
Plongée dans des disciplines scientifiques qui, à bas bruit, intéressent start-uppers et cliniques privées pour le plus grand bien-être des super riches.
C’est en faisant un tour dans le monde des cliniques de longévité qu’on découvre des pratiques comme la nutrigénomique. Ces cliniques qui promettent à leurs clients fortunés de lutter contre le processus de vieillissement, disent s’appuyer sur cette science censément être la plus évoluée dans ce domaine. Ainsi Simone Gibertoni, directeur général de La Prairie, la plus célèbre clinique de longévité située à Montreux, en Suisse, déclare que le comité scientifique de la clinique est composé de « chercheurs, de cliniciens et de conseillers parmi les meilleurs dans leurs domaines respectifs : longévité, neurosciences, génétique, biostatistique, nutrigénomique, biosciences et immunologie. »
Thibault Sutter, docteur en physiologie, connaît bien la clinique de La Prairie, où il a déjà travaillé. Lui qui réside à Annecy continue d’officier en Suisse, à la clinique de lifestyle medicine Medinvita de Genève. Il y développe des recherches sur la nutrigénétique et l’intelligence artificielle. Pourquoi le choix de la Suisse ? La raison est simple : « On n’a pas le droit de travailler actuellement sur l’ADN en France. » Son rêve à terme, fonder sa propre clinique de longévité. Pour le moment, il est sollicité par des cliniques en constitution partout dans le monde, afin d’y fonder des pôles anti-âge. La dernière en date est à Bratislava. « Des cliniques qui ne se développent pas sur le volet nutrigénétique, pour moi, sont à côté de la plaque », tranche-t-il.
Nutrigénomique, nutrigénétique, de quoi parle-t-on exactement ?
La nutrigénomique comme la nutrigénétique relèvent de la génomique nutritionnelle, une discipline qui étudie les interactions entre nutriments et gènes. Walter Wahli, professeur émérite de biologie à l’Université de Lausanne et auteur en 2011 du livre La nutrigénomique dans votre assiette en est le précurseur. En travaillant sur les récepteurs d’œstrogènes dans les années 90, il découvre que des acides gras pouvaient, comme les œstrogènes, agir sur l’activation des gènes par les récepteurs. Plus tard, il met en lumière des interactions similaires pour d’autres micronutriments comme les vitamines. La nutrigénétique est née. Elle étudie la manière dont les variations d’une séquence de l’ADN induisent une variabilité des réponses individuelles aux nutriments (par exemple, le métabolisme).
Et l’épigénétique dans tout ça ?
Puis arrive la révolution épigénétique. Claudine Junien, professeur émérite de génétique, explique : « Pendant des années on ne s’intéressait qu’aux variations de l’ADN, mais pas à la façon dont les gênes fonctionnaient. L'épigénome, c’est ce qui permet à des gènes de s’exprimer ou d’être rendus silencieux. Et plusieurs facteurs sont impliqués dans ce processus ».
Parmi ces facteurs, l’environnement, mais aussi… la nutrition. Les progrès technologiques comme le séquençage du génome au début des années 2000 permettent de mettre en évidence l’action des nutriments sur l'épigénome, soit l’expression des gènes : on parle alors de nutrigénomique. À la fois, notre ADN régit la manière dont nous réagissons à tel ou tel nutriment et, dans l’autre sens, notre alimentation a le pouvoir d’activer, ou pas, le potentiel de nos gènes.
Forcément, les implications sont considérables. Sarah Dognin, docteur en pharmacie, professeur associé à l’Université de Lyon et nutritionniste, se base sur les acquis de la nutrigénomique pour proposer une nutrition personnalisée, à partir d’un “audit du corps”. Comme l’expression des gènes n’est pas figée, le comportement alimentaire prend une place primordiale. « Il y a des gènes qui, s’ils sont activés, favorisent certaines pathologies comme le BRCA1 ou 2 pour le cancer du sein. Mais c’est juste une potentialité, si vous utilisez mal votre corps », prévient Sarah Dognin.
Pour Thibault Sutter, cela va plus loin que la prévention des pathologies : « la nutrigénomique offre un potentiel considérable d’augmentation de la longévité ». D’où le fait, ajoute-t-il que « depuis 4-5 ans, plusieurs start-ups comme GlicanAge ou 24Genetics, interdites en France, ont émergé et proposent des tests épigénétiques que vous pouvez réaliser chez vous ».
Walter Wahli souligne l’intérêt de poursuivre les recherches afin de dépasser l’aspect purement personnalisé des tests épigénétiques pour que « cela puisse profiter au plus grand nombre : par exemple pour savoir si les asiatiques ont tendance à répondre différemment à certains aliments par rapport aux Caucasiens. »
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