Papillon damier d'Edith sur ciel orangé

Le papillon qui nous a aidés à comprendre les effets du réchauffement climatique

© Debadutta

Camille Parmesan est l'une des grandes figures des recherches sur le climat. Elle revient, pour nous, sur les enseignements des travaux qu'elle mène en France depuis 5 ans.

Pour Camille Parmesan, directrice de recherche de la Station d'écologie expérimentale et théorique (SETE) du CNRS à Moulis, tout a commencé avec un papillon : le Damier d'Edith. De 1992 à 1996, elle a suivi ce papillon du Mexique au Canada. Au fil du temps, elle a constaté que l'espèce entière se déplaçait. Ainsi est née l'une des premières études à révéler les effets du changement climatique sur la faune.

Désormais, le travail de Camille Parmesan porte sur tous types d’espèces sauvages. Elle a exploré les régions les plus reculées, et est l'auteure de l'article le plus cité dans le domaine de la recherche sur le changement climatique. Elle a joué un rôle essentiel en tant que contributrice officielle au Prix Nobel de la paix décerné par le GIEC en 2007. Son parcours professionnel reflète son engagement pour sensibiliser le public aux enjeux environnementaux critiques. Depuis cinq ans, elle est installée à la Station d'écologie expérimentale et théorique (SETE) du CNRS à Moulis, en France, où elle poursuit ses études sur la dynamique complexe des systèmes écologiques face aux bouleversements climatiques. Alors que le programme « Make Our Planet Great Again » touche à sa fin, elle revient sur son parcours et sur l'état d'avancement des actions de lutte contre le changement climatique.

Qu'est-ce qui vous a poussé à étudier l'impact du changement climatique ?

Camille Parmesan : Quand je travaillais sur l'écologie comportementale de base du Damier d'Edith, je faisais de la recherche fondamentale, pas du tout appliquée, rien qui n'avait à voir avec un quelconque changement global. Au cours de ma dernière année d'études, la NASA a lancé un appel d'offres pour l'étude du changement climatique, presque entièrement consacré à l'étude des données satellitaires. À l'époque, les climatologues savaient, sur la base de principes fondamentaux, qu'il fallait s'attendre à un réchauffement sans en avoir détecté de signaux significatifs dans les données météorologiques. Je me suis dit que ce papillon très sensible au climat pouvait être plus efficace qu’un thermomètre. C’était le cas, et personne n'avait jamais rien montré de tel auparavant. Mon article paru dans la revue scientifique Nature a eu un grand retentissement, assez pour que je sois invitée à la Maison-Blanche. À partir de ce moment-là, je suis devenue une biologiste spécialisée dans le changement climatique.

Pourquoi avez-vous mené vos recherches en France ?

C. P. : J'ai quitté l'université du Texas en partie parce que mon travail sur le changement climatique n'était pas considéré comme une science sérieuse. Il y avait des raisons familiales, mais le fait que je ne me sentais pas comprise a joué. Je suis donc allée à Plymouth, en Angleterre, où la situation était plus favorable. Les scientifiques étaient plus ouverts à la collaboration avec les décideurs politiques qu'aux États-Unis. Ils percevaient la recherche sur le changement climatique comme une recherche importante plutôt qu'un plaidoyer politique. Quand le Brexit est arrivé, en tant qu’immigrante, il était difficile d’ignorer les répercussions sociales qui allaient en découler et son impact sur la recherche, comme la perte de financements européens et la collaboration avec le reste de l’Europe. Seulement, Trump a été élu et l’option américaine n’en était plus une. J'ai donc continué à postuler à l’université de la Colombie-Britannique (UBC), au Canada. C’était sans compter le lancement du programme « Make Our Planet Great Again » du Président Macron qui disait : « Scientifiques américains du climat, nous vous souhaitons la bienvenue en France ». Et me voilà !

La bourse « MOGPA » touche à sa fin, que pouvez-vous nous dire de vos projets sur ces 5 dernières années ?

C. P. : Je suis très heureuse du travail que nous faisons, sur comment planifier la conservation malgré l'incertitude que le changement climatique impose. Nous ne savons pas où seront les espèces au cours du siècle prochain, ni même où elles seront dans les 30 prochaines années ! Il existe une approche datant des années 1960, appelée « robust decision making » (prise de décision robuste), qui consiste à examiner des centaines d'avenirs possibles. J'ai commencé à travailler sur ce sujet il y a 12 ans, au Texas, et je pense que nous avons un manuscrit que nous pourrons soumettre bientôt. C'est un hommage à la difficulté d’effectuer de la recherche véritablement interdisciplinaire.

