Un chien au regard un peu triste

Comme chiens et chats : après la séparation, ils ont opté pour la garde alternée

© Victor G

À la fin d’une histoire d’amour, il y a la question de qui garde quoi : les meubles, les cadeaux… et le chien, alors ? Pour certains, l’option de la garde alternée s’est imposée, avec plus ou moins de facilité.

« C’est toujours la bataille pour savoir qui prend la maison, et bien sûr le chien », s’amuse Sylvia Masson, vétérinaire et spécialiste européenne en médecine du comportement des animaux de compagnie. Depuis une dizaine d’années, elle n’est plus étonnée de voir des couples séparés pratiquer le système de la garde alternée pour leurs animaux de compagnie. C’est le cas de Mathilde, 36 ans, ouvrière, qui est restée 8 ans et demi avec sa compagne. Elle se rappelle comme si c’était hier de l’adoption de Dickens, leur Border Collie. « On est tombées amoureuses de cette chienne. C’est cliché, mais c’est un peu comme ma fille. » Quand elles se séparent il y a deux ans, Mathilde et son ex-compagne tentent de garder une bonne relation par rapport à leur chienne. Très rapidement, elles mettent en place un système qu’elles conservent encore aujourd’hui : son ex garde la chienne la semaine, Mathilde l’a un week-end sur deux, et la moitié des vacances scolaires. « On n’est pas rigides, on a une organisation plutôt flexible. On est en contact au moins tous les deux jours, on partage les frais », explique l’ouvrière. Elles ont même souscrit à une mutuelle pour Dickens, histoire de faciliter les remboursements. « On voulait faire les choses bien. Je sais que ma chienne est entre de bonnes mains, elle peut faire des balades en forêt ! Je fais entièrement confiance à mon ex-compagne », rigole Mathilde.

« Le chien a deux fois plus d’amour et de pâté ! »

Une organisation qui semble naturelle pour des ex qui s’entendent bien, comme Sophie, 35 ans, et Raphaël, son ex-conjoint, qui se partagent la garde de Bruno, un Royal Bourbon borgne, qui a même son propre compte Instagram. « La question s’est résolue rapidement : il était très attaché au chien, on est restés très proches : Raphaël a aménagé à un pâté de maisons de chez moi », explique celle qui travaille dans le milieu de la culture. Depuis trois ans, Sophie et Raphaël se partagent Bruno « en bonne intelligence », une semaine sur deux et la moitié des vacances scolaires. Les dépenses sont comptabilisées via un compte commun. « Il n’y a pas d’animosité ni de vengeance à vouloir récupérer le chien. C’est un peu tragique de se dire que certaines personnes ne voient plus leurs animaux », soupire Sophie. D’ailleurs, elle n’y voit que des avantages : son ex Raphaël est devenu son meilleur ami… et a même été son témoin lors de son mariage avec sa nouvelle compagne, cet été. « On est une grande famille recomposée », rigole Sophie, en comptabilisant le chat de sa compagne, et la nouvelle copine de son ex Raphaël. « À moins que l’un de nous deux déménage, le chien a deux fois plus d’amour et de pâté ! » La grande vie de canidé.

Quand les sentiments s’en mêlent

Si depuis 2015, le Code civil reconnaît un animal comme un « être vivant doué de sensibilité », celui-ci demeure sous le régime des biens, comme le serait un meuble : pas facile alors de savoir qui va le garder en cas de séparation. Selon la loi, l’attribution dépend du régime matrimonial. Ainsi, selon si le couple est marié ou non, un juge des affaires familiales peut décider dans le cadre d’un divorce lequel des époux va pouvoir bénéficier de la garde de l’animal. Mais quand le couple n’est pas marié, c’est souvent la débrouille. Alice, 28 ans, s’est séparée de son conjoint en mars 2024. Ils ont adopté ensemble Suna, un Sharpay. « On est restés dans la même ville et on a opté pour la garde alternée pour que le chien puisse voir ses deux maîtres », raconte-t-elle. Pendant quelques mois, le système fonctionne, jusqu’au jour où l’ex d’Alice croise la nouvelle personne qu’elle fréquente. « Il a déménagé à une heure de route, il m’a menacé de ne jamais me rendre le chien. J'ai porté plainte, sachant que tous les papiers du chien sont à mon nom », se souvient la chargée de relation clients. Si depuis, la relation s’est apaisée, Alice estime que « si demain, mon ex veut me laisser le chien, je serai la plus heureuse du monde. « J’aimerais bien ne pas rester dans cette situation, j’espère secrètement qu’il va en avoir marre », ajoute-t-elle. Surtout qu’au vu de la durée de vie d’un animal de compagnie – en moyenne plus de 10 ans pour un chien et 15 ans pour un chat – Alice ne se voit pas continuer ce système de garde pendant de nombreuses années.

