliez en préambule de votre intervention du 24 juin à l'USI d'une prise de conscience des règles du jeu de l'environnement économique et politique mondial en 2024. Quelles sont-elles ?
Aujourd’hui la technologie est hyperprésente et très structurante, ce qui crée de nouvelles forces. Le niveau d'interdépendance économique n'a pas faibli malgré toutes les mesures de découplage ou les mesures de protection des marchés. Elle est née du fonctionnement de l'économie, des industriels et de la nécessité de l'échange. Elle prend d'autres formes et se polarise à certains endroits, avec le "french sharing", c'est-à-dire de commercer avec nos amis. Il y a tout un tas de processus qui cherchent à modifier cette interdépendance, mais elle est toujours très présente. C'est pour cela que je concluais ma présentation à l’USI 2024 en disant que la plus grande utopie, c'était de faire croire à l'autonomie des États. La technologie, l'interdépendance économique et les rapports de force géopolitiques polarisent les tensions entre les nations, comme cela a toujours été, mais aujourd'hui, cela se cristallise beaucoup dans les relations économiques.
Quelle est votre vision du monde de demain et quelles sont vos raisons d'espérer?
Malgré tout, la croyance en la technologie et le progrès technique reste un fondamental des sociétés. Bien que nous ayons beaucoup d'interrogations sur l'impact des technologies et leur potentiel disruptif, comme l'intelligence artificielle ou le transhumanisme, il y a un degré de vigilance nécessaire. L'enjeu environnemental est critique et investit tous nos champs économiques. On ne peut plus penser le développement économique sans penser à l'environnement. Heureusement, c'est légitime. On s'inscrit dans d'autres manières de consommer et de produire. Ce qui nous fait croire qu'on peut encore y arriver, c'est la confiance en la volonté de progrès et l'invention du collectif.
Votre réponse invite à rebondir sur la notion d'engagement. Est-ce que vous, personnellement ou l'organisme que vous représentez, avez réussi à tenir un engagement ces dernières années qui procure fierté ?
Mon engagement et celui de mon institution, c'est d'éclairer le débat public. C'est notre mission et c'est aussi ce qui anime mon intérêt professionnel. La neutralité n'existe pas complètement, mais éclairer signifie montrer ce qui est complexe. Aujourd'hui, la complexité est évincée du débat public et politique. Refuser la complexité, c'est s'interdire de faire les bons diagnostics, et sans les bons diagnostics, on ne trouve pas les bons remèdes. Ceux qui animent le débat public doivent montrer que le monde est complexe et que les solutions ne doivent pas être radicales.
Vous parlez d'éclairer. Quelle est la personnalité qui vous a le plus inspirée au fil de votre carrière ?
C'est une question difficile. Il y a eu des rencontres marquantes. Il est toujours plaisant, en tant qu'intellectuel ou chercheur, de rencontrer quelqu'un qui pense comme vous. Cela apporte du réconfort d'avoir une communauté de vues et d'analyse, même si ce n'est pas si fréquent. Parfois, des lectures vous éclairent d'une nouvelle perspective. Les personnalités qui m'inspirent sont celles qui assument la complexité, la modération et qui croient en la liberté.
Et si l'on se tourne vers sur l'avenir : quels sont vos projets pour les prochaines années ?
J'ai plusieurs projets. Certains consistent à poursuivre dans les disciplines et les champs d'intérêt actuels, comme la souveraineté numérique et la compréhension des rapports de force. Un projet concerne une association de formation sur la souveraineté numérique en Afrique. Et d'autres projets sont en train de germer.
L'Afrique, ça fait partie des grands sujets du monde de demain ?
Oui, l'Afrique est trop délaissée. Elle a beaucoup d'efforts à faire en interne. Nous ne pouvons pas tout faire pour elle, il faut que les pouvoirs en place se saisissent de leur avenir. C'est un lieu de vitalité et d'énergie par sa jeunesse et son potentiel de croissance qui peut devenir un moteur de la marche du monde de demain.
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