Notre poule aux œufs d’or reste nos recherches sur le Damier d’Edith. Cette étude s'est révélée extrêmement fructueuse, car nous avons découvert que l'espèce réagit au changement climatique d'une manière tout à fait nouvelle. Historiquement, les œufs étaient pondus près du sol parce que les cerfs venaient brouter le dessus. Lorsque nous y sommes retournés en 2019, les œufs avaient été pondus plus haut, signe d’un changement fondamental. Nous pensons que l'augmentation de la hauteur est due à l'évolution du comportement de ponte au sein de la population. Il n'y a pas beaucoup d'études montrant une réponse évolutive au changement climatique, il s'agit plus souvent de changements plastiques dans le comportement. Les processus d'extinction et de colonisation qui entraînent des changements dans l'aire de répartition des espèces ne sont, pour la plupart, pas motivés par des changements génétiques et évolutifs.

Est-ce que la recherche sur le climat a évolué ces dernières années ?

C. P. : Lorsque j'ai commencé il y a 30 ans, je me rendais à des conférences sur l'écologie et la conservation, les chercheurs pensaient que ce que je faisais était intéressant, mais ils ne trouvaient pas ça particulièrement pertinent. Sans nier l’existence du changement climatique, ils pensaient simplement qu’ils devraient s’attaquer principalement aux espèces envahissantes et à la perte d’habitats. Au fil des ans, la plupart des écologistes et des biologistes de la conservation ont compris ce que j'avais identifié à l’époque : le changement climatique est notre plus gros problème parce qu'il recouvre tout ce que l'homme fait pour perturber la biodiversité, et qu’il est différent de toute autre activité liée au changement environnemental local. Il s'agit d'un phénomène qu'un individu seul ne peut pas inverser. J'ai réorienté toute ma carrière pour me consacrer à la production d'une science rigoureuse qui informerait nos législateurs. Notre article de 2003 montrait que le changement climatique affectait les espèces à l'échelle mondiale, dans les océans, sur Terre, aucun groupe taxonomique n'étant épargné, aucune région n'étant épargnée. Le discours s'est amélioré au cours de ces 20 années et les objectifs affichés par les différents dirigeants et les accords internationaux signés reconnaissent qu'il s'agit d'un énorme problème…, mais quand on regarde ce qui a été fait, c’est pathétique.

À ce point ?

C. P. : L'Europe se débrouille bien mais demeure isolée. Presque toutes les autres régions du monde voient leurs émissions augmenter et ne mettent pas en place de programmes solides pour les réduire. Je suis de plus en plus frustrée par le manque d'action, alors qu’on n’en a jamais autant parlé. La France, en particulier, a obtenu d'excellents résultats. Je suis vraiment fière de vivre dans un pays qui prend cette question très au sérieux. J'ai été l'une des auteurs du dernier rapport du GIEC, il y a deux ans. Ce qui m'a le plus déprimée, c'est le nombre de réactions négatives que nous avons reçues à propos des déclarations établissant un lien entre la croissance démographique et l'aggravation du changement climatique. Il y a beaucoup de choses auxquelles nous devons nous attaquer pour stabiliser le climat, comme essayer de revenir progressivement à l'état préindustriel au cours des 100 ou 200 prochaines années. Beaucoup de choses qui entrent en ligne de compte, comme la consommation ou l’énergie, et tout cela semble être intégré. En revanche, il faut aussi prendre en compte que la quantité d'émissions, c'est la consommation par personne, multipliée par le nombre de personnes. C'est une équation très simple, mais les décideurs refusent de l’entendre. Pourtant, nous disposons d'un scénario climatique qui prévoit une stabilisation du climat, une baisse du réchauffement et une diminution des émissions : c'est celui dans lequel la croissance démographique se stabilise, reste la même, ou commence même à diminuer. Il est impossible de stabiliser le climat sans stabiliser le nombre de personnes sur Terre à un niveau proche de celui que nous connaissons aujourd'hui.

Vous voulez dire qu’il est inenvisageable pour les gouvernements d’agir sur la démographie de la planète ?

