
Les images satellites permettent de peaufiner nos connaissances sur le peuplement des zones géographiques et une étude propose désormais une autre version de l'histoire de l'île de Pâques.
Perdue au milieu de l’océan Pacifique, à plus de 3600 km des côtes chiliennes, l'île de Pâques n'a pas attiré l'attention des peuples occidentaux avant l'ère des explorateurs du XVIIIe siècle. Résultat, peu de choses sont connues sur l'histoire des peuples qui ont vécu auparavant sur cette terre d'à peine 164 km². Ce qui n'a pas empêché la science de se pencher sur la question, et de retracer des siècles impliquant notamment le peuple Rapa Nui qui aurait investi les lieux au minimum 500 ans avant l'arrivée des Européens. Des images satellites révèlent un passé qui soulève beaucoup de questions. « Il y a un narratif solide autour d'un effondrement de la société locale dû à la surpopulation avant le XVIIIe siècle, raconte Dylan Davis de l'université de Columbia. Mais nous pensons que c'est faux, et les preuves s'accumulent. »
Infrarouge court et jardins rocheux
Ce spécialiste de l'archéologie et des paléoenvironnements a publié une étude parue dans Science Advances. Grâce à des images prises par le satellite Worldview-3, il a découvert des traces d'anciennes cultures remontant à l'époque des Rapa Nui. Ont-ils détruit la nature en pompant toutes les ressources locales pour nourrir des dizaines de milliers de personnes ? Pas forcément. « Certaines études estiment qu'il y a eu jusqu'à 17 000 personnes sur cette petite île, détaille Dylan Davis. Mais nos trouvailles sont plus proches des 4 000 personnes maximum, ce qui va à l'encontre de la thèse d'une surpopulation. »
Pour le déterminer, l'île a été balayée par le satellite qui observe en infrarouge court (ou SWIR pour short-wave infrared). Cette longueur d'onde est très pratique pour observer des détails comme le niveau d'humidité ou les différences minérales. L'équipe de Dylan Davis a pu repérer d'anciennes traces de roches mélangées à de la terre. « Comme le sol est très pauvre en nutriments là-bas, les agriculteurs cassaient des roches qu'ils mélangeaient à la terre pour faire pousser leurs récoltes, notamment des patates douces. Et nous pouvons trouver des traces de ces anciens jardins. »
Un algorithme a été entraîné pour analyser et comparer les différentes images afin de déterminer quelle surface a été dédiée à la culture de légumes. Résultat : 0,76 km² de terre était composé de jardins. « C'est suffisant pour nourrir à peu près 4 000 personnes, conclut Dylan Davis. Encore une fois, la thèse de la surpopulation ne tient pas. »
L'Histoire vue du ciel
D'autres études avaient estimé cette surface dédiée aux cultures à plus de 20 km². « Le problème, soutient Dylan Davis, c'est qu'elles se basaient sur de vieilles données prises par des satellites bien moins précis. Désormais, nous avons une connaissance plus solide du terrain et nous pouvons être davantage confiants en nos résultats. »
Il faut dire que l'histoire de l'Île de Pâques est parfois instrumentalisée au détriment des peuples autochtones. Ils sont dépeints comme irresponsables, capables de détruire leur habitat. Mais de plus en plus de travaux, y compris l'étude de Dylan Davis, montrent une société, au contraire, capable d'ingéniosité pour survivre plusieurs centaines d'années avec des ressources rares et sur une terre peu hospitalière, isolée et difficilement cultivable. « Il semblerait que ce soit plutôt un modèle de civilisation durable, affirme le chercheur. Il est probable que cette société fut très solidaire, avec une grande entraide pour porter les fameuses statues, ou même pour concevoir ces jardins qui nécessitaient d'importantes quantités de pierre. Dans tous les cas, il y a encore beaucoup à apprendre sur ce peuple. »
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