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Attaque de zombis au musée du quai Branly : et si on en profitait pour tuer quelques clichés

© Thriller

À l'occasion de l'exposition Zombis, la mort n'est pas une fin, on découvre un système de croyances considérablement plus complexe que ce que la pop culture en a fait.

Médecin légiste, archéologue et anthropologue, Philippe Charlier a organisé une grande exposition consacrée aux zombis, loin des clichés véhiculés par le cinéma. Il explique en quoi cet archétype incarne des réactions universelles face à la mort.

Que révèle l’archétype du zombi de notre rapport aux vivants, aux esprits et aux fantômes ?

Philippe Charlier : En Occident et dans la pop culture, il incarne le fantasme et la phobie d’une mort contagieuse. Lorsqu’il vous touche ou vous mord, vous perdez la vie et devenez un zombi à votre tour. Cette connotation épidémique le rapproche des vampires du cinéma et de la littérature – abstraction faite de l’esthétique romantique qui accompagne ces derniers. L’imaginaire pop culturel qui entoure le zombi vient aussi du cinéma : lorsque les États-Unis ont occupé l’île d’Haïti, entre 1915 et 1934, des ethnologues américains redécouvrent la religion et la culture vaudoues. Leurs travaux sont lus à Hollywood et inspirent notamment deux films emblématiques : White Zombie (1932) et I walked with a zombie (1943). À la fin des années 1960 surtout, le réalisateur George Andrew Romero réinterprète le concept pour en faire un film d’horreur et de gore : Night of the Living Dead (1968). Cette relecture du mythe zombi sera popularisée jusqu’à aujourd’hui, dans des séries comme The Walking Dead (2010 - 2022) ou le film World War Z (2013).

White zombie, 1932

Mais tout cela n’a rien à voir avec la réalité de la culture vaudoue…

P. C. : Absolument rien, et cela a même pu faire du mal à Haïti. Il y a, historiquement, une part de stigmatisation mal placée, pour ne pas dire de racisme, à réduire cette religion à des rituels épouvantables et à de la sorcellerie. Dans l’exposition Zombis, la mort n’est pas une fin, nous montrons que le vaudou est une culture et une religion respectable et organisée, qui s’efforce d’équilibrer la position des humains par rapport à la nature – une question d’actualité ! Elle comprend un panthéon riche et intéressant, avec un dieu créateur, des forces qui agissent à travers le monde sous forme d’esprits, etc. En même temps, ce qu’il y a de fascinant dans le vaudou, c’est d’être un syncrétisme (ou mélange) de religions aux origines très éloignées : des croyances d’Afrique subsaharienne qui étaient celles des esclaves enlevés et transportés aux Antilles ; des éléments de catholicisme romain, inculqués de force pendant les trois mois que durait la traversée ; et la culture autochtone des Taïnos, un peuple présent en Haïti bien avant l’arrivée des Européens. Ces habitants auraient, selon une « tradition indigéniste », régulièrement recueilli des esclaves en fuite et les ont initiés à leurs secrets.

Qu’est-ce qu’un zombi dans ce cadre d’origine ?

P. C. : Cet archétype s’inscrit d’abord dans un processus judiciaire. C’est l’individu qui a perpétré un crime et notamment un viol, « qui ne respecte pas le ventre des femmes », selon une expression consacrée. Cela peut aussi être quelqu’un qui a commis un délit grave, par exemple vendre une terre qui ne lui appartenait pas vraiment. Traditionnellement, cette personne est jugée par un tribunal ou une société secrète, comme celle des Bizangos, spécialisée dans la justice parallèle. Les adeptes convoquent sept fois de suite l’accusé, pour que celui-ci démontre son innocence ou reconnaisse sa culpabilité. S’il ne fait ni l’un ni l’autre, il est condamné à une peine « pire que la mort » : la zombification. Il est drogué, mis dans un état de mort apparente, enterré vivant, sorti de terre quelque temps après, de nouveau drogué et considéré comme un esclave. Ça peut durer des années, jusqu’à ce que la personne lésée meure, par exemple. Au passage, ce n’est sans doute pas un hasard si l’esclavage comme punition ultime hante l’imaginaire de ces descendants d’esclaves…

Cette zombification déborde-t-elle parfois hors du cadre judiciaire ?

P. C. : Bien sûr, des innocents peuvent même en être victimes dans le cadre privé. Dans les contes populaires, on retrouve par exemple l’archétype de la belle-mère qui s’en prend ainsi à son gendre, ou le mari qui zombifie son épouse pour partir avec une maîtresse. À chaque fois ces criminels passent par un « bokor », un prêtre louant ses services et usant de sa connaissance des toxines pour empoisonner les victimes. Enfin on retrouve deux autres formes de zombi : d’une part la personne en proie à un délire psychotique, persuadée que tout ou partie de son corps est mort – ce que l’on appellerait le syndrome de Cotard dans la médecine occidentale, qui est vécu et interprété à travers le prisme de la zombification dans le contexte caraïbéen. Et d’autre part, ce qu’on pourrait appeler le « zombi social ». C’est typiquement « le retour de Martin Guerre » : on a d’un côté un individu isolé, qui n’a plus aucun proche, et de l’autre, une famille qui a perdu un membre important, souvent le patriarche. Ensemble, ils se mettent tacitement d’accord pour former un nouveau groupe ; et pour expliquer la présence du nouveau mort, on dit qu’il a changé parce qu’il a subi une zombification…

Vous faites souvent le parallèle avec des concepts occidentaux : y a-t-il quelque chose d’universel dans cet archétype ?