C. P. : De nombreux gouvernements se sont battus très durement contre cette idée, même si les données scientifiques sont très claires. Paul Ehrlich, auteur de La bombe P dans les années 1960, sans aborder le changement climatique, disait la même chose en filigrane. Il s'agit d'un principe écologique de base : la Terre a une capacité de charge pour les êtres humains. Nous ne pouvons pas avoir un nombre illimité de personnes sur Terre, sinon l’effondrement et l’extinction massive de la population, de la même manière que cela se produit dans le monde naturel, est inévitable. C'est tout ce qu'il a dit et cela avait provoqué un véritable tollé. Soixante ans plus tard, nous disons la même chose à propos du changement climatique mais parler de la stabilisation du nombre d'habitants de la planète reste un sujet tabou.

Depuis votre arrivée en France, vous avez collaboré avec des psychologues pour aborder un autre aspect de la lutte contre le dérèglement climatique. Pourquoi faire intervenir cette discipline dans vos recherches ?

C. P. : Gladys Barragan-Jason, une ancienne postdoctorante qui occupe aujourd'hui un poste ici et qui a une formation en psychologie, a lancé un projet visant à améliorer l'éducation des enfants afin qu'ils comprennent mieux ces questions, pour qu'ils apprécient davantage le monde naturel. Nous avons travaillé sur des questionnaires et mis au point des protocoles, qui ont ensuite été récompensés par des résultats très positifs dès l'essai initial. Par le biais de cours ponctuels en plein air auprès d’écoles locales, les enfants peuvent découvrir ce qu’est l’effet de serre ou l’absorption du carbone, par exemple. À cet âge, les enfants sont des éponges et on les sous-estime ! À terme, l’idée est d'apporter des changements au système éducatif pour mieux former les prochaines générations sur ces thèmes. Elle développe donc une approche longitudinale qui permettra de suivre certaines personnes dans le temps et de voir si cela finit par produire des adolescents et des adultes plus conscients de l'interaction et de la dépendance des humains à l'égard d'un système naturel en pleine forme.

Quels sont les axes de recherche à privilégier dans les années à venir ?

C. P. : À ce stade, nous en savons assez sur les impacts du changement climatique. Le message est le même depuis 20 ans. Certes, nous disposons actuellement de plus d'informations, de meilleures estimations et d'une meilleure compréhension de ce qui est en train de se produire. Ce dont nous avons vraiment besoin, c'est de comprendre comment changer le comportement humain. C'est pourquoi j'ai engagé Gladys ! J'ai le sentiment que nous disposons de suffisamment de données scientifiques pour savoir ce qu'il faut faire. Je comprends parfaitement que, par exemple, de nombreux pays non développés, sous-développés, souhaiteraient avoir le même style de vie que les Européens et les Américains. S'ils le font tous, nous sommes perdus. Alors, comment gérer les inégalités ? Comment essayer de vivre bien et longtemps ? Je crois que les gens peuvent être plus satisfaits et plus heureux partout sans provoquer une destruction totale de l’environnement. Mais c'est extrêmement difficile, c'est notre prochain grand défi. Nous devons vraiment changer complètement notre façon de penser notre place sur la planète. Et nous devons nous mettre d'accord sur ce point si nous voulons avoir un espoir de sauver la société telle que nous la connaissons.

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commentaires

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  1. Avatar Jean Vacelet dit :

    C'est extraordinaire de voir le mot "démographie" apparaître dans un commentaire sur le changement climatique ! Bravo ! Comment est-il possible qu'une telle évidence entre la démographie humaine et les problèmes d'environnement et de climat, si bien soulignée dans cet article, soit si généralement ignorée ?

  2. Avatar François dit :

    C'est "compréhensible", des milliers d'années d'évolution ont encodé en nous la nécessité de se reproduire, solidifié par ce sur quoi repose l'économie actuelle. Ensuite c'est la loi du mort kilomètre : plus c'est loin et/ou abstrait, moins ça nous concerne donc encore une fois, je pense qu'on se bougera vraiment lorsqu'on sera au pied du mur.
    En attendant il faut arriver a jongler avec la schizophrénie de vouloir bien faire mais continuer quand même à "vivre" comme en 2024. J'ai personnellement envie de faire des choses et je m'y atèle (vélo, plus d'avion, nourriture et vacances locale et moins de consommation en général) mais je sais qu'au fond de moi il faudrait que je bouleverse mon mode de vie bien plus que ça (mon travail n'est pas bénéfique a l'environnement ni essentiel par exemple) et je ne pense pas y arriver si je dois être honnête.

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