
Sur les applis, on affiche son sport comme on brandirait des diplômes en entretien d’embauche. Celui-ci va à la salle, assurance d’un corps bien entretenu ; celle-ci fait du yoga, preuve d’une certaine souplesse de corps et d’esprit ; lui préfère le beach volley, indice d’un esprit collectif. Comment d’une exigence d’hygiène personnelle le sport est devenu porteur de valeurs affichées, sorte d’apparat amoureux supplémentaire ? Entretien avec Nicolas Penin, sociologue du sport et enseignant-chercheur à l’Université d’Artois.
Quelles valeurs fait-on porter au sport ?
Je dirais, d’abord que ce n’est pas le sport en lui-même qui porte les valeurs et que ça dépend beaucoup des conditions dans lesquelles le sport est pratiqué : des gens qui s’y engagent et de ce qu’ils sont en dehors du sport, des conditions de pratique et du rapport à la compétition, des objectifs d’engagement, des interactions entre les individus, de l’encadrement quand il y a en a un…
Mais on peut aussi considérer que le sport est porteur de valeurs à partir du moment où les gens qui s’y engagent y croient. Il y a presque un caractère de prophétie auto-réalisatrice. Si par exemple je décide de m’engager dans le rugby parce que j’estime que c’est un sport où la camaraderie est centrale, il est possible que par cette envie j’entretienne cette caractéristique.
Le sport que l’on choisit dépend tout de même en partie de notre personnalité ?
C’est sûr que les caractéristiques sociales des individus sont très différentes selon les activités physiques.
Parmi les caractéristiques sociales les plus différenciantes on trouve notamment le genre. Sur la totalité des fédérations sportives en France, 70% d’entre elles ont une part des hommes ou de femmes supérieure à 70% des licenciés. Cela veut dire qu’il n’y a que 30% des fédérations en France où il existe un relatif équilibre entre les hommes et les femmes - si l’on considère qu’un ratio 65/35 est un équilibre.
Il y a d’autres travaux publiés dans les années 1980, initiés notamment par Christian Pociello, dans la veine de ceux de Pierre Bourdieu, qui montrent comment les pratiques sportives sont très liées à la position des individus dans l’espace social. Si cet effet s’est un peu estompé ou s’est plutôt reconfiguré, il existe toujours de façon très marquée des pratiques sportives plus populaires et d’autres plus distinctives.
Il y a aussi une dimension territoriale avec des problèmes d’accès à l'activité physique. Parfois, on ne s’engage pas seulement dans une activité physique parce qu’on l’a choisie, mais parce qu’il n’y en a pas d’autre. Je fais ici référence à mes travaux sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville où l’on se rend compte que le choix d’un sport est souvent d’abord dû à une rencontre de proximité et d’opportunité. On trouve également ces effets de déterminisme matériel dans les zones rurales. Si l’on ajoute à cela, la force des processus de socialisation, on mesure combien le choix d’une activité sportive est déterminé socialement.
Dans une étude réalisée par happn, 84 % des célibataires présent·es sur l’appli indiquent leur niveau sportif et 55 % estiment que la pratique d’un sport peut les influencer positivement. Pourquoi le sport est-il devenu un critère si important dans les rencontres amoureuses ?
Nous sommes dans une époque où le culte de la performance est important. Il nous faut être bon dans le sport mais aussi professionnellement et dans nos relations. A partir du moment où l’idée de performance est valorisée sur le marché des rencontres, le fait d’être engagé dans une activité qui place la performance au cœur de ce qu’elle propose permet certainement de valoriser l’individu. Le fait d’être actif est aussi quelque chose perçu comme positif, associé à la jeunesse, à la santé, à la beauté.
Et puis, comme on vient de le voir, l’activité physique fonctionne comme un principe classant. Puisque les activités physiques sont très associées aux caractéristiques sociales des individus qui s’y engagent, l’activité physique dit quelque chose de ce que je suis socialement. Or, en ce qui a trait au matrimonial, sociologiquement, l’homogamie sociale a du sens.
Enfin, nous sommes dans une société de loisirs. En partageant les mêmes centres d’intérêts et de loisirs, on peut partager ces temps valorisés. Ce serait au contraire étonnant qu’une place importante ne soit pas faite dans ces applications de rencontre à ces activités de loisirs.
52 % des célibataires présents sur happn se disent prêt·es à commencer un nouveau sport pour séduire leur Crush. Pour près de la moitié des Gen Z (42 %) et un tiers des Millenials (35 %), le foot est LE sport le plus attirant. Choisit-on aussi son sport comme un apparat amoureux, pour séduire ?
On a tendance à considérer la question des rapports de sociaux de sexe dans une lecture absolument hétérosexuée. Or elle ne fonctionne pas seulement comme ça : il y a des rapports sociaux de sexe en dehors de la séduction amoureuse qui se jouent aussi au sein de groupes d’individus de même sexe. Dans les sports à risque par exemple, dire que l’on n’a pas peur s’explique moins par une intention de séduire que de se positionner dans une hiérarchie virile entre les hommes.
Il n’en demeure pas moins que la pratique sportive, particulièrement pour celles et ceux qui sont performant.es, peut être source de valorisation pour les pratiquant.es. Enfin, la question de la pratique sportive peut être très liée à celle de l’apparence physique. L’amélioration de l’apparence physique apparaît comme la 3ème raison de faire du sport, la plus fréquemment citée par les répondants de l’enquête “Les chiffres clés du sport” (INJEP, 2023). À ce titre aussi, on comprend comment séduction et pratique sportive peuvent entretenir des liens ténus.
Sinon, il y a aussi les sociologues, les philosophes, les politiciens… Bref tous les inutiles, dont le travail ne sert a rien, mais qui ont du temps à consacrer à la drague.