« Caïpi, c’était un peu le dernier lien que j’avais avec lui »

Pour la vétérinaire Sylvia Masson, la réussite de la garde alternée dépend beaucoup de la cohérence de ses propriétaires dans l’éducation. « Le chien s’adapte, mais si l'un est brutal, et l’autre plus doux, cela peut être compliqué. « D’autant que prendre un animal est une responsabilité, que l’ex de Maud, 43 ans, n’a pas pu supporter. Il y a six ans, elle se sépare de son ex avec qui elle avait adopté une chienne, Caïpi. « J’avais très envie de la prendre, mais je n’étais pas capable d’assumer cette décision. Comme c’est moi qui l’avais quitté, je me sentais coupable. » Par culpabilité, Maud propose l’alternance, mais très vite, son ex change les rendez-vous pour lui remettre le chien, décale les dates. « J’avais l’impression qu’il voulait la garder dans des moments moins compliqués pour lui, c’était un peu inégalitaire se rappelle-t-elle, alors qu’elle gérait le quotidien, les balades matinales et les rendez-vous chez le vétérinaire. Mais surtout, revoir son ex lui faisait mal au cœur. « J’en avais marre de le voir, je me sentais tirée vers le passé. Caïpi, c’était un peu le dernier lien que j’avais avec lui. » Alors Maud a décidé de prendre la chienne à sa charge, et a coupé les ponts. Pour le mieux, selon elle.

« C’est un modèle où tout est à inventer »

Et le bien-être des animaux, dans tout ça ? Sylvia Masson n’a jamais vu de situations où la garde alternée les rendrait anxieux ou phobiques. « C’est à traiter comme n’importe quel divorce : les animaux ressentent beaucoup de choses, ils n'aiment pas les tensions. Il faut se dire que les chiens sont assez adaptables, alors que les chats s’apaisent dans un seul territoire et peuvent être perturbés par un nouvel environnement », développe la spécialiste en médecine du comportement des animaux. Les tensions, Camille, 27 ans, et Christophe, 36 ans, essayent de les éviter. Ils se sont séparés alors que leur Beagle, Charlie Marmite, n’avait que trois mois. « Je crois que ça s’est imposé parce que ça nous tenait très à cœur, aucun de nous deux ne se voyait abandonner le chien », raconte Christophe, qui reconnaît néanmoins la gêne lors des séances d’éducation canine alors qu’ils venaient de rompre. Les deux ex, qui travaillent dans le secteur des médias, se partagent la garde du chien en fonction de leurs jours de télétravail, et un week-end sur deux depuis un an. « On a gardé une complicité, on passe des journées au Palais Royal avec le chien, on lui a organisé une fête, on s’écrit tous les jours. Mais ça ne me dérangerait pas que ce soit plus détaché », raconte Camille.

« C’est un peu à prendre ou à laisser, le chien fait partie de la famille »

« C’est assez bizarre, la rupture est vue différemment. Lors des ruptures, on a tendance à couper les ponts au moins un temps. Là, tu ne peux pas faire ça, tu croises l’autre deux fois par semaine. Il y a eu un petit temps de rodage, et la difficulté de ne pas voir l’autre à travers le chien », explique Christophe, qui estime que c’est un modèle où « tout est à inventer » . Si pour l’instant, le système d’organisation de Camille et Christophe est bien huilé, il y a la question de l’avenir, des chemins de vie que l’un et l’autre prendront : et si l’un des deux déménage ? Ou si l’autre refait sa vie, et que la personne refuse le chien ? « Pour l’instant, c’est un tunnel », constate Camille. « J’ai la chance d’être avec quelqu’un qui comprend parfaitement, mais oui, en début de relation, c’est vite un sujet. C’est un peu à prendre ou à laisser, le chien fait partie de la famille », abonde Christophe. La garde alternée de leur chien peut paraître étrange ou contraignante pour certaines personnes de leur entourage, mais Camille et Christophe ont construit un modèle qui leur ressemble. Au point, peut-être, d’inspirer d’autres couples ? Si la garde alternée pour les animaux de compagnie n’est pas encore systématique en France, de l’autre côté des Pyrénées, une loi de janvier 2023 prévoit que la justice peut désormais statuer que les animaux de compagnie peuvent séjourner chez leurs deux maîtres chacun leur tour, ou bien bénéficier d’un droit de visite. La décision est motivée non pas par la propriété de l’animal, mais bien son intérêt et son bien-être, comme pour des enfants.

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