Une fille avec 3 smartphones

TikTok is "brain rot" or not "brain rot" ? Telle est la question…

© FB via Midjourney

Entre humour et témoignages, les internautes dénoncent : un usage intensif d’Internet aurait détruit leurs capacités cognitives.

« Je pense sérieusement que j’ai une addiction “brain rot” aux réseaux sociaux », écrivait un utilisateur désespéré sur Reddit, décrivant pêle-mêle la baisse de ses capacités de concentration, son désir compulsif de scroller sur les réseaux sociaux et l’anxiété que ces différents comportements généraient chez lui. Depuis quelques mois, ce genre de messages se multiplient sur le forum américain : « Réseaux sociaux, YouTube… Tout est rempli de “brain rot” ! (…) Comment je peux échapper à tout ça ? », s’interrogeait un autre, tandis qu’un troisième, déclarait avec véhémence : « TikTok is brain rot » (littéralement, « TikTok est brain rot »).

Avec l’expression « brain rot », que l’on peut traduire en français par « pourriture de cerveau », les utilisateurs des réseaux sociaux dressent sur ces mêmes réseaux sociaux, un portrait sombre d’Internet : selon eux, passer du temps en ligne signifierait s’exposer à des contenus de mauvaise qualité, qui auraient des conséquences négatives sur leur capacité à se concentrer et leur intelligence. Sur TikTok, les jeunes sont nombreux à s’emparer de cette tendance sur le ton de l’humour. Ils se filment comme autant de mèmes vivants, reprenant à l’oral et pendant plusieurs minutes des dizaines de blagues glanées sur Internet et qui, hors contexte, leur donnent un air stupide — manière de mettre en pratique la théorie, et de montrer qu’Internet dévore le cerveau. Mais est-ce bien vrai ?

@cherriems

lonely sigma with a cold heart😅🖤 #pov #brainrot #meme #fyp

♬ original sound - Cherriems

Discours anti-écran

Bien que née sur Internet, la tendance « brain rot » fait écho à de nombreux discours d’intellectuels — parfois contestés dans le milieu de la recherche —, qui accusent la consommation du numérique d’être à l’origine de tous nos maux. Dans La Fabrique du crétin digital (éd. du Seuil), l’essayiste Michel Desmurget, dont les conclusions sont régulièrement remises en cause par d’autres chercheurs, affirmait par exemple que la profusion d’écrans avait des conséquences sur la santé, le comportement et, donc, les capacités intellectuelles.

Pour Anne Cordier, enseignante-chercheuse en sciences de l’information et de la communication, et spécialiste des usages numériques des jeunes, les publications « brain rot » épousent ces thèses controversées : « Ces contenus reprennent un discours très répandu, qui condamne les réseaux sociaux et voit en eux un espace d’avilissement, comme si tout ce que faisaient les jeunes sur le Web n’était pas sérieux », déplore-t-elle. Laisser entendre que tout ce qui passe sur le Web est stupide serait même une forme de mépris de classe, estime Pascal Plantard, professeur des universités en sciences de l’Éducation à Rennes-2 : « Il y a d’un côté les jeunes qui consomment ces contenus et de l’autre, des adolescents plus privilégiés qui méprisent et stigmatisent cet usage d’Internet des plus précaires, qu’ils moquent et jugent aliénant. » Autrement dit, pour pouvoir affirmer qu’Internet nous a dévoré le cerveau, il faut avoir la possibilité de s’en rendre compte — un privilège réservé aux jeunes les plus éduqués.

Une petite musique dans l’air du temps

Cette petite musique anti-écran, à laquelle appartient le mouvement « brain rot » gagne. Dans les classes de primaire où la chercheuse Anne Cordier enseigne, de jeunes enfants décrivent leurs pratiques numériques comme « pas sérieuses » : « On est loin des forums Reddit, et pourtant, il y a le même type de condamnation de ce qu’il se passe sur le Web, explique-t-elle. Ces discours sont partout dans la bouche des politiques, des médias, parfois des parents… Les jeunes les intègrent dès leur plus jeune âge, bien souvent malgré eux. » De là à condamner les espaces de liberté et de plaisir des plus jeunes, il n’y a parfois qu’un pas : « Ces critiques sous-entendent que tout ce que l’on fait sur Internet ou ailleurs doit être toujours rentable, intelligent. Pourtant, les jeunes ont le droit à la paresse », abonde Anne Cordier. De quoi couper court à toute forme d’humour « brain rot ». Si ces vannes ne font pas rire grand monde, elles culpabilisent tous les jeunes.

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