Des lignes de code à la Matrix

Septième hub mondial du trafic Internet : c'est Marseille bébé !

© Markus Spiske

La Cité phocéenne est devenue un point stratégique pour les « autoroutes numériques » avec un nombre élevé de data centers et 16 câbles sous-marins... Mais est-ce que Marseille capitalise sur sa position stratégique ? Interview du chercheur Loup Cellard.

En 2021, à Marseille, l’atterrissage sur les plages du Prado du câble PEACE MED (Pakistan and East Africa Connecting Europe - Mediterranean section) qui interconnecte dix ports situés dans l’Océan indien, la mer Rouge et la mer Méditerranée, a donné lieu à la parution de Frictions sous-marines, premier article de recherche qui synthétise les différentes études d'impact de ces installations sur le littoral phocéen. Loup Cellard, sociologue, chercheur pour la coopérative Datactivist, et coauteur de l’article avec Clément Marquet (Mines Paris), détaille pour nous l'intérêt stratégique des câbles pour les municipalités, les risques qu'ils présentent, et la façon dont leur déploiement est décidé, puis mis en œuvre.

Pourquoi vous êtes-vous intéressé à Marseille ?

Loup Cellard : Parce que Marseille est en train de devenir un des plus grands hubs mondiaux. Dans le classement des villes les plus interconnectées, elle arrive en septième position. C'est ce qui fait qu'il y a énormément d'aménagements terrestres qui sont réalisés, avec de nouveaux points d'interconnexion créés à l'arrivée de câbles, et beaucoup de data centers qui sont construits, à tel point que la ville et la métropole ont du mal à faire face à la demande. Bien évidemment, il y a aussi des aménagements sous la mer pour faire passer les câbles.

Comment le tracé de ces câbles est-il déterminé et quel est leur impact sur la biodiversité ?

L. P. : Chaque projet doit être déposé auprès des services départementaux. La décision dépend d'une étude d'impact faite en amont par un cabinet de conseil. Il y a une batterie de tests qui doivent être réalisés, notamment sous l'eau avec des scaphandriers qui vont retracer le trajet emprunté par le câble. Le projet d'installation auquel nous nous sommes intéressés était piloté par le groupe chinois Hengtong (le plus grand fabricant de câbles d'alimentation et de fibres optiques en Chine – NDLR) et c'est Orange Networks qui a été retenu pour réaliser cette opération, notamment en raison de sa maîtrise des démarches administratives françaises.

Le problème principal, c'est que le câble que nous avons étudié passe sur des zones d'herbier de Posidonie, une espèce marine importante pour la biodiversité, car c'est là où les poissons pondent leurs œufs. C’est également un puits de carbone. Les études d’incidence avaient conseillé de traverser ces zones naturelles protégées plutôt que de les contourner, arguant la possibilité d’une cohabitation entre les câbles et les écosystèmes.

Et en effet, si le câble est bien fixé, les herbiers vont se régénérer au bout de deux ou trois ans. Mais cette appréciation écologique est faite dans le cadre d'une prestation entre un cabinet de conseil et une grande entreprise du secteur des télécommunications, avec des résultats qui peuvent être orientés. En réalité, il est très difficile de savoir avec précision ce qui se passe dans les fonds marins.

Quelle est la marge d'intervention de l'État ? 

L. P. : Les câbles ont un intérêt stratégique pour des raisons de souveraineté dans un contexte où les nouvelles législations européennes font que les opérateurs de cloud doivent pouvoir montrer à leurs clients que leurs données sont stockées matériellement en France.

Ce qui est intéressant à l'échelle de Marseille, c'est que là où l'État est le plus présent et le plus puissant, c'est dans le Grand Port Autonome (GPMM). Il en est même l'actionnaire majoritaire. C'est une enclave extrêmement sécurisée dans laquelle il a vraiment beaucoup de droits. Mais quand un data center est installé en dehors de ce périmètre, il se trouve automatiquement sur un terrain qui dépend de la ville ou qui est privé. L'action que peut mener l’État varie donc en fonction de la localisation des infrastructures.

Précisons que le câble PEACE MED avait été déposé sur les plages du Prado dans la zone d’arrivée historique, ce qui favorise la « dépendance aux sentiers », c'est-à-dire au regroupement de ces installations en un même endroit.

