
Il y a 40 millions d'années, l'Antarctique était une région chaude où coulaient des rivières. Une période encore mal connue, mais qui contient les clés pour affiner les modèles climatiques d'aujourd'hui.
Si l'Antarctique nous apparaît aujourd'hui comme une masse blanche uniformément glacée et inhospitalière, cela n'a pas toujours été le cas. Les études de ces dernières décennies ont montré à quel point le continent fut beaucoup plus tempéré que ce qu'il est devenu. Mais en plus, de nouveaux travaux publiés dans la revue Science Advances ajoutent qu'il était traversé par une gigantesque rivière de plus de 1 500 kilomètres de long !
Ici coulait une rivière...
« Nous avons trouvé des sédiments, détaille Cornelia Spiegel-Behnke, une des autrices de l'étude, chercheuse en géosciences à l'Université de Brême. Et l'analyse isotopique nous apprend qu'ils ont été transportés sur de longues distances par une rivière qui était, à l'époque, transcontinentale. »
Des traces qui remontent à environ 40 millions d'années, pendant la période de l'Éocène. Une ère géologique durant laquelle l'Antarctique faisait encore partie d'un supercontinent nommé Gondwana, lequel avait déjà commencé à se morceler. Après cette période, l'Antarctique s'est détaché de l'Australie, au gré des mouvements des plaques tectoniques, et s'est mis à dériver vers le sud. Ce serait à cette époque qu'il aurait connu une importante période de glaciation, jusqu'à aboutir au continent glacé que nous connaissons aujourd'hui.
« Nous avons peu d'informations sur cette transition, et énormément d'incertitudes, reconnaît Cornelia Spiegel-Behnke. Nous soupçonnions déjà l'existence d'une rivière, mais le fait qu'elle soit aussi grande est une surprise. » Pour savoir cela, il a fallu creuser plus de 20 mètres en dessous du niveau de la mer, une opération particulièrement complexe quand tout est recouvert par une épaisse couche de glace, dans un environnement lui-même hostile et difficile d'accès.
En Antarctique, 99 % du matériel se retrouve sous la glace, alors d'autres méthodes sont parfois utilisées pour glaner les rares données disponibles. Parmi elles, l'étude du champ magnétique pour essayer de percevoir ce qui se cache sous la surface. Ou encore, la possibilité de récolter des sédiments qui circulent avec le courant marin et qui finissent par ressortir à des latitudes plus élevées, là où la banquise est moins épaisse.
Le continent qui gagne à être connu
Mais pourquoi consacrer tant d'efforts à la compréhension d'un passé si lointain ? « L'Antarctique est le premier témoin des changements climatiques actuels, assure Cornelia Spiegel-Behnke. C'est une des régions du monde, avec l'Arctique, qui réagit le plus fortement aux variations de température. C'est donc important de savoir comment il a évolué par le passé. » Ainsi, les études semblent dessiner un scénario : la partie Ouest de l'Antarctique aurait été gelée après la partie Est. Une donnée importante, car c'est aujourd'hui ce côté occidental montagneux qui est le plus soumis au changement climatique, avec une température qui augmente plus vite que partout ailleurs sur le globe.
De nombreux facteurs entrent en compte, comme le vent qui fait remonter les eaux plus chaudes au gré des courants, grignotant la banquise par-dessous. Ou encore l'évaporation de l'eau qui se traduit par des pluies plus importantes, lesquelles entraînent davantage de pousses de plantes qui réchauffent encore plus la surface.
« Nous ne comprenons pas tout »
« Nous ne comprenons pas tout, loin de là, ajoute Cornelia Spiegel-Behnke. Mais nous pensons que les variations entre Ouest et Est sont dues à la topographie des lieux. L'analyse des traces de la rivière indique qu'à l'époque, l'Ouest était bien au-dessus du niveau de la mer, ce qui a pu limiter la formation de glace. »
Ces questions sont essentielles, car s'il est confirmé que l'Antarctique est en train de perdre de la glace avec la hausse des températures, nous ne savons pas encore à quel point, et comment cela va impacter le niveau des mers. Actuellement, des barrières de glace empêchent un immense glacier, l'Inlandsis de l'Antarctique de l'Ouest, de basculer dans l'océan, ce qui serait synonyme d'une hausse globale de trois mètres du niveau des mers. La catastrophe semble imminente, mais savoir quelle sera son ampleur est nécessaire pour y faire face.
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