P. C. : Pour moi, le zombi haïtien représente tous les condamnés, les marginaux, les laissés-pour-compte… Nous en croisons beaucoup, même en France ! Je pense à certains SDF en situation d’isolement, aux personnes âgées que plus personne ne vient voir dans les Ehpad, aux patients mélancoliques, ou encore aux détenus qui ne sortent jamais de leur cellule. Tous les individus pris dans des formes de mort sociale sont aussi pris dans ce que les Haïtiens pourraient appeler des processus de zombification. C’est aussi pour cette raison que j’insiste sur la différence avec les monstres de la pop culture : un zombi est fondamentalement un corps qui perd son âme, son libre arbitre et sa faculté de raisonnement… Nos fantômes traditionnels, à l’inverse, sont des esprits impalpables, qui n’ont plus d’enveloppe corporelle mais qui peuvent néanmoins prendre possession de personnes ou d’objets pour agir sur notre monde.

En tant qu’anthropologue et médecin, diriez-vous que ces figures font toutes écho à notre désir de mettre la mort à distance ?

P. C. : Les rituels funéraires au sens large ont toujours pour fonction d’instaurer une séparation nette entre le monde des vivants et celui des défunts. Si vous vous promenez dans un cimetière avec un regard volontairement naïf, vous êtes immédiatement frappé par tout ce que nous mettons en place pour les morts ne reviennent pas ! Un cercueil fermé par six clous alors que deux suffiraient, une lourde dalle funéraire, difficile à soulever, des symboles religieux et des talismans… On ferme même le cimetière à clé. Pour moi, qui ai un regard de médecin légiste, d’archéologue et d’anthropologue, ces protections font écho à une difficulté très concrète : nous avons du mal à définir la mort et à identifier quelqu’un comme tel ; nous avons donc peur de nous être trompés et de le constater si nos défunts cherchaient à sortir de leur tombe. À l’hôpital, par deux fois, j’ai failli avoir à autopsier des patients qui étaient encore vivants. En Haïti, deux témoins – pas forcément des médecins – peuvent suffire pour attester qu’une personne est décédée. Des erreurs arrivent forcément, et c’est quelque chose que l’on retrouve dans toutes les cultures.

Vous consacrez une partie de votre travail aux autopsies de personnages historiques : est-ce une façon de perpétuer leur mémoire, voire de leur donner une seconde vie ?

P. C. : Les vestiges de nos ancêtres sont autant de livres à découvrir, qu’il s’agisse de restes fossiles, de squelettes ou tout simplement de papiers tachés de sang. Dans le laboratoire que je dirige, le LAAB, nous faisons à la fois de l’anthropologie médicale et de la paléopathologie. Concrètement, nous cherchons à reconstituer la vie et la chair des morts, tout en respectant scrupuleusement leur statut de personne disparue. Nous travaillons parfois sur des foules d’anonymes, par exemple en ce moment nous avons un grand projet sur les milliers de défunts dont les ossements sont déposés dans les Catacombes de Paris. Et parfois, de façon plus spectaculaire, nous étudions des personnes historiques : en cherchant à reconstituer le visage de Robespierre, à découvrir la véritable cause de la mort de Napoléon, ou encore en modélisant la voix d’Henri IV. On fait littéralement parler les morts, même si c’est de façon très cartésienne et scientifique. Nous travaillons aussi main dans la main avec des historiens pour tenter d’arriver à la représentation la plus juste possible de notre passé. Dans un futur proche, j’espère que le développement des outils d’intelligence artificielle nous aidera à obtenir des reconstitutions encore plus probantes.

Vous projetez d’ailleurs de créer un nouveau musée qui leur soit dédié…

P. C. : Avec l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, notre ambition est de créer un centre de recherche dédié à l’anthropologie, à l’archéologie et à la médecine. Il se situera dans un bâtiment historique de l’Ouest Parisien, à proximité immédiate de Paris, et nous pourrions y retrouver tous les personnages historiques sur lesquels nous avons travaillé : de Lucy à Picasso, en passant par Richard Cœur de Lion, Marat et Jim Morrison. L’idée est aussi d’initier le grand public aux recherches techniques et scientifiques qui ont permis d’en découvrir autant sur eux, même longtemps après leur mort – autrement dit, de rendre palpables et visibles les sciences au service de l’Histoire. Nous avons d’ores et déjà mis en place une bibliothèque rassemblant près de 120 000 ouvrages spécialisés, un restaurant étoilé, des logements pour les enseignants-chercheurs et les étudiants, et surtout un grand plateau de recherche interdisciplinaire. L’ouverture est prévue pour 2027 et nous sommes encore à la recherche de partenaires pour ce lieu qui n’existe encore nulle part ailleurs dans le monde.

À VISITER : Zombis, la mort n'est pas une fin, exposition au musée du quai Branly, du 8 octobre au 16 février 2025

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