Selon les situations, ce ne sont donc pas les mêmes acteurs qui ont la main ?

L. P. : Dans la situation où de nombreux câbles restent au fond des mers pendant des décennies, il y a un flou sur la responsabilité des acteurs. Depuis plusieurs années, le Parc national des Calanques alerte sur le fait qu'il faudrait en retirer du fond de la mer, mais la question de savoir qui est responsable de leur dépose n'est pas claire.

Est-ce qu'il y a la volonté, de la part des opérateurs comme des municipalités, de tendre vers le moindre impact ?

L. P. : Minimiser les impacts est la logique générale. Mais à chaque fois, il y a une conciliation qui doit être opérée entre une multitude d'intérêts, la question écologique n'étant qu'un enjeu parmi d'autres. Il y a la question de la sécurité, à la fois des câbles et des plaisanciers, la problématique du transport maritime au niveau du port autonome et le fait que Marseille est une ville antique, avec de nombreux vestiges archéologiques sous la mer. Il y a donc une régulation particulière qui fait que, pour le câble que nous avons étudié, deux ans se sont écoulés entre le moment où le commanditaire a déposé le projet et le moment où il a eu le feu vert.

Lorsque les câbles sont mis en service, le débit des données devient beaucoup plus important, ce qui nécessite de construire de nouveaux data centers. Il y a donc une interconnexion très forte entre ces deux types d'infrastructures ?

L. P. : Tout à fait. L'une dépend nécessairement de l'autre. Digital Reality, un acteur très puissant qui a vu avant tout le monde que Marseille allait devenir une place forte du numérique, a conçu une prise spécifique dans l’enceinte du Port Autonome. Grâce à cette technologie, dès qu'un câble arrive sur le Port, il est plus facilement relié à un data center. C'est donc une boucle sans fin.

Cela veut dire que pour cerner l'impact d'un câble, il faudrait en cerner toutes les externalités. Est-ce que la ville de Marseille réfléchit en ce sens ?

L. P. : On n'a pas vu ce type de réflexion. En revanche, les élus ont clairement pris en main la question des data centers. Depuis fin 2023, une batterie de critères a été établie par la municipalité, depuis le nombre d'emplois créés en passant par la consommation énergétique et le foncier nécessaire, afin de mettre en concurrence les acteurs économiques. Malgré tout, la ville subit la situation. Elle a peu de leviers à actionner, sauf quand le data center est prévu sur un terrain public, car elle pourra le préempter.

Selon vous, est-ce qu'on va vers une régulation plus forte de ces infrastructures ?

L. P. : C'est certain. Mais cela va dépendre de la façon dont les risques sont évalués... En choisissant de faire arriver le câble au Prado et non dans le Port Autonome, Orange participe à l’augmentation de la densité de câbles abordant les plages marseillaises. De manière générale, l’analyse des risques qui pèsent sur les câbles sous-marins ne bénéficie pas d’une vision d’ensemble.

Discutez en temps réel, anonymement et en privé, avec une autre personne inspirée par cet article.

Viens on en parle !
le livre des tendances 2026
commentaires

Participer à la conversation

  1. Avatar Anonyme dit :

    Pourquoi le symbole de Jul sur un sujet sur des structures numériques à Marseille ? Je suis marseillaise et je ne vois pas le rapport avec Jul ! Il y en a marre d’associer cette ville à de la « junk musique » vulgaire, il y a tellement mieux et beaucoup plus interessant visuellement à montrer, surtout que le data center est au bord de la mer, dans un ancien bunker géant…

  2. Avatar Louis R. dit :

    sans aucun nouveau déploiement, fibre optique FTTH depuis 2021, soit 3 ans, dans tout le 1er arrondissement (St Charles, Canebière, Le Chapitre, Longchamp), à cause de blocages de la mairie et des architectes des bâtiments de France, qui refusent l’installation des armoires, je peine à croire que Marseille est véritablement dans cette position telle que l’article le décrit

    • Avatar Béatrice Sutter dit :

      Bonjour,

      L'article ne porte pas sur la gestion de l'installation de la fibre - la politique de la ville et des copro.
      Bien que je comprenne vos frustration sur ce registre - il ne s'agit pas de la même échelle.

      Cordialement,

      Béatrice SUTTER

Laisser un commentaire