Un banc de poissons bleus et jaunes

Souffrance des poissons : la petite cause qui monte, qui monte, qui monte…

Comment 1 100 à 2 000 milliards de poissons pêchés chaque année sont-ils passés du statut de « grands oubliés » à sujet majeur de préoccupation ?

Parce qu’ils ne vivent pas dans le même milieu que nous, que nous interprétons mal leurs besoins et leurs comportements, les poissons suscitent moins d’empathie spontanée que les animaux à plumes ou à poils. « Leur communication repose essentiellement sur des signaux chimiques, voire électriques, que nous ne percevons pas et des vocalisations inaudibles pour notre oreille, explique Gautier Riberolles, éthologue spécialiste des poissons. Il nous est donc quasiment impossible de les comprendre de manière intuitive, de la même façon que nous identifions par exemple la détresse d’un chien dans ses couinements aigus. »

La sentience des poissons reconnue depuis peu

Cette distance – aussi bien évolutionnaire qu’émotionnelle – s’est longtemps traduite par un manque d’intérêt de la communauté scientifique pour la vie intérieure de ces animaux. Avant le début des années 2000, par exemple, personne n’avait cherché à savoir si les poissons étaient dotés de nocicepteurs, ces terminaisons nerveuses sensibles aux stimuli nocifs pour l’organisme (comme le déchirement des tissus ou une température trop élevée). Depuis, de nombreuses expériences ont permis d’y voir plus clair sur la sentience des poissons, c'est-à-dire leur capacité à ressentir subjectivement des expériences positives et négatives. 

L’une de ces expériences a montré que des truites à qui on injecte de l’acide acétique dans les lèvres réagissent en frottant celles-ci sur le gravier et contre les parois de l'aquarium, ce qu’elles ne font pas lorsqu’une substance inoffensive est injectée à la place de l’acide, ou lorsque de la morphine leur est également administrée. Au-delà de la question de la souffrance, et à rebours de stéréotypes répandus, les poissons font preuve de capacités cognitives élaborées, notamment d’une mémoire à long terme – jusqu’à 11 mois pour les labres nettoyeurs – et de variations de personnalités entre individus.

De plus en plus d’acteurs mobilisés

Les poissons peuvent donc souffrir, et c’est la principale raison pour laquelle le mouvement animaliste se préoccupe de leur sort. Et dans les faits, ils souffrent beaucoup. Les poissons pêchés sont saignés et éviscérés sans étourdissement préalable, d'autres sont laissés à l'agonie pendant de longues minutes sur le pont des bateaux, à l’air libre ou dans des bacs de glace pilée. Avant même d’atteindre la surface, certains meurent en raison de la décompression qui fait exploser leurs organes internes lorsqu’ils sont hissés depuis les fonds marins, ou par écrasement dans les filets sous le poids de leurs congénères. Depuis 2015, la Journée mondiale pour la fin de la pêche et des élevages aquacoles (JMFP) tente de mobiliser les ONG à l'international pour que les animaux aquatiques cessent d’être « les grands inconnus du public et les grands oubliés des campagnes en faveur des droits des animaux. »

Autre signe de cet essor, fin 2019 a été lancée la première organisation entièrement dédiée à réduire la souffrance des poissons d’élevage : Fish Welfare Initiative travaille en collaboration avec l’industrie aquacole, notamment en Inde, pour faire en sorte que les poissons soient a minima étourdis avant leur mise à mort, pour améliorer la qualité de l’eau et limiter la densité en élevage. En France, l’association Projet Animaux Zoopolis (PAZ) est l’une des seules associations à défendre explicitement ces animaux, à travers sa demande d’interdiction de la pêche au vif (l’utilisation de vertébrés vivants comme appâts) et de l’empoissonnement (le déversement de poissons d’élevage dans les cours d’eau). Welfarm, de même que la jeune association Seastemik, portent depuis mai dernier une demande de moratoire sur les projets d’élevages intensifs de saumons en France.

Trop nombreux pour compter ?

La cause des poissons, et des animaux aquatiques plus largement, prend d’autant plus d’importance que l’animalisme est influencé par les principes de « l’altruisme efficace ». Ce mouvement social d’une quinzaine d’années propose de recourir à la démarche scientifique et aux outils de la rationalité, notamment le principe d’impartialité et les analyses coût-bénéfice, pour identifier les opportunités d’agir les plus prometteuses en termes d’impact. L’idée est que si le mouvement animaliste se contente des intuitions et préférences spontanées de ses membres pour fixer ses priorités, il risque de négliger à tort des catégories entières d’animaux, et en premier lieu les animaux aquatiques.

À bien y regarder, la cause des poissons a des arguments de poids pour prétendre au statut de cause prioritaire. Les victimes de l’élevage aquacole et de la pêche sont nombreuses, tellement nombreuses que notre cerveau est littéralement incapable de se représenter intuitivement l’ampleur du problème. 100 milliards de poissons d’élevage sont ainsi tués chaque année pour l'alimentation humaine. Du côté des poissons sauvages, un article paru en début d’année dans la revue scientifique Animal Welfare a estimé, à partir des tonnages de capture fournis par la FAO (excluant la pêche illégale et les prises accidentelles), que 1100 à 2000 milliards d’individus sont pêchés chaque année. Soit cinq à dix fois plus qu’il n’y a d’étoiles dans notre galaxie.

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commentaires

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  1. Avatar Bernard dit :

    Encore de la propagande larmoyante "vegan" de merde!... Croyez-moi, vous n'arriverez PAS à imposer votre ignoble tyrannie faussement "écologique", et à dicter aux gens leur manière de vivre et de s'alimenter!

  2. Avatar Carole dit :

    Oui le sujet est très important et le plus souvent non pris en compte !
    Merci pour cet article éclairant et si nécessaire pour lutter contre l'ignorance et le lâche déni de trop de gens, et surtout tendre et avancer vers une prise de conscience et une éthique envers les animaux et la nature en général.

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