un mickey depressif et vieux devant un village idylique

Cotino : la ville pour Happy Few que Disney a implantée en plein désert fait scandale

© Disney/mickey short via YouTube

Avec les premiers habitants attendus dès 2025, cet immense quartier entièrement conçu par Disney au cœur du désert californien entérine le revirement stratégique du groupe du storytelling au storyliving.

Dans le désert d’idées où la Walt Disney Company semble s’être perdue, accumulant flops et récits usés jusqu’à la corde, un projet nouveau se dessine : Cotino. Une communauté que la firme va installer au cœur du désert californien et dont les premiers résidents sont attendus début 2025. Face à l’essoufflement de son storytelling, la firme veut passer au storyliving !  

Car Cotino promet une expérience client totale où la frontière entre l’écran et le réel s’estompera définitivement. Les résidents de cet « oasis enchanté » ne seront plus de simples spectateurs de parcs à thème, mais de véritables citoyens, utilisateurs permanents de l’univers Disney. Josh D’Amaro, président des parcs, expériences et produits Disney, résumait ainsi la stratégie du groupe en 2022 à USA Today : « Nos fans continuent de chercher de nouvelles façons de s'engager avec nous pour garder Disney dans leur vie, indique-t-il. Dans ces communautés de marque, vous pouvez faire partie de Disney tout le temps. Chaque élément de ces communautés sera imprégné d'une histoire. »

La magie…, mais pas pour tous !  

La team des célèbres Imagineers de Disney [les concepteurs des parcs, Ndlr] a tout donné pour créer une expérience immersive et totale aux heureux propriétaires : parcs thématiques, sentiers de promenades, plages de sable blanc… Paddle et kayak sont au programme dans le lagon artificiel à l'eau cristalline pour les plus sportifs. L’art de cultiver le farniente version poussière d’étoiles attend, quant à lui, les futurs membres du Club Artisan – un espace premium avec cotisation annuelle qui dispose d’un manoir futuriste inspiré de l’univers des Indestructibles. Sans oublier l’incontournable rue commerciale Main Street renommée Cotino Bay Beach, où artisans et créateurs proposeront des produits brandés Disney. De quoi parachever cette immersion dans l’univers enchanté..., pour ceux qui peuvent se l’offrir. Les 2 000 résidences thématiques de Cotino proposent un ticket d’entrée d’un million de dollars. Pour les autres, un accès à la journée est prévu. 

La cible prioritaire ? Les retraités fortunés, bien sûr ! Comme l’indique le site officiel de Cotino, « des emplacements de maisons désignés seront un havre pour les adultes de 55 ans et plus, entourant le parc Longtable – un parc exclusif pour ses résidents. » C’est officiel : Disney veut donc hacker le marché en or massif des résidences pour seniors. Après tout, comme l’expliquait Daryl Fairweather, économiste en chef chez Redfin, à USA Today : « Les baby-boomers prennent leur retraite. Ils vont déménager dans des communautés de retraite. Pourquoi ne pas en faire une communauté de retraite de marque Disney ? »  

L’héritage dévoyé de Walt Disney, bâtisseur futuriste  

Ce revirement stratégique est loin d’être un accident de parcours. Walt Disney lui-même nourrissait une obsession pour l’urbanisme et rêvait d’un avenir où les villes incarneraient sa vision du progrès. Comme le rappelle Alex Krieger, professeur d'urbanisme à Harvard, « imaginer de nouveaux lieux de vie est une tradition américaine, et Disney y a participé avec enthousiasme. »  

Dans les années 60, l’Amérique désillusionnée par l’insécurité des centres-villes et l’anonymat des banlieues pavillonnaires, cherchait des alternatives. L’ère des villes nouvelles, où le new Urbanism [courant de pensée Nord-Américain visant à lutter contre l’étalement urbain, NDLR] fait vibrer les jeunes architectes et urbanistes. C’est dans ce contexte que Walt Disney avait imaginé EPCOT – Experimental Prototype Community of Tomorrow –, sa ville futuriste planifiée, un rêve communautaire jamais réalisé mais qui a inspiré les concepteurs de la zone urbaine « Célébration », proche de Walt Disney World Resort et de Val d'Europe à Marne-la-Vallée.

Le créateur de Mickey rêvait sa cité idéale comme une vitrine vivante de l’ingéniosité industrielle et civique. Chaque nouvelle technologie, des réfrigérateurs aux innovations urbanistiques, y aurait été testée en avant-première par les 20 000 habitants de la ville. C’était aussi une expérience sociale totale. Des gratte-ciel étaient prévus pour loger les plus modestes, des quartiers résidentiels en cul-de-sac pour les familles… Autant dire qu’avec Cotino, l’héritage d’EPCOT a été très largement dévoyé. L’utopie s’est transformée en une expérience client ultrapremium réservée à une poignée de Happy Few. Quant aux centaines d’employés qui devront mettre en branle l'oasis, aucun logement n’a été prévu pour eux à Rancho Mirage, ville d’implantation de ladite oasis – pourtant la deuxième ville la plus chère de la vallée de Coachella. 

18 terrains de football d’eau en plein désert 

C'est le coût écologique du fameux point d’eau – dont la superficie équivaut tout de même à 18 terrains de football – fait aussi scandale. Mark Wolpa, résident de Rancho Mirage, interviewé par le Los Angeles Times, ne décolère pas. « C’est toujours un désert, et l’eau est une ressource précieuse. Un lagon ici, c’est du pur gaspillage. » Rancho Mirage, déjà une oasis artificielle, ne reçoit que 15 cm de pluie par an. Si l’ex-maire de la commune, Ted Weill, tente dans le même article de défendre le projet, assurant que tout est conforme aux normes en matière de restrictions d’eau, les voix comme celle de Bill Miller, jardinier et environnementaliste, rappellent aussi que la faune locale, elle, n’a pas du tout été prise en compte : « Les oiseaux, les papillons, les lézards… Tout ce petit monde est délogé sans aucune considération. » En revanche, le projet prévoit un parc à chiens thématique. Les habitants de Rancho Mirage devront se contenter de ce lot de consolation. Les espèces délogées et les arbustes arrachés pour la bonne cause aussi. 

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