
Ça ressemble à quoi, la démocratie dans un monde numérique ? C’est la question posée par Plurality, un livre en ligne qui nous apprend à dompter les algorithmes pour qu’ils nous amènent à mieux nous comprendre.
« La démocratie est une technologie. Comme toute technologie, elle devient meilleure lorsque plus de personnes aspirent à l'améliorer », explique Audrey Tang, coautrice de Plurality et ex-ministre du numérique de Taïwan. Niveau démocratie, Plurality est un modèle du genre. Le livre est le résultat d’un travail collaboratif entre des centaines de personnalités venues des cinq continents. Disponible en open-source, Plurality peut également être « forqué » : chaque lecteur peut proposer de modifier le contenu, et un système de vote décide si le changement est adopté (si vous voulez participer, c’est par ici).
Déclin démocratique
Plurality s’ouvre sur un constat sombre : nos démocraties sont en déclin. Depuis des décennies, la confiance des citoyens envers leurs institutions s’érode. En 2022, près de la moitié des Américains s’attendait à une guerre civile dans les prochaines années. Et les technologies numériques n’y sont pas pour rien. Devenus le champ de bataille d’une guerre informationnelle sans merci, côté Occident, les réseaux sociaux ont alimenté la polarisation de nos sociétés, tandis qu’à l’Est, de la Russie à la Chine, la surveillance règne. Existe-t-il une autre voie ?
La diversité est un fabuleux moteur
« Une philosophie qui encourage la collaboration là où il y a de la diversité. » C’est par ces termes qu’Audrey Tang définit le terme “Plurality”, titre de l’ouvrage. Et si ça vous semble trop abstrait, il existe une île qui met en œuvre cette philosophie : Taïwan.
Un exemple parmi d’autres. En 2015, les Taïwanais s’écharpent sur un sujet sensible : l’implantation d’Uber sur l’île. Pour décider d’une législation appropriée, un groupe de citoyens décide d’utiliser Polis, une plateforme de délibération citoyenne originale. Sur Polis, un utilisateur ne peut pas commenter les opinions des autres, mais il peut voter. Ce design empêche les trolls de proliférer et maintient des espaces de discussion sains. Mais Polis va plus loin : l’algorithme, au lieu d’amplifier la visibilité des contenus clivants, met en avant les idées les plus consensuelles. Cette méthode a fonctionné pour Uber : malgré des clivages importants, les utilisateurs se sont mis d’accord sur une proposition de loi pour encadrer les pratiques de l’entreprise. De quoi imaginer l’Assemblée nationale délibérer sur des iPads ?
Les relations toxiques engendrées par les algos, c’est un choix, pas une nécessité
Pour les auteurs de Plurality, des exemples inspirants existent en dehors de Taïwan. Community Notes, un outil de fact-checking adopté par X, s’appuie également sur le consensus citoyen pour réguler la plateforme. Sur Community Notes, n’importe quel membre peut rédiger une note de contexte pour un tweet qu’il juge trompeur. Cette note s’affiche seulement si elle est validée par des utilisateurs d’un bord politique différent. Un algorithme exploite donc les différences politiques pour rendre la plateforme plus factuelle et moins clivante. Pour les auteurs de Plurality, la diversité n’est pas une faiblesse : c’est plutôt une force.
YouTube s’invite aux élections
Janvier 2024. L’élection présidentielle taïwanaise est sous haute tension. Le voisin chinois cherche à avancer ses pions en remettant en doute la légitimité du scrutin. Pour contrer cette stratégie, une idée originale va jaillir chez les Taïwanais : filmer le scrutin. Des youtubeurs représentant 3 principaux partis taïwanais débarquent dans les bureaux de vote avec leurs caméras. Grâce au streaming, chaque citoyen peut observer par lui-même l’absence de triche dans le comptage des votes. Encore une fois, Taïwan s’est appuyé sur la diversité (cette fois, celles des caméras) pour préserver sa démocratie.
Une île à la croisée des chemins
Pour les auteurs de Plurality, le succès démocratique de l’île s’explique par son approche pluraliste. Taïwan s’inspire de trois empires numériques : les États-Unis côté innovation, l’Europe pour la régulation, et la Chine au niveau des investissements publics. Une nouvelle fois, Taïwan a impliqué toutes les facettes du numérique dans son développement : c’est peut-être pour ça qu’elle est encore une démocratie.
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